Avenir de la langue française

Un geste d'éclat pour protéger le français

 

Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir

Au Québec, la deuxième ville francophone du monde, Montréal, s’anglicise. La langue française pourrait prendre sa place parmi les langues du monde si des mesures audacieuses étaient adoptées

 

Je suis préoccupé par l'avenir de la langue française, mais aussi et surtout inquiet pour cet avenir. Je suis déçu par l'importance très relative que la Francophonie confère elle-même à la protection et à la promotion de la langue française et je crois qu'il y a urgence d'agir pour que la langue que 70 États et gouvernements disent avoir en partage ne soit pas marginalisée au sein de la communauté internationale.

Ma préoccupation et mon inquiétude sont fondées sur des réalités et des faits qui annoncent un dangereux déclin de la langue française. Au Québec, la deuxième ville francophone du monde, Montréal, s'anglicise. Au Canada, le Commissaire des langues officielles a déclaré dans son dernier rapport que des fonctionnaires francophones ont toujours de la difficulté à travailler dans leur langue et que les Canadiens continuent de résister à l'idée que les juges de la Cour suprême du Canada aient une connaissance du français. En France, j'ai récemment été accueilli à mon arrivée à l'aéroport Montpellier-Méditerranée par des affiches commerciales unilingues anglaises et ai vu un journal télévisé de France 24 « en anglais », sans pouvoir d'ailleurs avoir accès à TV5... et retrouver dans la grille horaire du journal Le Monde celle de TV5 !

Les droits linguistiques de certains francophones belges semblent en péril, et l'Association suisse des journalistes de langue française a plaidé, au début de la présente année, pour la présentation au Parlement de la Confédération helvétique d'un projet de loi concernant l'usage de la langue française. Sur le continent africain, le ministre de l'Éducation nationale du Rwanda a décrété la fin de l'enseignement du français au Rwanda pour 2011, alors qu'au Vietnam l'anglais est devenu la langue étrangère choisie par 85 % des lycéens du pays.

J'ai constaté que la langue française n'avait pas droit de cité dans le nouvel aéroport de Barcelone, qui se trouve pourtant à une centaine de kilomètres de la frontière française, comme c'est le cas de la très grande majorité des aéroports, gares et ports du monde où les francophones sont orphelins de leur langue. Comme chercheur, j'ai constaté que le portail de l'Union européenne ne présente les nouveautés qu'en anglais, que le site de l'Union africaine (www.africa-union.org) nous accueille, sur sa page en français, par le slogan "Make Peace Happen 2010" et que le site de l'Organisation des États américains, dont le français est une l'une des quatre langues officielles, ne réserve qu'une place infime à la langue qu'ont pourtant en partage deux de ses États membres, le Canada et Haïti, et que parlent des millions de francophiles répartis dans les Amériques.

Prendre sa place

Je pourrais multiplier les exemples qui tendent à démontrer que la langue française est en voie d'être oblitérée dans l'espace public international et que les États et gouvernements de la Francophonie eux-mêmes n'exercent pas la vigilance qui s'impose pour prévenir son effacement de l'espace public national.

Sans souscrire à l'idée que l'avenir de la langue française est irrémédiablement compromis, je crois que celle-ci peut prendre sa place parmi les langues du monde si des mesures audacieuses sont adoptées. Les initiatives récentes de la Chine et de la Russie pour que leurs langues s'imposent comme langues internationales devraient être un réel incitatif pour que la Francophonie agisse avec célérité pour assurer la protection et la promotion de la langue française au sein de ses propres États et gouvernements de la Francophonie et qu'il s'agit d'une action qui devrait d'ailleurs précéder toute initiative visant à assurer la protection et la promotion de la diversité linguistique, et à promouvoir l'adoption par l'UNESCO d'une nouvelle convention analogue à celle relative à la diversité des expressions culturelles.

Test de volonté

Un geste d'éclat doit être fait, un geste symboliquement fort et juridiquement contraignant en cette année du 40e anniversaire de la Francophonie: l'annonce de l'élaboration d'une Convention internationale sur la protection et la promotion de la langue. La Charte de la Francophonie, telle qu'elle a été adoptée lors de la Conférence ministérielle de la Francophonie du 23 novembre 2005, n'énumère même pas parmi ses objectifs la promotion et la protection de la langue française, et l'élaboration d'une telle convention lancerait un message clair à la communauté internationale sur la volonté des États et gouvernements de la Francophonie de passer à l'offensive.

Une telle convention testerait la volonté réelle des membres de la Francophonie de s'engager dans un combat réel en faveur de la langue française. Cette convention devrait contenir des engagements à caractère national, inspirés par ceux contenus dans la Charte de la langue française adoptée du Québec et la loi Toubon en France, régissant le statut de la langue française et reconnaissant des droits linguistiques fondamentaux. Les États et gouvernements devraient également s'y engager à protéger et à promouvoir l'utilisation de la langue française comme langue de la législation et de la justice, de l'Administration, du travail, du commerce et des affaires et de l'enseignement.

S'agissant des engagements à caractère international, la future convention pourrait faire fond sur les énoncés relatifs à la langue française contenus dans le Cadre stratégique décennal de la Francophonie (2005-2014) et la Déclaration finale du Sommet de Québec (2008), mais également s'inspirer du contenu de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l'UNESCO. La création d'un Fonds international pour la protection et la promotion de la langue française pourrait être envisagée et l'on devrait également songer à la création d'une Conférence ministérielle permanente des ministres responsables de langue française (CONFELF) pour assurer la mise en œuvre et le suivi de la nouvelle convention.

Pour rendre hommage aux pionniers de la Francophonie, Léopold Sédar Senghor, Hamani Diori, Habib Bourguiba et Norodom Sihanouk ainsi qu'au Québécois Jean-Marc Léger, le secrétaire général de la Francophonie, M. Abdou Diouf, doit prendre l'initiative et inviter ses États et gouvernements membres de la Francophonie à être audacieux en adoptant une Convention internationale sur la protection et la promotion de la langue française qui contribuera à assurer la pérennité et le rayonnement de la langue française comme la langue internationale.

 

Daniel Turp,

Professeur à la faculté de droit de l'Université de Montréal


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Extraits d'une communication prononcée lors des dixièmes Entretiens de la Francophonie le 27 mai 2010 à Lyon.

La version intégrale peut être consultée à l'adresse www.danielturpqc.org


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Source : ledevoir.com, le mardi 1er juin 2010

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