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Mondialisation et souveraineté

Maîtriser son espace géolinguistique Un enjeu majeur pour le rayonnement de la France. Deuxième ensemble géolinguistique mondial par le nombre de pays et de continents concernés, et quatrième par le nombre d’habitants (1), le monde francophone est aujourd’hui un vaste ensemble regroupant 33 pays et plus de 450 millions d’habitants, sur quatre continents (2). 

Par Ilyes Zouari, administrateur et auteur de la revue Population & Avenir, auteur du Petit dictionnaire du monde francophone (L’Harmattan, mars 2015).

 

Une importance stratégique pour la France

 Le monde francophone s’étend sur plus de 16,3 millions de kilomètres carrés, soit près de quatre fois l’Union européenne (UE). Cet espace, où le français n’a jamais été aussi présent, est ainsi bien plus vaste que ne l’indiquent la majorité des cartes géographiques en circulation, le plus souvent basées sur la projection de Mercator.

À titre d’exemple, la Côte d’Ivoire et l’Algérie sont respectivement plus grandes que l’Italie et le Groenland, et non deux ou trois fois moins étendues.

Une importance géostratégique majeure pour la France Grâce à une histoire et une langue communes, les relations politiques, diplomatiques et militaires privilégiées qu’entretient naturellement la France avec les différents pays de ce vaste ensemble lui permettent d’être activement présente et incontournable sur différents théâtres d’opérations à travers le monde : lutte antiterroriste au Sahel, en vue notamment d’assurer la sécurité du continent européen, lutte antipiraterie maritime dans le golfe d’Aden et dans le golfe de Guinée, afin de sécuriser les voies maritimes d’approvisionnement de l’UE et des États-Unis, ou encore opérations de secours après le tremblement de terre qui avait frappé Haïti en 2010, et au lendemain du cyclone qui ravagea le Vanuatu en début d’année.

Dans ces deux derniers cas, la présence voisine de départements et de territoires français d’outre-mer avait été un particulièrement important. Dans les Antilles, cette présence permet également à la France de jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre le trafic de drogue à destination de l’UE.

L’existence de pays francophones sur quatre continents, ainsi que celle de terres françaises ultramarines sur différents océans (qui font de la France le septième plus grand pays du monde en tenant compte de l’espace maritime, tout juste derrière le Brésil (3)), donnent ainsi à la puissance française sa dimension mondiale et lui assurent un poids important au sein de l’UE, ainsi que dans les différentes instances internationales (ONU, Unesco…). Ce poids est par ailleurs renforcé par le fait que la majorité des pays francophones adoptent bien souvent et souverainement une position commune avec la France, notamment grâce à la proximité culturelle (qui explique que les pays anglo-saxons aient également souvent tendance à voter de la même manière).

Photo : Le 30 novembre 2014 à Dakar, le Sénégalais Abdou Diouf (au centre) passe le relais à la Canadienne Michaëlle Jean à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). La nouvelle secrétaire générale de l’OIF plaide pour la concertation entre les 80 États membres (54 membres, 23 observateurs et 3 États associés) afin de donner une nouvelle pertinence à la francophonie. Elle milite également pour une francophonie économique ; une charte économique permettant de dynamiser les échanges au sein de l’espace francophone est d’ailleurs à l’étude. (© AFP/ Sow Moussa)

 

Espace économique naturel, et principe des vases communicants

Outre l’importance géostratégique et géopolitique que revêt donc l’espace francophone pour la France, celui-ci constitue pour elle une source d’importantes opportunités économiques, grâce au lien linguistique. En effet, toutes les études économiques démontrent qu’une langue commune est à l’origine d’un accroissement considérable des échanges entre les pays et peuples qui la partagent, hausse évaluée par certains à plus de 50 % (sous réserve de compétitivité et de niveau de développement égaux), comme le rappelle le rapport Attali (4). Ce dernier avait d’ailleurs mis l’accent sur la corrélation existant entre le nombre de locuteurs de français dans un pays donné et la part de marché qu’y détiennent les entreprises françaises. En d’autres termes, toute richesse créée au bénéfice de l’économie locale par des investissements français (ou autres) en terre francophone reviendra tôt ou tard en bonne partie dans le circuit économique français, alors que toute richesse créée en territoire non francophone profitera d’abord à d’autres pays, tant il est vrai qu’il est dans la nature humaine de s’orienter en premier vers les pays et peuples culturellement – ou à défaut géographiquement – les plus proches. C’est ce qui explique en grande partie le fait que notre pays continue à résister et à faire jeu égal avec la Chine en Afrique francophone subsaharienne (17 % de parts de marché pour chacun en zone CFA, en 2012 (4)), et que la France est toujours le premier partenaire commercial du Maghreb, avec lequel les échanges de biens sont de deux tiers plus élevés qu’avec la Pologne (24,7 milliards d’euros contre 14,9 milliards en 2013), et déjà moitié aussi importants qu’avec le Royaume-Uni (50,4 milliards d’euros) (5). OutreAtlantique, cette proximité culturelle explique également la place importante qu’occuperont les entreprises tricolores dans le cadre du Plan Nord au Québec (6), où la France est déjà le deuxième investisseur mondial, derrière les États-Unis. C’est aussi probablement la raison pour laquelle 1,1 million de touristes canadiens (anglophones inclus) ont visité la France en 2013, soit – proportionnellement à leur population – trois fois plus que les Américains (3,1 millions) (7). Le lien linguistique instaure donc un mécanisme semblable à celui des vases communicants, selon lequel toute richesse produite dans un pays francophone finit par revenir en bonne partie dans les autres pays francophones, et vice-versa. Avec à la clé, et à terme, la création de plusieurs centaines de milliers d’emplois (8).

 

L’émergence démographique et économique d’un monde francophone…

Cela est donc de nature à constituer une zone de coprospérité, une zone de « richesse commune » (traduction littérale du terme Commonwealth). Ceci est d’autant plus vrai pour notre espace linguistique que les principales conditions nécessaires à la concrétisation de ce potentiel sont pleinement réunies, à savoir : l’abondance des richesses naturelles, l’existence d’un groupe de pays développés au Nord (aux importantes capacités financières), la stabilité politique (l’Afrique francophone est très majoritairement stable), et un dynamisme démographique. Ce dernier point est d’ailleurs particulièrement important : l’espace francophone connaît un taux de croissance démographique annuel de 2,1 %, taux le plus élevé au monde pour un ensemble linguistique, et largement supérieur à la moyenne mondiale (1,2 %). Cette croissance se concentre principalement en Afrique francophone (2,5 %, Maghreb inclus), qui a ainsi quintuplé sa population depuis 1950, passant de 73 millions d’habitants à plus de 360 millions début 2015. En d’autres termes, la population de cet ensemble de 25 pays était à l’époque à peu près égale à celle de l’Allemagne (69 millions), tandis qu’elle est aujourd’hui 4,5 fois supérieure. Cette évolution a ainsi permis à ces pays d’atteindre la masse critique nécessaire à tout développement industriel et économique, qui ne peut avoir lieu en l’absence d’un important bassin démographique capable d’amortir de lourds investissements. Mais cela a également et surtout permis l’émergence d’un monde francophone avec lequel il faut désormais compter, et qui pourrait atteindre 800 millions d’habitants en 2050.

Grâce à ces différents atouts, l’Afrique francophone, qui s’affirme ainsi de plus en plus comme le centre de gravité de l’espace francophone, est désormais en mesure d’entamer son rattrapage économique. Ceci se traduit par des taux de croissance assez élevés, largement supérieurs à la moyenne mondiale, et frôlant parfois les 10 % (voir tableau ci-contre). 

 

…assortie de grandes opportunités, et base d’une francophonie économique

L’émergence démographique et économique d’un monde francophone, ainsi que les multiples complémentarités existantes (résultant de la répartition des ressources naturelles et de l’existence de niveaux de développement encore différents), rendent donc possible la mise en place d’une francophonie économique, au bénéfice de chacun de ses membres. Chose qu’a parfaitement comprise le Maroc, qui, utilisant son savoirfaire et multipliant les visites officielles au plus haut niveau en Afrique francophone, est déjà devenu le deuxième investisseur africain du continent, après l’Afrique du Sud. Pour le Nord francophone, qui semble en être moins conscient, ses ressources techniques et financières devraient notamment lui permettre de prendre une place active dans les grands chantiers qui fleurissent sur le continent, et qui ont été évalués pour l’année 2014 à plus de 108 milliards de dollars en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale (essentiellement francophones) (9). Ces ressources sont également appelées à contribuer à la réalisation de grands projets d’avenir et d’envergure internationale : production en masse d’énergie solaire dans le Sahara et à destination de l’UE, électrification de l’Afrique centrale à partir du gigantesque potentiel hydroélectrique de la République démocratique du Congo (RDC), premier pays francophone du monde (10) et qui détient 13 % du potentiel mondial en la matière (que le projet du Grand Inga, plus grand barrage du monde, pourrait en partie exploiter)… Par ailleurs, un autre secteur présente un fort potentiel de développement : celui de l’industrie textile, grâce à la présence d’une importante production cotonnière en Afrique de l’Ouest francophone (11) et à la faiblesse du coût de la main-d’œuvre, le plus bas au monde. Compte tenu des perspectives considérables qu’offre la culture du coton en matière d’industrialisation, comme ce fut le cas plus tôt pour les pays d’Asie du Sud-Est et la Chine, il conviendrait de faire du développement de l’industrie et de la filière textiles dans les pays francophones du Sud l’une des priorités des pays francophones du Nord et l’un des éléments clés de la mise en place d’un véritable espace économique francophone. Dans ce cadre, la France, qui avait jeté les bases de la culture du coton, a tout intérêt à mettre en place une coopération renforcée visant à aider ces pays à établir un environnement plus favorable aux investissements (fiscalité, formalités administratives, formation et infrastructures), tout en incitant fortement les investisseurs français, multinationales et PME (ainsi que ses universités et grandes écoles) à s’y diriger. D’autant plus que les entreprises asiatiques elles-mêmes, chinoises et turques en tête, commencent à s’orienter massivement vers ce continent, notamment en Éthiopie, où plusieurs milliers d’emplois ont déjà été créés dans le textile et le cuir.

 

Un recentrage nécessaire de l’aide au développement française sur l’espace francophone

Mais pour aider à l’industrialisation de l’espace francophone, la France se doit de revoir sa politique d’aide publique au développement (APD) afin de la concentrer davantage sur les pays francophones. En effet, ces derniers ne reçoivent que 40 % de l’enveloppe globale, soit moins de 3,5 milliards d’euros (aides bilatérales et multilatérales comprises). De telle sorte que six des dix premiers bénéficiaires ne sont nullement francophones, comme la Chine et le Brésil (déjà assez « aisés »), ou encore la Jordanie, le Vietnam et la République dominicaine (12). Cette politique s’oppose donc à celle suivie par le Royaume-Uni, qui concentre l’essentiel de ses efforts sur les pays anglophones (sept à huit des dix premiers bénéficiaires de l’aide bilatérale sont anglophones, contre seulement quatre francophones pour la France (13)). Cette comparaison résume à elle seule le grand déficit en réflexion et vision stratégiques côté français. Ce déficit se confirme par le fait que le Sud francophone reçoit ainsi de la France deux fois moins que ce qu’elle verse aux pays européens aidés, au titre de sa contribution (nette) au budget de l’Union, pour un ensemble pourtant deux fois plus peuplé (370 millions d’habitants contre 180 millions). Ainsi, les pays d’Europe de l’Est, déjà assez développés et qui achèteront toujours en premier des produits allemands (ce qui rentabilise pleinement la contribution allemande au budget de l’UE), sont proportionnellement quatre fois plus aidés que les pays francophones. La France a donc tout intérêt à rééquilibrer cette répartition des ressources en tenant davantage compte de ses intérêts économiques présents et futurs. Elle pourrait notamment baisser sa contribution nette au budget européen à 5,5 milliards d’euros, soit autant que le Royaume-Uni en 2013, année qui vit ce dernier augmenter son APD de 28 %, à 13,4 milliards d’euros, devenant ainsi le second contributeur mondial, derrière les États-Unis (et désormais loin devant la France : 8,5 milliards d’euros). La France doit donc renouer avec une certaine culture de l’efficacité. Elle n’a en effet rien à gagner à échanger avec un vaste espace francophone qui resterait pauvre et sans moyens de lui acheter grand-chose, alors qu’il le souhaite plus que d’autres (l’Afrique francophone subsaharienne n’a représenté que 0,9 % des échanges extérieurs de la France en 2013). 

 

Un cercle vertueux en faveur et à partir de la langue française

Grâce à sa croissance démographique et à ses performances économiques récentes, le monde francophone est désormais un espace de plus en plus attractif. Cette évolution joue également un rôle très important dans la diffusion de la langue française dans le monde, élément essentiel du « soft power », et explique en grande partie la hausse de 43 % du nombre d’apprenants du français en Asie-Océanie entre 2010 et 2014, et de 44 % en Afrique subsaharienne non francophone sur la même période (14). La langue étant le principal vecteur d’influence culturelle, puis économique et in fine politique (comme l’ont si bien compris les Anglo-Saxons), l’émergence d’un espace économique francophone fort est de nature à accroître encore davantage l’influence de la France dans le monde, et à lui ouvrir de nouveaux débouchés économiques au-delà des frontières de l’espace francophone, puisque langue partagée et parts de marché vont de pair. La France se doit donc de contribuer activement au développement économique de son espace géolinguistique au bénéfice de ses propres intérêts, mais également de ceux de chacun des pays qui en font partie, et qui bénéficieront à leur tour de ces nouveaux débouchés.

Ilyes Zouari

Article paru dans Les Grands Dossiers de Diplomatie n° 27 (juin - juillet 2015)

Notes :

(1) Respectivement derrière le monde anglophone, et après la zone mandarin et autres langues chinoises, l’espace anglophone et le sous-continent indien.

(2) 29 pays ont le français pour la langue officielle ou co-officielle (Rwanda non pris en compte), tandis que quatre autres pays connaissent de fait une sorte de bilinguisme institutionnel arabe/français (pays du Maghreb et Mauritanie). Cf. Ilyes Zouari, Petit dictionnaire du monde francophone, Paris, L’Harmattan, 2015.

(3) La ZEE française est la deuxième plus importante au monde (11 millions de km2) derrière celle des États-Unis (11,3 millions).

(4) La Francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable, Jacques Attali, La Documentation française, août 2014.

(5) InSEE.

(6) Programme de développement économique des régions nordiques, proposé en 2011 et prévoyant des investissements de l’ordre de 60 milliards d’euros sur 25 ans (mines, énergies renouvelables et infrastructures de transport).

(7) Direction générale des entreprises (DGE), Atout France.

(8) En tenant compte de la croissance des pays francophones du Sud, le rapport Attali estime potentiellement à 0,5 million le nombre d’emplois créés ou maintenus en France à l’horizon 2050, résultant de la part du surplus d’exportations due au lien linguistique.

(9) Selon le cabinet d’audit et de conseil Deloitte, qui ne recense que les projets « d’envergure », dépassant 50 millions de dollars.

(10) L’agglomération de Kinshasa a devancé à son tour la capitale française (11,3 millions d’habitants, début 2015, contre 10,8 millions).

(11) La zone CFA est à origine de 10 % des exportations mondiales de coton, et de plus de 50 % de la production continentale (contre seulement 8 % en 1970).

(12) Projet de loi de finances pour 2014, et Projet de loi de finances pour 2015. Sénat.

(13) Source : Department for International Development, octobre 2014.

(14) La Langue française dans le monde - 2014, OIF.

 

Francophonie : « Une nouvelle page reste à écrire… et à traduire en actes »

En ce début du XXIe siècle, toutes les organisations internationales sont percutées, dans leurs missions, par les bouleversements accélérés du monde. L’organisation Internationale de la Francophonie n’échappe pas à une nécessaire clarification de son objet, de son périmètre, de ses moyens.

La mondialisation voit des aires géoculturelles s’organiser autour de certaines langues dites « centrales » (ce qui ne doit nullement dévaloriser les autres). Ainsi, hispanophones, lusophones, arabophones etc. voient leurs espaces linguistiques se mettre en mouvement, avec des modalités différentes selon les zones.

Avec une majorité de pays membres…non francophones sur plus de 80 (dont le Qatar, Mexique, etc.), difficile pour l’OIF de tracer une vision commune et géopolitique de la langue…

C’est pourquoi les 33 pays francophones (34 avec l’Algérie, non membre de l’OIF) pourraient eux aussi (beaucoup le souhaitent) mettre en commun une stratégie dans la mondialisation, en formant un premier cercle, sorte de « noyau dur » autour d’objectifs partagés et réalisables en 5, 10 ou 15 ans selon les sujets : des enseignements et des diplômes communs, une mobilité facilitée (Visa francophone ; Erasmus francophone pour étudiants) ; création d’une revue scientifique internationale capable de diffuser autant que l’anglophone Sciences.

Cette stratégie de convergences des contenus vaut pour les brevets ; elle trouve aussi son prolongement dans le domaine économique. Et, bien évidemment, dans toutes les disciplines du champ culturel. Sur ce dernier point, imaginons comment notre jeunesse, demain, verra le monde si on lui transmet sur un pied d’égalité les œuvres littéraires (à l’école notamment) ou cinématographiques de tous les pays francophones. Et non les seules créations françaises.

Quelle belle promesse d’échanges et de partages pour un imaginaire partagé, loin des peurs, replis sur soi et désintérêt pour les autres qu’on cultive trop souvent…surtout chez nos jeunes enfants de France. Quelle belle alliance de noirs et de blancs, de maghrébins et de latins, de nord-américains et d’européens.

Il va de soi que c’est d’abord une question d’ambition et de volonté politique partagées …et donc de moyens, qui manquent aujourd’hui cruellement. Après plusieurs étapes dans la construction de la Francophonie c’est une nouvelle page qui reste à écrire…et à traduire en actes.

Pouria Amirshahi

Tribune parue dans l’Humanité le 18 septembre 2015

Source : pouriaamirshahi.fr, le vendredi 18 septembre 2015

 

Francophonie : une union qui doit se faire la voix du Sud

L’année 2015 est une année charnière pour l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), 
qui est en pleine mutation car Abdou Diouf, secrétaire général de l’organisation pendant près de douze ans, a cédé sa place à Michaëlle Jean. Quels sont les objectifs de cette organisation ?

Onésime Reclus, inventeur du terme « francophones », les définit comme « tous ceux qui sont ou semblent être destinés à rester ou à devenir participants de notre langue ». Il estime qu’ils sont 47 millions au 31 décembre 1880. Mais ce mot tombe en désuétude pour réapparaître en 1962, sous la plume de Léopold Sédar Senghor, dans la revue Esprit, où il écrit, avec un certain lyrisme : « La francophonie, c’est cet humanisme intégral qui tisse autour de la terre cette symbiose des énergies dormantes de tous les continents. » On en est loin aujourd’hui.

Aujourd’hui, l’OIF estime qu’il y a plus de 274 millions de francophones dans le monde. Mais à part éditer chaque année un rapport sur la langue française, que fait l’OIF, voulue par des dirigeants d’Afrique ?

En 1970, l’Agence de coopération culturelle et technique voit le jour au Niger sous la houlette de trois figures de la francophonie, présidents africains, l’académicien sénégalais Léopold Sédar Senghor, le Tunisien Habib Bourguiba et le Nigérien Hamani Diori. En 1995, elle devient l’Agence de la francophonie, pour enfin devenir l’OIF, qui est dès lors une organisation intergouvernementale unique qui possède différents opérateurs.

Depuis le sommet de Hanoi, en 1997, l’OIF devient un espace politique et dispose d’un représentant légal, le secrétaire général de la francophonie, qui est élu pour quatre ans. Sa fonction est diplomatique et politique, il suggère la coopération bilatérale et définit les actions prioritaires. Viennent ensuite les opérateurs de l’OIF : l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), l’Association internationale des maires et responsables des capitales et métropoles partiellement ou entièrement francophones, l’université Senghor d’Alexandrie et la chaîne TV5 Monde. Complétés par l’Assemblée parlementaire de la francophonie et les conférences ministérielles permanentes : celle des ministres de l’Éducation nationale (créée en 1960) et celle des ministres de la Jeunesse et des Sports des pays ayant le français en partage.

En fédérant autant de pays (aujourd’hui 57 pays membres et 23 observateurs), l’OIF a un potentiel considérable, notamment en termes de coopération, de lutte contre les inégalités et la pauvreté, de développement partagé et de promotion de la paix, de la diversité culturelle et de la démocratie. Mais, au sein de son fonctionnement, il demeure de nombreux rapports de forces.

Et au-delà des intentions louables, les opérateurs sont souvent sous-dotés. En ce qui concerne l’Agence universitaire de la francophonie, les politiques développées sont peu offensives et touchent une certaine élite ; alors qu’elles pourraient favoriser un enseignement de masse. L’éducation pour tous et à tous les niveaux devrait être mise plus en avant et développée à travers cet organisme, comme le préconisent les objectifs du millénaire de l’Organisation des Nations unies (ONU). À titre d’exemple, l’AUF distribue chaque année dans le monde 2 500 bourses ; ce qui représente un chiffre dérisoire par rapport aux millions d’étudiants francophones dans le monde. La contrainte budgétaire empêche cet opérateur de développer ses actions, dont certaines pourraient engendrer de multiples effets positifs : par exemple favoriser les politiques éducatives dans les pays du sud pour éviter l’émigration.

Et, surtout, cette institution est pétrie d’une lecture du monde archaïque qui entérine une domination des pays les plus puissants. Elle ne permet pas de constituer un pôle développant une autre vision du monde, qui accorde un poids prépondérant aux populations du sud, alors même que l’avenir de la langue française se joue en Afrique (en 2050, 85 % des francophones seront africains). Cela est grandement la conséquence des contributions des grands pays industrialisés qui dominent l’organisation et transmettent une vision occidentale du monde. Ce qui amène certaines personnes et certains collectifs à la dénoncer, comme à Dakar l’an dernier où un contre-sommet a eu lieu en parallèle du XVe sommet de la francophonie.

À terme, des choix devront se constituer. Faut-il accueillir toujours plus de pays, sans lien particulier avec la langue française (comme le Qatar, l’Ukraine et le Mozambique par exemple), ou privilégier l’approfondissement des relations entre les pays francophones du Nord et du Sud ?

Ludivynn Munoz

Source : humanite.fr, le vendredi 18 septembre 2015

 

« L’OIF représentent 900 millions d’habitants ! »

C’est sans doute l’une des spécificités culturelles et politiques de la France que d’avoir porté l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Ses 80 États membres, qui ont en commun la langue française, partagent des valeurs communes qu’ils cherchent à promouvoir : la diversité culturelle, la démocratie, la paix et plus récemment le respect de l’environnement. Qui ne souscrirait à un si beau programme ! Ce n’est donc pas l’originalité des objectifs qui caractérise l’OIF, mais bien son existence même, car elle n’a pas d’équivalent dans le monde. Aussi, pour comprendre à quoi sert la francophonie, faut-il revenir sur le contexte géopolitique de la naissance de la francophonie, celui de la récente indépendance des États d’Afrique noire, anciennes colonies de l’Empire français. Indépendance obtenue sans drame en 1960, à la différence de l’Indochine et surtout de l’Algérie. Dans ces nouveaux États, la diversité des ethnies et des langues est telle que la langue française reste la langue officielle.

C’est Léopold Sédar Senghor, alors président du Sénégal, ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de grammaire française et grand poète, qui a un amour immense pour cette langue et pour les valeurs qu’elle exprime, qui eut en 1966, l’idée de réunir les parlementaires des États francophones et qui peut donc être considéré comme le père de la francophonie. Le gouvernement français ne pouvait y trouver qu’avantage.

En effet, face à la diffusion massive de l’anglais, la francophonie était le moyen de continuer à maintenir une présence française à l’échelle mondiale, non plus par l’empire colonial mais par le biais de ce que les Américains ont appelé plus tard le « soft power ». La francophonie est donc le vecteur de la diffusion de valeurs communes, mais aussi de la culture et de savoir-faire techniques. Elle contribue à faire de la langue française une des grandes langues de la planète, puisque les 80 États membres de l’OIF représentent 900 millions d’habitants répartis sur les cinq continents.

Façon de se rassurer sur le maintien du rôle de la France dans le monde !

Béatrice Giblin, Géopoliticienne

Source : Source : humanite.fr, le vendredi 18 septembre 2015

 




Publié par Ilyes ZOUARI le 21 septembre 2015

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