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Réforme du collège : la charge de l'Académie française

Pour la première fois depuis quarante ans, les immortels s'élèvent, à l'unanimité, contre un texte qui « porte un mauvais coup à la langue française».

On peut véritablement parler d'événement : l'Académie française prend rarement position. « La Compagnie n'a pas contesté une réforme depuis quarante ans et la mise en place du collège unique », confirme Jean-Mathieu Pasqualini, directeur de cabinet du secrétaire perpétuel, Mme Hélène Carrère d'Encausse. Et d'expliquer pourquoi les immortels ont tenu à se faire entendre : « Parce que ce n'est pas une réforme de plus, c'est un coup fatal porté à la langue française. »

Ce qui choque par-dessus tout l'Académie, c'est le sort fait à la langue française

Depuis quelques semaines, plusieurs immortels, tels que l'historien Pierre Nora, le philosophe Alain Finkielkraut, le romancier Jean-Marie Rouart avaient dénoncé, en leur nom, les effets pervers de cette réforme. Cette fois, la démarche est collective, et c'est à l'unanimité que les académiciens, dont certains ne font pas mystère de leurs opinions de gauche, ont adopté cette déclaration coiffée d'un titre explicite : «Pour une vraie égalité des chances ». « Car loin d'aller vers un redressement, ces dispositions créent un nivellement par le bas, réduisent, en fait, les chances de réussite », souligne Jean-Mathieu Pasqualini.

En prenant ainsi la parole, l'institution ne fait que remplir sa mission assignée en 1634 par Richelieu, affirme au Figaro Marc Fumaroli, professeur honoraire au Collège de France. Elle l'avait fait lors de la réforme de l'orthographe en 1990 et plus récemment lors du débat sur les langues régionales. Mais sans exprimer une telle inquiétude.

La Compagnie agit comme un lanceur d'alerte, avec un préambule au ton courtois : « L'Académie française, qui a fait part au président de la République de ses réserves sur les projets de réforme du collège et des programmes d'enseignement présentés par le gouvernement, considère que l'ensemble de ces projets n'est pas satisfaisant. » Elle développe trois arguments majeurs. Le premier est « un défaut de structure qui interdit la compréhension et dissimule la logique même des réformes proposées ». Selon elle, la réforme d'ensemble concerne à la fois la réforme des programmes d'enseignement de la fin du primaire et du collège, qui sont encore en consultation, et la réforme du collège qui a fait l'objet d'un décret et d'un arrêté sans que les programmes enseignés soient définis. Elle met le doigt sur un flou artistique.

Pour les académiciens, cette réforme ne fera que perpétuer, voire développer les inégalités

Le deuxième argument a trait à l'affaiblissement des disciplines fondamentales et à cette « interdisciplinarité » qui ne serait qu'un fourre-tout. Il est ainsi précisé que «les projets posent en fait le principe d'un effacement des disciplines traditionnelles au profit de “thématiques interdisciplinaires”, dont l'objet est le plus souvent ponctuel, dicté par l'actualité ou directement appelé par l'environnement immédiat des élèves ». Et d'ajouter que les « itinéraires pédagogiques » élaborés au sein de chaque établissement ne permettront pas de « lutter efficacement contre l'échec scolaire » et ne favoriseront pas « la réussite pour tous ». Bien au contraire, expliquent les académiciens, cette réforme ne fera que perpétuer, voire développer les inégalités.

Enfin, ce qui choque par-dessus tout l'Académie, c'est le sort fait à la langue française. Elle rappelle que « le patrimoine littéraire constitue un élément essentiel de l'enseignement de la langue française. Elle regrette vivement la disparition quasi complète, dans le document - par ailleurs incompréhensible dans sa formulation - concernant la classe de 6e, de toute référence à des textes, des œuvres ou des courants littéraires. » Et d'enfoncer le clou : « Réduire la place des humanités, matrice de notre civilisation, mettre le latin et le grec sur un pied d'égalité avec les langues régionales, dont l'enseignement relève d'une tout autre problématique et renvoie à d'autres finalités, est aussi un mauvais coup porté à la langue française. » Le gouvernement écoutera-t-il la voix des immortels ?

Mohammed Aissaoui

Source : lefigaro.fr, le mardi 23 juiçn 2015

 

Jean-Marie Rouart : « Il faut changer cette réforme à l'esprit absurde »

L'académicien Jean-Marie Rouart est venu défendre ce mardi 23 juin, sur Europe 1, la position de l'Académie française dont il est membre depuis le 18 décembre 1997.

Invité de Thomas Sotto, il a répondu aux interrogations nées suite au communiqué diffusé hier où « l'Académie française[...] fait part au Président de la République François Hollande de ses réserves sur les projets de réforme du collège et des programmes d'enseignement présentés par le gouvernement [et] considère que l'ensemble de ces projets n'est pas satisfaisant ».

La position engagée de l'Académie sur un sujet politique et polémique paraît étonnante pour certains. Serait-ce déplacé de sa part de commenter des affaires concernant l'Éducation nationale ? « L'Académie est très prudente. Il est très rare qu'elle s'engage. Aujourd'hui, la situation est grave. Cela touche à notre mission fondamentale qui nous a été confiée il y a 350 ans par Richelieu qui est la défense de la langue française et du savoir. [...] En dévalorisant les savoirs, on va énormément handicaper les élèves. »

Ce n'est pas la première réforme alors cette nouvelle prise de position de l'institution française prouve cette volonté de s'opposer au projet. Pour l'Académicien, la France vit depuis trop longtemps dans le mensonge. « On vit dans la dévaluation du savoir. Il y a un problème énorme qu'on ne veut pas régler: celui du primaire. C'est pourtant à cette période que l'enfant acquiert les fondamentaux. » Le problème de ce premier apprentissage déteint sur le collège, ainsi que sur les études supérieures.

Une réforme « imaginaire »

Jean-Marie Rouart prend alors l'exemple des résultats au baccalauréat: « En 1970, il y avait 70% des élèves reçus, aujourd'hui 91%. Les gens sont-ils devenus des génies ? Je ne crois pas, je crois que le mensonge s'accroît. On arrive aujourd'hui à quelque chose d'invraisemblable. Les gens ne connaissent plus l'orthographe au Bac. On refuse même [de corriger] par peur de faire de la peine aux parents et aux élèves. C'est un mensonge, et je ne pense pas qu'une société puisse survivre en se mentant à elle-même et aux autres. »

Pour Jean-Marie Rouart, il faut tout changer à cette réforme qui doit s'appliquer à la rentrée prochaine car « elle a un esprit absurde. L'Académie n'est ni de droite, ni de gauche. Cette réforme est d'ailleurs largement critiquée par les professeurs et par la gauche. » Sans le latin et le grec, qui formeraient une élite selon certains socialistes, les gens ne se « comprendront plus et se sentiront étrangers dans leur propre pays ».

Très dur envers le gouvernement, l'écrivain parle d'une « réforme imaginaire ». Pour Jean-Marie Rouart, il faudrait commencer par s'en prendre à l'enseignement primaire, l'orthographe et à l'histoire. « On a un gouvernement qui nie Napoléon. Mettre des gens au Panthéon, c'est très bien. Mais il ne faudrait pas oublier de revenir aux fondamentaux: la langue française, le savoir, la littérature et l'histoire. »

Il souhaite à tout prix éviter que les Français deviennent étrangers aux fondamentaux de leur pays. Il conclut par une adresse aux dirigeants: « François Hollande et Najat Vallaud-Belkacem, comme pseudo-intellectuels, doivent revoir leur copie». L'Académie française ne se laissera donc pas faire.

Marie Périer

Source : lefigaro.fr, le mardi 23 juin 2015

Félicitons les Académiciens : contact@academie-francaise.fr

Écrire au Président de la République : http://www.elysee.fr/ecrire-au-president-de-la-republique/


Pour une vraie égalité des chances

Le 11 juin 2015

Déclaration de l’Académie française

Pour une vraie égalité des chances

DÉCLARATION de l’ACADÉMIE FRANÇAISE
adoptée à l’unanimité de ses membres
dans sa séance du jeudi 11 juin 2015

 

L’Académie française, qui a fait part au Président de la République de ses réserves sur les projets de réforme du collège et des programmes d’enseignement présentés par le gouvernement, considère que l’ensemble de ces projets n’est pas satisfaisant.

1. La réforme d’ensemble concerne à la fois la réforme des programmes d’enseignement de la fin du primaire et du collège, qui sont encore en consultation, et la réforme du collège qui a fait l’objet d’un décret et d’un arrêté sans que les programmes enseignés soient définis. Il y a là un défaut de structure qui interdit la compréhension et dissimule la logique même des réformes proposées.

2. L’Académie déplore que l’ensemble de la réforme repose sur deux principes implicites : l’affaiblissement des disciplines fondamentales et le bouleversement du calendrier d’acquisition « des connaissances et des compétences », c’est-à-dire leur remplacement au profit de thématiques interdisciplinaires.

Les projets posent en fait le principe d’un effacement des disciplines traditionnelles au profit de « thématiques interdisciplinaires », dont l’objet est le plus souvent ponctuel, dicté par l’actualité ou directement appelé par l’environnement immédiat des élèves.

La confrontation des disciplines, couramment pratiquée depuis des décennies, s’avère assurément féconde. Mais les « enseignements pratiques interdisciplinaires » (E.P.I.) ne se développeront nécessairement qu’au détriment des disciplines qu’ils prétendent fédérer, seules à même de transmettre les savoirs fondamentaux qui manquent à tant de collégiens.

Comment les élèves pourraient-ils construire par eux-mêmes un savoir à partir des approches « transversales et plurielles », caractéristiques de ce type d’enseignement, s’ils ne disposent pas de la formation élémentaire, reposant sur des bases solides dans les disciplines fondamentales, qui fait aujourd’hui défaut à un trop grand nombre d’entre eux au sortir de l’enseignement primaire ?

À trop privilégier la « transversalité », on risque de favoriser une dispersion des savoirs, une fragmentation des contenus préjudiciable aux élèves en difficulté, et de retarder la consolidation des acquis de base, qui ne peut être obtenue que par la transmission de savoirs objectifs et mesurables.

Pour les mêmes raisons, l’Académie s’inquiète du remplacement des programmes établis par année et par discipline par des « cycles » de trois ans mêlant toutes les matières et les associant autour de projets pratiques et de « thématiques transverses ». Le bouleversement complet du calendrier, pourtant nécessaire, d’apprentissage des connaissances au profit de « parcours » propres à chaque élève, dans le cadre d’« itinéraires pédagogiques » élaborés au sein de chaque établissement, ne permettra pas de lutter efficacement contre l’échec scolaire, ne favorisera pas « la réussite pour tous », que la réforme s’assigne pour objectif, et a toute chance de perpétuer voire de développer les inégalités.

3. L’Académie insiste sur sa vive préoccupation concernant la place faite à la langue française dans les projets de réforme en cours. Elle considère qu’aucun redressement de notre système éducatif ne pourra être opéré si l’accent n’est pas mis sur l’apprentissage du français, dont la maîtrise et la compréhension sont la condition d’accès aux autres disciplines. Les difficultés rencontrées par un trop grand nombre d’élèves dès l’entrée au collège proviennent des lacunes constatées dans l’acquisition du socle des connaissances dispensées dans l’enseignement primaire : elles tiennent en particulier à une maîtrise insuffisante de la lecture et de l’expression écrite et orale.

L’Académie française rappelle que le patrimoine littéraire constitue un élément essentiel de l’enseignement de la langue française et qu’il doit, à ce titre, donner lieu à un programme précis pour chacun des cycles scolaires. Elle regrette vivement la disparition quasi complète, dans le document – par ailleurs incompréhensible dans sa formulation – concernant la classe de 6e, de toute référence à des textes, des œuvres ou des courants littéraires, tandis que pour les autres classes du collège, seuls quelques genres sont mentionnés.

Réduire la place des humanités, matrice de notre civilisation, mettre le latin et le grec sur un pied d’égalité avec les langues régionales, dont l’enseignement relève d’une tout autre problématique et renvoie à d’autres finalités, est aussi un mauvais coup porté à la langue française. Apprendre le latin et le grec n’est pas consacrer à des langues « mortes » un temps qui serait mieux employé en étudiant une ou plusieurs langues « vivantes », c’est avant tout découvrir notre propre langue, dont la maîtrise ouvre l’accès à toutes les disciplines et à la culture en général.

L’Académie française, au terme de la réflexion qu’elle a menée sur les enjeux et les modalités de cette réforme, et après avoir examiné les dispositions contenues dans les textes adoptés par le Conseil supérieur des programmes, appelle d’abord à préserver les disciplines traditionnelles sans lesquelles les lacunes dans l’apprentissage des savoirs fondamentaux, trop souvent constatées au sortir de l’école primaire, ne pourront être comblées au collège.

Elle appelle ensuite à rendre à la maîtrise de la langue française la première place, et à favoriser cet apprentissage par un véritable enseignement des langues anciennes aussi largement que possible.

L’Académie a la certitude que le redressement du système scolaire, si impatiemment attendu par la Nation tout entière, devra, d’une part, s’inscrire dans la continuité de notre culture, faite d’enrichissements successifs et respectueuse de ses origines, et d’autre part, résister à la tentation de la facilité, qui n’a jamais eu d’autre résultat que l’aggravation des inégalités. L’exigence constitue le principe fondateur de l’école de la République ; elle doit le rester ou le redevenir.

Pour toutes ces raisons, l’Académie française estime nécessaire de reconsidérer les principes et les dispositions des réformes proposées.

Dans sa séance du vendredi 26 juin 2015, l’Académie des inscriptions et belles-lettres, à l'unanimité moins une abstention, a apporté son soutien à la déclaration adoptée par l'Académie française, le jeudi 11 juin 2015.

Source : academie-francaise.fr, le jeudi 11 juin 2015

 




Publié par Régis RAVAT le 24 juillet 2015

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