N° 293
S É N A T
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011


Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 février 2011


RAPPORT


FAIT


au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de loi de MM. Roland COURTEAU,

Jean-Pierre BEL, Serge LARCHER, Mmes Bernadette BOURZAI,

Françoise CARTRON, Maryvonne BLONDIN, M. Robert NAVARRO, Mme Françoise LAURENTPERRIGOT,

M. Claude BÉRIT-DÉBAT, Mme Patricia SCHILLINGER, M. Michel TESTON,

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, M. Jean-Jacques MIRASSOU, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Gérard MIQUEL,

Alain ANZIANI, Roland RIES, Mme Renée NICOUX, MM. Jean-Jacques LOZACH, Michel BOUTANT,

René-Pierre SIGNÉ, Jean-Pierre SUEUR, Louis MERMAZ, François MARC, Simon SUTOUR,

Marcel RAINAUD, Edmond HERVÉ, Didier GUILLAUME, Jean-Étienne ANTOINETTE,

Jean-Marc TODESCHINI, Mme Michèle ANDRÉ, M. Daniel RAOUL, Mme Nicole BONNEFOY,

 MM. Philippe MADRELLE, Jean-Marc PASTOR, Yves CHASTAN, Pierre-Yves COLLOMBAT, Bernard PIRAS,

Claude DOMEIZEL, Jean BESSON, Claude HAUT, Jean-Claude FRÉCON, Jacques BERTHOU,

Jacky LE MENN, Michel SERGENT, Daniel REINER, Mme Jacqueline ALQUIER, M. Martial BOURQUIN,

Mme Odette HERVIAUX, MM. Yannick BOTREL, Marc DAUNIS, François PATRIAT, Yves DAUGE,

Ronan KERDRAON, Mme Josette DURRIEU , MM. Alain FAUCONNIER, André VANTOMME

et des membres du groupe socialiste,

 relative à l'installation de panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération en langue régionale,

 


Par Mme Colette MÉLOT,
Sénateur


(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre, président ; MM. Ambroise Dupont, Serge Lagauche,

David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, MM. Jean-Pierre Plancade,

Jean-Claude Carle, vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin,

Mme Catherine Dumas, secrétaires ; M. Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette

Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut,

Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mmes Brigitte GonthierMaurin,

Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mme Marie-Agnès Labarre,

M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage,

M. Alain Le Vern, Mme Christiane Longère, M. Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson,

Philippe Nachbar, Mmes Mireille Oudit, Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Roland Povinelli, Jack Ralite,

André Reichardt, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat : 136 (2010-2011)

 


S O M M A I R E

 


Pages


INTRODUCTION ......................................................................................................................... 5
I. UNE INTERROGATION SUR L’UTILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION DE LOI .......................................................................................................................................................... 7
II. UNE PRATIQUE QU’IL CONVIENT TOUTEFOIS DE CONSOLIDER............................ 9
III. UNE RÉDACTION QUI N’EST PAS COHÉRENTE AVEC L’OBJECTIF VISÉ ............. 13
EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE .......................................................................................... 17
• Article unique (article 3 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994)....................................................... 17
EXAMEN EN COMMISSION...................................................................................................... 19
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES.............................................................................. 23
TABLEAU COMPARATIF .......................................................................................................... 25
 

 

INTRODUCTION


Mesdames, Messieurs,


La présente proposition de loi a été déposée par notre collègue Roland Courteau et les membres du groupe socialiste. Elle vise à compléter la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, en précisant que les panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération peuvent être complétés d’une traduction en langue régionale.

La défense des langues régionales est un sujet passionnant qui mobilise le Parlement, quels que soient les courants politiques. En témoignent les propositions de loi qui se multiplient au Sénat comme à l’Assemblée nationale, telles que celles de M. Jean-Paul Alduy ou de M. Robert Navarro, relatives au développement des langues et cultures régionales, et déposées respectivement les 12 et 25 janvier 2011 avec certains de nos collègues membres de la commission de la culture. Parallèlement, des initiatives similaires ont été prises à l’Assemblée nationale par MM. Marc Le Fur et Armand Jung. La vivacité du débat est déjà perceptible comme l’attestent les nombreuses questions orales ou écrites relatives à ce sujet, soit près d’une dizaine en un an.

Cette mobilisation s’inscrit dans la dynamique suscitée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. En effet, le nouvel article 75-1 de la Constitution reconnaît les langues régionales comme constitutives du patrimoine de la France. Pour autant, il ne s’agit pas ici de se prononcer sur la portée de cette réforme et d’entamer les débats qui ne manqueront pas de naître à l’occasion de l’examen de l’un des textes précités. Loin de s’attaquer à la question très générale de la promotion des langues régionales, la présente proposition de loi vise à traiter une question très précise et circonscrite : la signalisation bilingue des entrées et sorties de ville. L’objectif est de transcrire dans la loi ce qui n’est pas interdit, et qui est d’ailleurs pratiqué dans de nombreux endroits en France.

Votre commission souhaite donc limiter son examen à ce seul sujet.

 


I. UNE INTERROGATION SUR L’UTILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION DE LOI

De nombreuses communes ont déjà fait le choix d’installer des panneaux bilingues, utilisant à la fois la langue française et une langue régionale. Comme le rappelle l’exposé des motifs de la proposition de loi, la combinaison des articles 3 et 21 de la loi du 4 août 1994, relative à l’emploi de la langue française, permet aux communes d’installer des panneaux d’entrée d’agglomération en langue régionale.

En effet, si l’article 3 dispose que « toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinée à l’information du public doit être formulée en langue française », l’article 21 précise que « les dispositions de la présente loi s’appliquent sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s’opposent pas à leur usage ».

Le Conseil Constitutionnel a confirmé cette interprétation dans sa décision n° 94-345 du 29 juillet 1994 sur la loi du 4 août 1994 précitée : « Considérant que la loi relative à l’emploi de la langue française prescrit sous réserve de certaines exceptions l’usage obligatoire de la langue française dans les lieux ouverts au public, dans les relations commerciales, de travail, dans l’enseignement et la communication audiovisuelle ; qu’elle n’a toutefois pas pour objet de prohiber l’usage de traductions lorsque l’utilisation de la langue française est assurée (…) ».

Les langues régionales peuvent donc figurer sur les panneaux d’entrée de ville, mais à condition qu’il s’agisse d’une signalisation bilingue comprenant le nom en langue française. C’est d’ailleurs cette réponse qui a été régulièrement donnée aux parlementaires ayant abordé ce sujet lors de questions écrites ou orales. Ainsi, à une question de notre collègue M. Bérit-Débat du 14 janvier 2010, le ministre de la culture a tout d’abord rappelé à la fois l’article 75-1 de la Constitution disposant que « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » et la hiérarchie des normes entre la Constitution et tout autre texte législatif. Il a en outre ajouté que l’« on peut envisager le développement des langues régionales sans avoir nécessairement à légiférer. En effet l’appareil législatif et réglementaire actuel offre des possibilités qui ne sont pas toujours exploitées. De la signalisation routière à la publication des actes officiels des collectivités territoriales, il y a maintes occasions de manifester un bilinguisme français-langue régionale ». Les réponses aux questions de MM. Robert Navarro, Roland Courteau ou de Mme Maryvonne Blondin ont permis de préciser la position du gouvernement sur le sujet. Ainsi a-t-il été indiqué par le ministre de la culture et de la communication que « le cadre législatif actuel permet une présence plus affirmée des langues régionales dans l’espace public : d’importantes marges de progression subsistent, qui ne sont pas toujours exploitées, qu’il s’agisse par exemple de signalisation routière ou urbaine, ou des actes officiels des collectivités territoriales qui, du moment qu’ils le sont aussi en français, peuvent être publiés en langue régionale ». La réponse1 du 23 décembre 2010 va plus loin puisqu’elle indique que « les collectivités (…) sont incitées à adopter une signalisation routière ou urbaine bilingue et les formes traditionnelles et correctes de la toponymie, parallèlement à la dénomination officielle ».

Aussi peut-on s’interroger sur l’opportunité d’inscrire dans la loi une disposition qui semble a priori inutile, car autorisant une pratique non proscrite.  

 

 1 Respectivement publiées au JO Sénat des 4 mars 2010, 22 avril 2010, 1er juillet 2010, 2 septembre 2010, et 23 décembre 2010

 


II. UNE PRATIQUE QU’IL CONVIENT TOUTEFOIS DE CONSOLIDER

Malgré une utilité dont on peut douter à première vue, plusieurs éléments plaident néanmoins en faveur d’une prise en compte de la proposition de loi n° 136. C’est d’ailleurs le sens de la réponse du ministre de la culture et de l’éducation, par la voix du ministre de l’éducation nationale, à une question orale de notre collègue député M. Armand Jung posée le 1er février 2011. En effet, après avoir rappelé qu’il existait déjà beaucoup de panneaux bilingues à l’entrée des agglomérations, le ministre a mentionné l’examen prochain de la présente proposition de loi au Sénat en ajoutant : « essayons de trouver le moyen le plus adapté pour offrir un cadre juridique sûr à l’installation de panneaux de signalisation bilingues à l’entrée des villes ».

Le cadre juridique n’est-il donc pas sûr ? A priori rien n’interdit l’installation des panneaux bilingues aux entrées de ville. Pourtant, une récente décision du tribunal administratif de Montpellier met en évidence des conditions ou contraintes qui pourraient venir limiter les possibilités souvent rappelées dans ce domaine.

Dans cette décision du 12 octobre 2010, le juge administratif a enjoint à une commune, Villeneuve-lès-Maguelone, de procéder à l’enlèvement de panneaux portant la transcription en occitan du nom de la commune. Les deux motifs principaux sur lesquels le jugement est fondé sont, d’une part, le non-respect des règles de sécurité routière et, d’autre part, l’absence de fondement historique de la transcription du nom de la commune en occitan. L’analyse de chacun de ces points est intéressante.

En ce qui concerne les considérations de sécurité routière, la décision précise que « les panneaux litigieux peuvent être confondus avec les panneaux d’entrée d’agglomération de Villeneuve-lès-Maguelone portant le nom de la commune en français dont les dimensions sont égales ou même inférieures ; que dans les circonstances de l’espèce, la pose de ces nouveaux panneaux ne portant pas le nom usuel de l’agglomération sous les panneaux portant le nom français de la commune ne répond pas aux objectifs de sécurité routière (précitée) ; que, de ce fait, les panneaux en cause remplissent une fonction ambiguë nuisant à la clarté nécessaire de l’information que requiert l’obligation de prudence et de sécurité (…) ».

 

Les dispositions relatives à la signalisation routière figurent aux articles R. 411-25 et suivants du code de la route. Ce texte réglementaire, issu de l'article 3 alinéa 1er de la loi du 3 juillet 1934 ratifiant la Convention internationale sur l'unification de la signalisation routière de 1931 (aujourd'hui Convention de Vienne du 8 novembre 1968), renvoie lui-même à un arrêté conjoint du ministre chargé de la voirie nationale et du ministre de l'intérieur.

Il s'agit de l'« instruction interministérielle sur la signalisation routière » qui ne prévoit pas de disposition spéciale permettant l'inscription, sur les panneaux de signalisation des entrées d'agglomération, d'une traduction en langue régionale - la seule dérogation à l'utilisation normale de la langue française ayant trait à l'utilisation des langues frontalières des pays situées à proximité.

Les limites des agglomérations sont fixées par arrêté du maire (article R. 411-2 du code de la route). Le panneau d'entrée d'agglomération doit impérativement être compris par l'usager. En effet, il a des effets juridiques importants. Il oblige, par sa seule présence, l'usager à limiter la vitesse à 50 km/heure. À cet égard, il sert de fondement à de très nombreuses poursuites pénales et doit demeurer aussi compréhensible que possible.

Source : secrétariat d’État aux transports

 

Toutefois les arguments vont au-delà de la clarté de l’affichage et mettent en évidence une incompatibilité entre l’utilisation des langues régionales et la réglementation en vigueur, puisque le juge ajoute que la transcription avec un « O » comportant un accent grave n’est pas possible, ce signe diacritique ne figurant sur aucune des annexes de l’arrêté du 7 juin 1977 relatif à la signalisation des routes et des autoroutes. Cet argument, qui apparaît dans les dernières considérations relatives à la sécurité routière, n’a certes pas entraîné à lui seul la décision d’injonction de dépose des panneaux litigieux, mais elle montre à tout le moins que la réglementation en vigueur n’est pas adaptée à la pratique d’inscription des noms d’agglomération en langue régionale. On est en droit de se demander si les contraintes typographiques réglementaires ne devraient pas être adaptées aux langues régionales et non l’inverse.

La deuxième raison évoquée par le juge est l’absence de fondement historique de la traduction occitane. La commune visée n’a pas été en mesure d’invoquer l’existence d’un usage local suffisamment ancien et constant de la toponymie employée. Mais le juge ajoute une autre condition dans la possibilité de traduction en langue régionale : « lorsque des circonstances particulières ou l’intérêt général le justifient ». Si la notion de fondement historique s’articule parfaitement avec celle de « patrimoine de la France » énoncée à l’article 75-1 de la Constitution, on peut s’interroger sur la portée de la référence à des circonstances particulières ou à l’intérêt général.

Ce dernier point est très important : une telle condition – jamais évoquée auparavant – ne pourrait-elle pas être à la source d’une interprétation restrictive de la possibilité d’installation de panneaux bilingues, dans le cadre de contentieux à venir ? Il serait dommage de revenir sur une pratique, autorisée jusqu’à aujourd’hui par la loi et le juge constitutionnel.

Il est évident qu’un calendrier différent, qui aurait permis d’appréhender cette question ultérieurement, avec une jurisprudence plus fournie et précisée eût été préférable. Mais l’inscription à l’ordre du jour de cette proposition de loi nécessite un arbitrage. Or, sur le fond, le texte paraît à la fois utile pour asseoir une pratique déjà courante, sans être révolutionnaire puisqu’il ne fait que rappeler ce qui est déjà autorisé. L’intérêt de la consolidation de cette pratique paraît d’autant plus important qu’elle offre une garantie sur une question circonscrite, sans la lier aux autres considérations relatives à la promotion des langues régionales. En effet les nombreuses propositions de loi sur les langues régionales contiennent des dispositions relatives à la signalisation. Leur champ d’application est nettement plus étendu et elles proposent des règles plus contraignantes qui vont bien au-delà de ce qui est aujourd’hui pratiqué et simplement permis par la loi à défaut d’interdiction explicite. Votre commission devra débattre et analyser de telles propositions avant de se prononcer sur un sujet aussi sensible que la promotion des langues régionales.

 


III. UNE RÉDACTION QUI N’EST PAS COHÉRENTE AVEC L’OBJECTIF VISÉ

La rédaction de l’article unique soulève cependant deux difficultés majeures.

La première est le champ d’application puisque la disposition mentionne « les panneaux apposés sur la voie publique indiquant en langue française le nom d’une agglomération » sans plus de précision. Pourtant le titre de la proposition de loi mentionne bien les « panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération ». Il est fondamental de revenir sur cet oubli rédactionnel sous peine de favoriser la prolifération des panneaux qui mentionneraient le nom d’une agglomération, à côté d’autres inscriptions. Sans cette précision, cette disposition risquerait d’encourager la prolifération de panneaux inutiles dont on sait qu’ils peuvent facilement polluer nos paysages. Car une interprétation extensive pourrait effectivement englober le cas de panneaux publicitaires qui mentionneraient, entre autres, le nom de l’agglomération. Votre commission a soutenu fermement M. Ambroise Dupont dans son combat contre l’affichage publicitaire extérieur excessif et les pré-enseignes dérogatoires dans le cadre du Grenelle II. Il ne s’agirait donc pas d’ouvrir ici une brèche dans laquelle s’engouffreraient des personnes peu respectueuses des paysages. En outre, il convient de conserver la clarté de la signalisation qui doit rester aussi compréhensible que possible pour garantir une sécurité routière maximale. On n’imagine pas la prolifération de traductions des panneaux de signalisation directionnelle, tels que ceux indiquant, par exemple, les noms des agglomérations proches sur les autoroutes. En limitant la disposition au seul cas des panneaux réglementaires d’entrée ou de sortie d’agglomération, conformément au titre de la proposition de loi, les impératifs de sécurité routière seraient alors respectés, les autres installations devant être appréciées au cas par cas comme cela a toujours été fait jusqu’à maintenant.

Le second point qu’il est important de corriger est le terme de « traduction ». Cela signifierait en effet que tout maire pourrait décider de traduire le nom de sa commune, pourquoi pas en l’inventant, alors qu’il n’y aurait aucun fondement historique (ce que rappelle justement le tribunal administratif de Montpellier).

L’objectif est bien ici de préserver le patrimoine de la France mentionné à l’article 75-1 de la Constitution, pas d’en inventer un. C'est la formulation du toponyme en français qui est, historiquement, une traduction de l'appellation en langue régionale, et non l'inverse. Ainsi, Castel Nòu d'Ari (« Château neuf d'Ary ») a précédé l'appellation Castelnaudary, et Brageirac ne s'appelle Bergerac que depuis peu. Les vieilles chartes, les cartes, les cadastres et la littérature en témoignent…

 Le patrimoine toponymique de la France : les noms de villes

Comme la plupart des États européens, la France est linguistiquement hétérogène. La structuration de l'espace par la toponymie s'est faite en plusieurs langues : dans le domaine central, en français (selon diverses variantes dialectales : Saint-Claude, St-Cloud...), dans le domaine d'oc en occitan, en Bretagne occidentale en breton, etc. Ces langues évoluant en permanence, les noms de lieux se sont en outre transformés à travers le temps.

C'est ce qui est trop souvent oublié. Dans nos représentations mentales, les formes de la toponymie officielle sont immuables et constantes. En réalité, elles ne sont que les formes que l'administration a un jour transcrites plus ou moins fidèlement, et figées dans une forme phonétiquement et graphiquement recevable en français. Ne font exception que les toponymes des régions non francophones tardivement rattachées au territoire national (Alsace, Corse). On trouve ainsi Schirmeck, Niederbronn, Schiltigheim ou Ingersheim, qui ont gardé leur allure germanique, à côté de Mulhouse ou Strasbourg (les grandes villes, dont le nom a été francisé (Mulhausen, Strassburg, Strossburi en dialecte alsacien) ; la Corse présente pour sa part un cas particulier, puisque la forme officielle des noms de lieux n'est pas française, mais le plus souvent celle, plus ou moins prononcée à la française, de l'italien autrefois officiel (Ajaccio, Petreto-Bicchisano, Porto-Pollo : en corse Aiacciu, Pitretu-Bicchisghjà, Porti-Poddu).

Sur une grande partie du territoire, le français n'est donc pas langue première, mais est venu au cours du temps "recouvrir" les langues jusque là pratiquées. Certains accidents révèlent que l'appellation officielle est venue après l'appellation traditionnelle : le fonctionnaire qui a transcrit un jour Saint-Chinian ou Saint-Chamas ne comprenait manifestement pas qu'il avait affaire à Sanch Inhan, Sanch Amàs (Saint-Aignan, Saint-Amand), et il a pratiqué ce que les linguistes appellent une « mécoupure ».

Les noms de lieux (et de personnes) ont subi plusieurs types de traitement, qui vont du maintien en l'état - on l'a vu pour l'Alsace - à la traduction pure et simple, en passant par l'adaptation. Les plus exposés à la traduction sont naturellement les noms « transparents ». Les Sant-Peire, les Vilanòva, les Castelnòu sont souvent devenus Saint-Pierre, Villeneuve, Chateauneuf (encore qu'une traduction rigoureuse eût donné Neuville ou Neufchâteau en bon français parisis d'autrefois ! ces formes, qui sont des calques, trahissent leur caractère récent).

L'adaptation ou francisation consiste à faire passer Castelnòu non pas à Châteauneuf, mais à Castelnau, Brageirac à Bergerac, Bordèus à Bordeaux. Le latin tardif Aureliacu(m) « domaine d'Aurelius » a donné Orly en Ile-de-France et Orlhac en domaine occitan (prononcé ourliac) ; l'adaptation a consisté à écrire Aurillac.

En maints endroits, les appellations en langue française ne sont que des exonymes (noms français de lieux extérieurs au domaine linguistique français) : on dit Le Puy pour Lo Puech comme on dit Londres pour London. Les formes correctes de la toponymie sont attestées par l'usage des locuteurs, dont témoignent les pratiques courantes et les atlas linguistiques. Pour le passé, on les trouve dans les cartes, les chartes, la littérature, les cadastres.

Il est intéressant de relever que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, dans l'une de ses dispositions, préconisait « [l'adoption] des formes traditionnelles et correctes de la toponymie, [conjointement à la dénomination dans la langue nationale] ». Cette disposition figurait parmi les 39 mesures retenues par la France dans la Charte, et jugées constitutionnelles, contrairement au préambule, qui en a interdit la ratification (décision du Conseil constitutionnel en date du 15 juin 1999).

Source : audition du ministère de la culture et de la communication délégation générale à la langue française et aux langues de France

Votre commission pourrait envisager de se prononcer en faveur de cette proposition de loi sous réserve des modifications indispensables évoquées précédemment.

 


EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE

 

Article unique

(article 3 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994)

 

Cet article propose de modifier l’article 3 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française.
Art.3 : Toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinée à l'information du public doit être formulée en langue française. Si l'inscription rédigée en violation des dispositions qui précèdent est apposée par un
tiers utilisateur sur un bien appartenant à une personne morale de droit public, celle-ci doit mettre l'utilisateur en demeure de faire cesser, à ses frais et dans le délai fixé par elle, l'irrégularité constatée. Si la mise en demeure n'est pas suivie d'effet, l'usage du bien peut, en tenant compte de la gravité du manquement, être retiré au contrevenant, quels que soient les stipulations du contrat ou les termes de l'autorisation qui lui avait été accordée.

Il est proposé d’insérer un nouvel alinéa ainsi rédigé : « Les panneaux apposés sur la voie publique indiquant en langue française le nom d’une agglomération peuvent être complétés d’une inscription de la traduction de ce nom en langue régionale ».

Cette disposition vise à donner valeur législative à une pratique autorisée par la loi n° 94-665 précitée, notamment par son article 21 qui dispose que « Les dispositions de la présente loi s'appliquent sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s'opposent pas à leur usage. » Sur le fond, cette disposition est donc conforme à l’interprétation du Conseil Constitutionnel, précisée dans sa décision n° 94-345 du 29 juillet 1994.

Cette proposition de rédaction appelle deux observations :
La première relève d’un manque de précision quant aux panneaux visés par la proposition de loi. Compte tenu de son titre et des informations apportées par son auteur, il s’agit bien des panneaux réglementaires d’entrée et de sortie d’agglomération. La rédaction actuelle pourrait rendre une telle disposition applicable à tous les panneaux de signalisation, voire à des panneaux publicitaires apposés sur la voie publique et indiquant, notamment, le nom d’une agglomération.

La seconde remarque porte sur la formulation choisie de l’« inscription de la traduction de ce nom en langue régionale ». En effet, c’est le nom en langue française qui est la traduction du nom d’origine en langue régionale, et non l’inverse. La rédaction présentée est donc erronée et risquerait d’inciter des collectivités à opter pour des traductions n’ayant aucun fondement historique, c’est-à-dire n’ayant aucun lien par le patrimoine de la France mentionné par la Constitution.


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Compte tenu des observations qui précèdent, votre commission a décidé, à ce stade, de ne pas adopter de texte.

Sous réserve de l’adoption des amendements que votre rapporteur lui soumettra au cours d’une prochaine réunion, elle proposera au Sénat d’adopter la proposition de loi.

 


EXAMEN EN COMMISSION

 

Réunie le mercredi 9 février 2011, sous la présidence de M. Ambroise Dupont, vice-président, la commission procède à l’examen du rapport de Mme Colette Mélot sur la proposition de loi n° 136 (2010-2011) relative à l'installation de panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération en langue régionale.

Un débat s’engage après l’exposé du rapporteur.

M. Claude Bérit-Débat. – La proposition de loi vise les panneaux routiers ordinaires, et il me semble inutile de préciser qu’il s’agit des panneaux d’entrée et de sortie de ville. Sur la traduction, nous pouvons nous en remettre aux associations locales. Je suis moi-même originaire du Béarn, mais je vis en Dordogne : Bergerac est le nom occitan reconnu de tous, quelles qu’aient pu être par le passé les différences phonétiques ou graphiques. En Occitanie, toutes les communes ont un nom occitan. Je suis heureux que Mme le rapporteur ne soit pas hostile à cette proposition de loi ; discutons ensemble d’éventuels amendements.  

Mme Colette Mélot, rapporteur. – Je suis favorable à l’installation de panneaux d’entrée et de sortie de ville en langue régionale, mais il faut préciser le champ d’application du texte. En outre, pour éviter qu’un tribunal administratif ne demande l’enlèvement d’un panneau, il faut s’assurer que le nom régional ait un fondement historique. Encore une fois, c’est le nom français qui est une traduction.

Mme Maryvonne Blondin. – Ce texte vise à combler un vide législatif, puisque la loi n’autorise pas expressément les panneaux en langue régionale. Son objet est très circonscrit, car nous n’avons pas voulu attendre un grand débat sur les langues régionales. Nous avons en tête les panneaux réglementaires. En Bretagne, une signalétique bilingue a été mise en place depuis longtemps déjà : Quimper s’appelle aussi Kemper, ce qui en breton signifie « confluent ». Toutes les communes qui veulent installer un panneau de ce type doivent passer une convention avec l’Office culturel régional de la langue bretonne, qui certifie l’authenticité du nom ; du gallo, du glazik et du léonard, c’est le gallo qui a été retenu, comme dans les écoles Diwan.

Il y a un an, Mme Rama Yade avait répondu à l’une de mes questions orales qu’aux termes de la Constitution, les langues régionales appartenaient au patrimoine de la Nation, qu’il était envisageable de mettre en place une signalétique urbaine et routière en langue régionale, et que les actes officiels des collectivités territoriales, notamment les actes d’état-civil, pouvaient être publiés en langue régionale s’ils l’étaient aussi en français. La question ne concerne donc pas seulement les panneaux d’entrée et de sortie de ville. En Bretagne, le nom des bâtiments publics peut aussi être affiché dans les deux langues.

Mme Colette Mélot, rapporteur. – Mais le titre de la proposition de loi vise bien les panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération. Le temps n’est pas encore venu d’un large débat sur les langues régionales. À l’origine, je n’étais pas favorable à ce texte, car il me semblait superflu de légiférer sur une pratique autorisée. Mais M. Courteau m’a convaincue que la décision du tribunal administratif de Montpellier pouvait faire jurisprudence, et que de nombreuses communes pourraient être assignées en justice. Il faut préciser les choses, et c’est bien pourquoi je souhaite que ce texte soit précis.

M. Ambroise Dupont, président. – Moi qui suis Normand, j’en viens à regretter de n’avoir à ma disposition que le français…

Mme Marie-Thérèse Bruguière. – Je vis tout à côté de Villeneuve-lès-Maguelone. La commune a été attaquée par le « Mouvement républicain de
salut public », en réalité par un opposant à la municipalité. Il n’était pourtant pas bien difficile de comprendre le sens de l’inscription « Vilanòva-deMagalona » ! À Béziers une signalisation bilingue existe depuis longtemps et n’a jamais posé le moindre problème. La question des langues régionales touche au plus profond de l’être humain : tout dépend de la manière dont chacun a été élevé. Il était inacceptable de rebaptiser « Septimanie » la région Languedoc-Roussillon, comme le voulait son ancien président, sans rencontrer beaucoup d’opposition. Revendiquer notre culture régionale, ce n’est pas nous désolidariser des autres ! L’histoire de chaque région appartient au patrimoine commun. Inscrire le nom des villes en langue régionale peut aiguiser la curiosité des gens, voire encourager le tourisme. Si du nord au sud nous avions tous le même accent, les mêmes goûts, le même fromage, serait-ce bien gai ? Mais nous sommes Français avant tout.

Mme Colette Mélot, rapporteur. – La langue française est d’ailleurs celle de l’unité. (Mme Marie-Thérèse Bruguière acquiesce)

M. Pierre Bordier. – J’approuve cette proposition de loi. Mais les deux noms seront-ils inscrits sur le même panneau, ou sur deux panneaux ?

Mme Bernadette Bourzai. – Pour répondre aux objections de Mme le rapporteur, il suffirait de ne mentionner que les panneaux « réglementaires », et d’écrire qu’ils « peuvent être complétés d’une inscription de ce nom en langue régionale ». Comme elle l’a justement dit, le nom français est en général la traduction du nom en langue régionale. Je n’insisterai pas sur les spécificités limousines de l’occitan…

M. Ivan Renar. – Je suis d’accord avec Mme le rapporteur : il faut cibler les panneaux d’entrée et de sortie de ville, car les panneaux de direction sur les routes et autoroutes pourraient aussi bien être concernés. Sans doute les langues régionales appartiennent-elles au patrimoine national, mais l’un des mérites de la Révolution française fut de propager la langue française et de mettre fin à l’esclavage linguistique : un Breton pourrait désormais aller travailler à Marseille. Je crains le réveil du communautarisme.

M. Ambroise Dupont, président. – Mme Mélot souhaite justement limiter la portée de ce texte.
Mme Marie-Christine Blandin. – Les écologistes soutiennent cette proposition de loi. Dans le Nord-Pas-de-Calais, nous sommes solidaires des Occitans et des Bretons ; nous avons nous-mêmes quelques noms de ville picards, et dans le Nord, certaines communes comme Godewaersvelde ou Wormhout ont toujours refusé de voir leur nom traduit en français.

M. André Reichardt. – En Alsace, il existe de nombreux panneaux bilingues, et pas seulement à l’entrée ou à la sortie des villes. Cette proposition de loi ne règlerait rien : si le tribunal administratif a enjoint à la commune de Villeneuve-lès-Maguelone de retirer ses panneaux, c’est d’abord pour des raisons de sécurité, parce que le panneau était trop grand : à Souffelweyersheim, si le nom de la commune était traduit, un automobiliste n’aurait plus le temps de lire le panneau… Ensuite, le tribunal a estimé que le nom occitan n’avait aucun fondement historique. Mais en Alsace, l’office linguistique régional ne s’occupe pas de certifier les noms, et chaque commune retient la graphie de son choix, en se fondant sur la prononciation dialectale. Si la loi impose une traduction, il faudra décider qui traduit ! Nous ne sommes pas à l’abri d’un autonomiste puriste qui attaquerait la dénomination choisie par une commune… Enfin, si l’on se met à légiférer pour autoriser ce qui n’est pas interdit, ne faudra-t-il pas le faire pour les noms de rues ? L’intention est noble, mais il faut au moins réécrire ce texte, pour qu’il serve à quelque chose.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. – Si le tribunal administratif a condamné Villeneuve-lès-Maguelone, c’est, me semble-t-il, parce que les deux panneaux étaient superposés, au lieu que l’un soit installé un peu arrière de l’autre.

M. Jean-François Humbert. – Dans le Bas-Rhin, il existe un village du nom de Krautergersheim. Faudra-t-il l’appeler « Chouville » ? On est vraiment en train de chercher la petite bête !

La commission décide, à ce stade, de ne pas établir de texte.

 


LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

 

M. Roland COURTEAU, sénateur de l’Aube

M. David FAJOLLES, membre du cabinet du ministre de la culture et de la communication

M. Xavier NORTH, délégué général à la langue française et aux langues de France - ministère de la culture et de la communication

 

 

TABLEAU COMPARATIF
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Texte en vigueur

Loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française

Art. 3. - Toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinée à l'information du public doit être formulée en langue française.

Si l'inscription rédigée en violation des dispositions qui précèdent est apposée par un tiers utilisateur sur un bien appartenant à une personne morale de droit public, celle-ci doit mettre l'utilisateur en demeure de faire cesser, à ses frais et dans le délai fixé par elle, l'irrégularité constatée. Si la mise en demeure n'est pas suivie d'effet, l'usage du bien peut, en tenant compte de la gravité du manquement, être retiré au contrevenant, quels que soient les stipulations du contrat ou les termes de l'autorisation qui lui avait été accordée.

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Texte de la proposition de loi :

Proposition de loi relative à l'installation de panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération en langue régionale

Article unique :

L'article 3 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les panneaux apposés sur la voie publique indiquant en langue française le nom d'une agglomération peuvent être complétés d'une inscription de la traduction de ce nom en langue régionale. »


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Proposition de la commission :

Proposition de loi relative à l'installation de panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération en langue régionale
 

La commission a décidé de ne pas établir de texte


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