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Laurent Fabius et l'accueil des touristes.

Le 11 juin 2015, Monsieur Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et chargé à ce titre du tourisme, a présenté un volumineux rapport du Conseil de promotion du tourisme (CPT) qui préconise 40 mesures censées favoriser ce secteur et améliorer l’accueil des touristes, évidemment toujours perfectible. Parmi ces suggestions, nous pouvons relever celle-ci :

« À bord des TGV, la SNCF pourrait systématiquement introduire des annonces en anglais. La mesure rappellerait incidemment à nos concitoyens le fait que la rame transporte de nombreux étrangers. »

Les messages aux touristes ne doivent pas être synonymes de messages en anglais !

Cette préconisation, formulée d’un ton ingénu, semble relever de l’évidence. Mais les mots employés sont précis, et leur décryptage révèle qu’ils sont sous-tendus par plusieurs idées fausses et même dangereuses.

On constate d’abord qu’« anglais » rime ici avec « étrangers ». Il est vrai que les Américains et les Britanniques sont les deux principales populations de touristes étrangers qui séjournent en Ile-de-France (cf. le rapport 2014 du Comité régional du tourisme : http://pro-media.visitparisregion.com/pdf/Reperes-2014/Reperes_BD.pdf). Il est donc certain que les professionnels du tourisme doivent souvent pratiquer l’anglais.

Pour autant, l’anglais n’est pas la langue maternelle de la plupart des visiteurs étrangers. Les Allemands, les Espagnols et les Italiens aussi sont nombreux. Leur imposer l’emploi de l’anglais conduirait donc à un déséquilibre qu’on peut juger discriminatoire : l’anglophone de naissance penserait en anglais et voyagerait en anglais, tandis que les autres touristes devraient constamment passer de leur langue à une autre, que ce soit l’anglais ou le français, ce qui réclame plus d’efforts et implique moins de confort.

La préconisation évoquée laisse ainsi entendre cette idée fréquente et néanmoins fausse, « l’anglais est la langue du tourisme », et son corollaire, « langues étrangères = anglais ». L’éducation nationale le pense également, en tâchant de faire en sorte qu’il s’agisse systématiquement de la première langue étrangère apprise durant la scolarité ; le rapport du CPT préconise d’ailleurs « l’introduction de l’enseignement de certaines matières techniques ou fondamentales en anglais » (page 61).

Or de nombreux touristes s’attendent, quand ils viennent en France, à entendre et à lire du français ; cela fait d’ailleurs partie du charme de tout voyage de se confronter aux langues locales. Nos professionnels du secteur et notre ministre jugent peut-être celui-ci archaïque ; ils croient probablement que de nos jours, presque personne ne parle le français. Ce dernier reste pourtant la deuxième langue étrangère la plus apprise dans le monde, loin derrière l’anglais mais bien avant l’espagnol, l’allemand et le mandarin (cf. par exemple le rapport parlementaire du député Amirshahi, http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i1723.asp.)

Ces francophiles risquent pourtant d’être fort désappointés. Sauf une minorité qui parle français de manière fluide et sans trop d’accent, ils se voient de plus en plus souvent répondre en anglais, même s’ils le parlent moins bien que le français et que leur interlocuteur le maîtrise moins qu’eux-mêmes le français.

On en arrive à cette aberration : pour voyager en France, il suffit d’un niveau A2 en anglais, mais un niveau B2 en français devient nécessaire pour imposer l’usage de cette langue à des professionnels français du tourisme (« France » et « français » pouvant être remplacés par « Italie » et « italien », « Allemagne » et « allemand », etc.)

La discrimination en est augmentée : l’anglophone de naissance pense et voyage en anglais ; le non-anglophone francophile doit en revanche pratiquer trois langues, puisqu’il pense dans la sienne, tâche de parler français et doit réagir à l’anglais que lui imposent souvent des hôteliers, des restaurateurs et des agences de voyage. L’inconfort devient souvent pénible, et certaines situations confinent au ridicule. Moi-même, parlant espagnol et italien, mais avec un accent français, ai-je dû me décider à refuser non seulement de parler anglais, mais de le comprendre lors de voyages en Italie et en Amérique latine ; mais il reste pénible de devoir prier quelqu’un de parler sa propre langue.

Une autre discrimination accompagne celle-là : le français reste imposé aux Africains et aux Maghrébins qui arrivent en France, à moins qu’ils aient l’air riche, selon un comportement à la fois raciste et de classe. La langue reste malheureusement une zone impensée de la gauche française et de nos mouvements antiracistes, qui craignent sans doute de jouer le jeu d’une « identité nationale » arrogante et fascisante, alors qu’ils pourraient considérer l’aspect populaire de toute langue et contribuer à la diversité culturelle du monde en défendant le plurilinguisme, désormais que le français n’est plus une arme impérialiste.

On voit ainsi comment des idées fausses peuvent provoquer des situations détestables. Mais d’où viennent-elles ? Une première hypothèse est le mépris de la langue française qu’éprouve une part croissante des élites françaises, et conjointement leur ignorance du goût de cette langue qu’éprouvent beaucoup d’étrangers. Ce mépris peut venir d’un sentiment de complexité par rapport à l’arrogance des Français d’autrefois, qui croyaient pouvoir imposer leur langue partout dans le monde. Mais cette arrogance appartient à un vieux passé. Nous sommes plutôt à l’ère de l’anglomanie idéologique et du pro-américanisme primaire.

Une deuxième hypothèse est le système de référence de nombreux Français. Nos médias aiment répéter que les étrangers considèrent la France avec condescendance et jugent déplorable l’accueil des Français. Mais ils n’invoquent alors que des sources américaines ou britanniques, et ignorent que le reste du monde n’exprime guère ce sentiment, la France restant très attirante. Nous sommes ici tout près de la tautologie ou de la soumission à une vérité étrangère, « les Anglo-saxons critiquent la France donc celle-ci doit encore plus se tourner vers les Anglo-saxons. » Même ces critiques négatives sont d’ailleurs plus rares qu’on ne le croit souvent : les enquêtes de satisfaction des touristes étrangers montrent que les populations les plus satisfaites par l’accueil des professionnels sont les Américains, les Australiens et les Britanniques, avec 93, 93 et 92% d’opinions positives (http://presse.parisinfo.com/etudes-et-chiffres/enquetes/les-touristes-et-paris/satisfaction-des-touristes-2013.) Désire-t-on atteindre 100% ? Et avec quel degré de standardisation anglomane du secteur touristique, et pour créer quelles frustrations chez les étrangers francophiles ?

Ces deux hypothèses tiennent à des croyances des Français eux-mêmes. Une troisième est extérieure : la force de frappe des États-Unis, dont les ressortissants n’hésitent pas à employer directement l’anglais dans tous les pays où ils se rendent. (Souvent parce qu’ils ne peuvent rien parler d’autre, faute d’enseignement scolaire : les « nuls en langues » ne sont pas les Français, mais les États-uniens.)

Malgré leur diversité, toutes ces idées fausses et ces hypothèses convergent : la France agit de manière à conforter la domination mondiale de l’anglais et des nations dont c’est la langue. C’est inutile et même dangereux : un rapport de Monsieur Attali sur la francophonie a démontré que la lutte pour celle-ci limiterait le chômage en France et favoriserait nos entreprises à court et à long terme (http://www.elysee.fr/assets/Uploads/Rapport-Jacques-Attali-la-francophonie-conomique.pdf.)

Les préconisations du Conseil de promotion du tourisme produiraient hélas un effet inverse. Le citoyen français qui prendrait un TGV où les annonces seraient faites en français et en anglais serait pénétré « incidemment » (i.e. insidieusement) par le message suivant : « notre langue est ringarde, l’anglais est notre maître. » Quant au touriste francophile, il se demanderait pourquoi donc il a perdu son temps à apprendre notre langue, puisque nous ne la respectons même pas.

Sans doute Fabius n’est-il pas pleinement coupable. Des professionnels du tourisme, idéologues du tout-anglais et du voyage consumériste, l’ont sans doute fort mal conseillé. Il considère ainsi que les « destinations phares » de la France « sont des marques de grande valeur » ; Versailles et la Côte d’Azur ne sont plus des territoires ou des lieux historiques, mais des marques…

Il reste que le mal risque d’être fait. La « marque France » se standardise, notre pays gagne l’image d’un parc d’attractions et d’un supermarché du luxe. Et les gouvernements de droite et du PS se succèdent sans rupture sur ce « segment économique ».

Pierre Brasseur

(Sur "l'arrogance" française: http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-cecile/140614/le-mythe-de-l-arrogance-francaise-une-arme-de-l-ultraliberalisme)

(Sur l'anglomanie du secteur touristique parisien: http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-cecile/210615/cyclopousses-parisiens-l-homme-est-une-bete-de-trait)

Source : blogs.mediapart.fr, le vendredi 28 août 2015

 

Au sujet du rapport sur le tourisme donné à Laurent Fabius

Pour lire le rapport au format PDF : cliquez ICI

 

Bilinguisme illicite à la SNCF !

Pourquoi y aurait-il des annonces bilingues français-anglais dans un TGV au départ de la gare de Nîmes ?

Serions-nous devenus un protectorat britannique, une énième étoile de l'Empire américain (Étatsunien) ?

Pour éviter ce genre de dérive, la loi 94-665 dit pourtant, en son article 4, que lorsqu'il y a une traduction d'une annonce, ou d'un message, dans l'espace public, cette traduction doit se faire en au MOINS DEUX LANGUES ÉTRANGÈRES.

Qu'attend la SNCF pour respecter la loi ? (Pour voir le Dossier, cliquez ici)

​Et signalons urgemment à Laurent Fabius que, selon l'article 4 de la loi 94-665,  le bilinguisme, pour tout ce qui concerne le domaine public, est ILLÉGAL !

Écrivons-lui avant le 8 octobre, date à laquelle les anglomanes risquent de le faire passer outre cette illégalité :
Sur Tweeteur : @LaurentFabius




Publié par Marc BEAUFRèRE le 06 septembre 2015

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