Langues régionales : le front anti-républicain
Anne-Marie
Le Pourhiet, professeur de droit public
( Journal Marianne
– n°876 – 31 janvier 2014 – p. 45)
La
proposition de loi constitutionnelle déposée par les députés socialistes
tendant à réviser la constitution française pour permettre la
ratification de la Charte européenne des langues régionales constitue
certainement la « cerise sur le gâteau » attestant que la quasi-totalité
de la gauche française et une partie de la droite ont définitivement
tourné le dos à la République et devraient dès lors avoir la décence de
ne plus se réclamer du « front républicain ». La re-féodalisation de la
société française, sous l’influence de l’idéologie multiculturaliste et
féministe, est assurément en voie de réalisation.
Dans
l’exposé des motifs hargneux et sectaire que le président de la
commission des lois a sans doute laissé rédiger par un militant
grossier, il apparaît clairement que l’objectif est de « faire tomber la
Bastille »… L’on ne saurait être plus explicite.
Le Conseil
d’État et le Conseil constitutionnel ont maintes fois jugé que la Charte
européenne était contraire aux principes de la Révolution française et
de la tradition républicaine inscrits dans notre Constitution. La
contrariété est, en effet, manifeste entre l’héritage révolutionnaire et
un texte d’inspiration ethnocentriste signé à Budapest sous l’influence
du lobby hongrois et de groupuscules à l’idéologie et l’histoire
nauséabondes. La déconstruction des États-nations au profit d’une Europe
des régions redessinées sur des bases ethniques est sous-jacente à tous
les textes du Conseil de l’Europe portant sur les questions minoritaires
et il serait urgent qu’une étude de leur « traçabilité » soit enfin
rendue publique. Il est tout de même curieux que le rapport
d’information qui précède la proposition de loi soit absolument muet sur
les rédacteurs et les origines de la Charte.
Un texte qui
érige le droit de pratiquer les langues régionales dans la « vie privée
et publique » en « droit imprescriptible », qui les définit comme celles
«apratiquées traditionnellement sur un
territoire d’un État par des ressortissants qui constituent un groupe »,
qui inclut dans ses objectifs et principes « le respect de l’aire
géographique de chaque langue régionale en faisant en sorte que les
divisions administratives existant déjà ou nouvelles ne constituent pas
un obstacle à sa promotion », qui préconise le maintien et le
développement de « relations entre les groupes pratiquant une langue
régionale et d’autres groupes du même État pratiquant une langue
identique ou proche » et, bien entendu, encourage le même rapprochement
entre les groupes de locuteurs transfrontaliers, sans oublier les
discriminations « positives » linguistiques, c’est-à-dire des
passe-droits en faveur des autochtones, est évidemment radicalement
incompatible avec la Déclaration de 1789 et l’article 1er de
notre Constitution. Ces stipulations parfaitement explicites ne
dissuadent cependant pas nos honorables parlementaires de prétendre
encore que la Charte vise les langues et non les groupes qui les
parlent, comme si une langue pouvait jouir d’un « droit imprescriptible
». De qui se moque-t-on ?
La
présentation de la proposition socialiste accuse cependant le Conseil
d’État et le Conseil constitutionnel d’être tout à la fois
inconsistants, partiaux, irrationnels, incohérents et intolérants !
Jamais on n’a lu une telle charge contre les institutions dans un
document parlementaire.
Le débat
dans l’hémicycle a encore été l’occasion d’incantations parfaitement
creuses, de platitudes et d’euphémismes consternants sur la richesse et
la diversité linguistiques. Jamais les signataires du texte n’ont été
capables de décrire concrètement ce qu’ils attendent de cette
ratification et quel « programme linguistique » ils espèrent ensuite
pouvoir appliquer. Rien n’est donc annoncé des intentions précises des
initiateurs qui se contentent parfois de trahir leur clientèle en
révélant quelques attentes des « militants » s’exprimant avant toutes
choses en termes de postes et de recrutement préférentiels que nul,
évidemment, ne se hasarde à chiffrer. Et pour cause.
Mais cette
initiative parlementaire est en réalité une ruse politique, car une
proposition de loi constitutionnelle, contrairement à un projet de
l’exécutif, ne peut être adoptée que par référendum, ici voué à l’échec.
En réalité, ladite proposition est seulement destinée à compter les
députés et sénateurs favorables à la charte pour vérifier si un projet
de loi ultérieur initié par François Hollande pourrait recueillir la
majorité des trois cinquièmes au Congrès. La République aussi a des
cornes.
Source :
Journal Marianne –
n°876 – 31 janvier 2014 – p. 45