Forum de la langue française :
Claude Hagège s’oppose à l’enseignement intensif de l’anglais
Christian Rioux, le jeudi 5 juillet 2012, Québec
Spécialiste mondialement reconnu de l’enseignement des langues secondes, le linguiste français Claude Hagège, qui intervenait hier au Forum mondial de la langue française à Québec, estime que l’enseignement intensif de l’anglais en sixième année est «ainacceptablea». Selon ce partisan du multilinguisme, la décision du gouvernement de Jean Charest qui devrait toucher 20 % des classes dès l’an prochain viole l’esprit de la loi 101.
« C’est une mesure absolument inacceptable parce qu’elle crée un grave danger d’américanisation des élèves québécois, dit-il. La loi 101, qui fait du français la langue unique et nationale du Québec, est violée par cette disposition. » Selon lui, l’effet sera particulièrement néfaste sur les immigrés. « L’une des raisons principales de la loi 101, c’était l’intégration des immigrés. Si les immigrés sont maintenant anglicisés, alors la loi 101 perd tout contenu. »
Claude Hagège est pourtant connu pour son plaidoyer en faveur de l’enseignement des langues secondes (Le souffle de la langue, Odile Jacob). Il estime néanmoins que, compte tenu des menaces spécifiques que l’anglais fait peser sur le français au Québec, celui-ci ne devrait pas être enseigné trop tôt. « Au Québec, l’anglais devrait être enseigné plus tard, comme n’importe quelle langue seconde, dit-il. Un enseignement plus intensif peut se concevoir dans les pays scandinaves, la Hongrie ou la Finlande, dont les langues ne sont pas parlées par d’autres que leurs nationaux. Cela se conçoit beaucoup moins pour une langue à vocation mondiale comme le français. »
Selon le linguiste, qui a fait une intervention très remarquée hier au Forum mondial de la langue française, qui réunit 1200 francophones venus des cinq continents, « le français n’a pas à se soumettre à la vocation mondiale de l’anglais puisqu’il est lui-même une langue répandue dans le monde entier. Il vient en effet en seconde position aussitôt après l’anglais, bien que loin derrière, comme langue la plus répandue du monde ».
Il y a quelques années, Claude Hagège avait déjà qualifié l’enseignement de l’anglais au Québec dès la première année du primaire de « désastre » et craint qu’elle favorise « une double incompétence linguistique ». « La diversité, ce n’est pas une seule langue internationale à vocation mondiale et dominatrice. Et cela est encore plus vrai au Québec que dans le reste du monde ! »
« En guerre »
Dans un discours flamboyant, avec quelques phrases en chinois, en arabe et en peul, le linguiste polyglotte ne s’est pas gêné pour secouer les participants du Forum et rompre avec ce qu’il nomme les « ronrons consensuels permanents » ou les « assises mondaines » de la Francophonie. Pour Hagège, la Francophonie est ni plus ni moins « en guerre », non pas contre l’anglais, mais contre une américanisation qui veut imposer une langue unique sous couvert de mondialisation. Selon lui, « le français n’a pas reculé, même si l’anglais progresse beaucoup plus rapidement », et il est « l’allié des autres grandes entités culturelles », comme l’hispanophonie et la lusophonie.
Pour relever ce défi, dit-il, la Francophonie doit faire pression sur les ministères de l’Éducation des pays francophones afin de les convaincre de « donner une importance accrue à la langue française et à la diversité des cultures qu’elles n’ont pas encore ». Il faut aussi, dit-il, pousser les pays francophones du Nord à «afaire le maximum pour investir dans des pays francophones qui sont encore dans des situations précaires ». Car, précise-t-il, « les chiffres dont on se gargarise [80 % des francophones devraient être en Afrique en 2050], c’est agréable. Mais, ça risque de ne pas être vrai du tout ».
En terminant, le linguiste a tenu à soutenir sans réserve la lutte des étudiants québécois, dont plusieurs manifestaient hier devant le Centre des congrès de Québec. « Permettez-moi, dit le linguiste, […] de considérer que les grèves étudiantes du Québec sont une affirmation politique digne du plus grand respect et que ce sont eux, les étudiants québécois, qui tiennent entre leurs mains l’avenir de la Francophonie. »
Source : ledevoir.com, le jeudi 5 juillet 2012
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