Conditions de travail :

La fracture linguistique au travail s’élargit

Illustration : La fracture linguistique au travail s’élargit

La loi Toubon sensée garantir la primauté de la langue française au travail se trouve largement battue en brèche. Le «aCollectif pour le droit de travailler en français », sonne l’alarme pour démontrer qu’un usage abusif de l’anglais est source de dysfonctionnements, de stress et de discriminations dans les évolutions de carrières. Les syndicats estiment que les salariés ne parlant pas anglais seraient en premier lieu menacés dans le cadre des plans sociaux.

Une dizaine de salariés de la comptabilité générale d’Europe Assistance, en poste en France, ont eu la surprise d’apprendre qu’ils devraient utiliser en 2007 un logiciel exclusivement en anglais. Un programme de formation à l’anglais des comptables à bien été lancé, le manuel d’utilisation des logiciels a été traduit en français, mais la direction refuse de traduire le logiciel. Dans le même temps, les commerciaux ont appris qu’ils allaient être amenés à alimenter en anglais une base de données internationale. Des conditions qui ont conduit la CFTC à déposer un recours devant le TGI de Nanterre, dont l’audience est prévue le 9 mars prochain. « Si une erreur est effectuée dans l’utilisation du logiciel, c’est le salarié qui en portera la responsabilité », souligne Muriel Tardito, déléguée CFTC de cette filiale du groupe italien Generali. La loi Toubon du 4 août 1994, article L122-39-1 du code du travail, stipule bien que « tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français ». Pour Philippe Lapille, l’avocat de la CFTC d’Europe Assistance sur ce dossier, « en généralisant l’usage de l’Anglais, les directions créent des zones d’incompétences sans fondements. Cela déstabilise des salariés qui sont par ailleurs compétents. Au lieu d’améliorer la circulation des informations, cette approche conduit au contraire à des erreurs et in fine à une perte d’efficacité.» En matière de contentieux, l’affaire General Electric Healthcare a définitivement ouvert une porte. Le 2 mars 2006, la cour d’appel de Versailles a en effet condamné GE Healthcare à une pénalité de 570 000 € pour ne pas avoir assuré la traduction en français de 58 documents techniques et de sécurité. La direction s’est pourvue en cassation, dont l’arrêt conclusif ne tombera pas avant un an. En attendant, l’ensemble des documents ont été traduits. Le risque juridique est désormais entendu par les directions à l’instar de celle Hewlett-Packard France, qui a pour le moment gelé son projet visant à délocaliser en Inde le service d’assistance informatique interne. Les salariés auraient été alors amenés à exprimer en anglais la nature du problème informatique qu’ils connaissent. Alertée par la CFTC, l’inspection du travail n’a pas tardé à mettre en garde la direction. «20% des salariés n’ont pas un niveau d’anglais suffisant pour converser dans cette langue. Un tel projet serait donc discriminatoire et se traduirait par du stress supplémentaire pour une partie des salariés », explique Jean-Paul Vouiller, le Délégué central CFTC d’Hewlett-Packard. 

Les limites des actions en justice

Les représentants syndicaux de toutes les obédiences ayant rallié  le « Collectif pour le droit de travailler en Français » ont sonné l’alarme le 8 février dernier lors d’une conférence qui se tenait symboliquement à l’Assemblée Nationale. Les exemples d’usage abusifs se sont accumulés pendant près de 2 heures. Reste que très peu d’actions en contentieux sont engagées au regard de ces multiples contournements de la loi Toubon. Les syndicats n’ont manifestement pas les moyens de se lancer systématiquement dans des procès sur ce terrain. Et cela même lorsque les écarts de langage deviennent discriminants dans les évolutions de carrières. Seule la CFTC a inscrit dans sa motion d’orientation, lors de son congrès de 2005, la défense du français au travail. C’était d’ailleurs la seule confédération représentée le 8 février dans le Collectif. Mais la défense du français au travail ne passe pas exclusivement par du contentieux. La mise en place d’une « commission de terminologie » chez Axa Assistance a été par exemple l’occasion de partager des définitions communes des termes usités dans l’entreprise. « L’idée de cette commission ne vise pas à faire la chasse aux anglicismes. C’est avant tout l’occasion d’échanger sur la question linguistique pour améliorer la circulation de l’information », souligne Jean-Loup Cuisiniez, le délégué CFTC d’Axa Assistance et par ailleurs porte parole du Collectif. En 1999, la CFTC avait mis 6 mois pour convaincre Axa Assistance de ne pas déployer un système de messagerie électronique entièrement en anglais. Les CHSCT (Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail) représentent également des leviers pour pointer les incidences d’un recours systématique à l’anglais sur les conditions de travail et faire ainsi réfléchir les directions. Le récent rapport sur le stress professionnel de GE Healthcare produit à l’initiative du CHSCT identifie d’ailleurs très bien les incidences du facteur linguistique. Et Jocelyne Chabert, déléguée CGT de GE Healthcare de rappeler, « les deux CHSCT de l’entreprise se sont portés partie civile lors du procès. »  

Rodolphe Hederlé
Mis en ligne le : 20/02/2007

 

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QUEL AVENIR POUR LA LOI TOUBON ?

 

Le Sénat a voté à l’unanimité une proposition visant à renforcer la loi Toubon depuis maintenant un an. Proposé par le sénateur Philippe Marini, le texte vise notamment à contraindre les entreprises de plus de 500 salariés à faire le point sur l’usage du français dans leur rapport annuel. Une proposition dont l’Assemblé Nationale n’a pour le moment pas été saisie. 

Faut-il y voir un lien avec un droit communautaire qui affirme que les informations associées aux biens et aux produits peuvent être rédigées dans la langue compréhensible par le plus grand nombre ? Des jugements n’ont pas manqué de spécifier qu’il s’agissait de l’anglais. Un droit qui s’impose pour le moment aux seuls consommateurs, mais dont certains prédisent qu’il ne tardera pas à s’appliquer aux travailleurs.


      
Source : Novethic.fr,  20 février 2007

 

 

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