Francis Cabrel et la loi Toubon

Entrevue avec Francis Cabrel

■  M.L. : Comment expliquez-vous la relative rareté des grands talents français ?

► F.C. : Je crois que la faute réside dans les maisons de disques. Les directions des majors ont opté il y a quelques années pour une politique réductrice. Ils veulent faire beaucoup d'argent au détriment de la créativité. Ils ont compilé un maximum et les tops 50 ont plus favorisé les entreprises à court terme que les véritables carrières. Ils ne pensent qu'à faire des coups lucratifs.

 

■  M.L. : Que pense l'auteur de « Petite Marie » de la loi Toubon ?

► F.C. : Je suis assez favorable à ce qu'on arrête la profusion de mots anglais. À condition qu'on ne tourne pas au ridicule avec des traductions au premier degré comme on en trouve dans le fameux dictionnaire officiel. Sinon, je trouve qu'on se laisse gentiment envahir. Prendre le "shuttle" pour aller en Angleterre, je trouve ça nul. C'est ce genre d'exemple qui montre qu'il faut être vigilant.

Je veux mettre le doigt là où ça fait mal

■ M.L. : Quel est le plus mauvais souvenir de votre vie de... star ?

► F.C. : Quand Agen a perdu la finale de rugby contre Béziers. Ça a été terrible, les prolongations étaient interminables... Sinon, dans mon métier, c'est le moment où j'ai vu le top 50 arriver, avec les chansons vite consommées. J'ai pensé que je m'étais trompé. Si ce genre de truc marche moins, les dégâts sont grands. C'est un peu comme la politique agricole commune, ça donne une campagne où il n'y a plus rien.

 

■  M.L. : Votre inspiration musicale est américaine. Vous n'avez pas envie, comme d'autres, d'enregistrer les chansons que vous aimez ?

►  F.C. : Ce serait tout en anglais et ça me pose un cas de conscience (rire). Je n'aime pas m'entendre chanter en anglais et en plus ça m'épuise.

 

■  M.L. C'est inconcevable, des traductions ?

►  F.C. : Non, c'est un projet qui tient toujours. Encore un ! (sourire). Ça me plairait de traduire Dylan, Cohen ou Kate Bush. Mais c'est difficile, c'est beaucoup de travail et je n'ai jamais eu le courage de m'y atteler.

 

■  M.L. : Et du côté des Français ?

►  F.C. : J'aimerais bien faire un disque ou un concert de blues avec Paul Personne, Bill Deraime ou Patrick Verbecke.

 

■  M.L. : Et si un jour le public ne répondait plus ?

►  F.C. : C'est que j'aurais perdu l'œil et l'oreille qui jusqu'à présent m'ont toujours dit voilà une chanson qui tient debout et en voilà une autre qui ne tient pas. Si un jour ça ne marche plus, c'est que je ne saurais plus faire de chansons. Ce sera le fameux disque de trop que je veux éviter quoi qu'il arrive.

 

■  M.L. : Qu'est-ce que cela signifie d'être un chanteur populaire ?

►  F.C. : Ce n'est pas péjoratif. Ça veut dire ce que ça veut dire. Chanteur ? C'est plus chanteur qui me déplaît que populaire. Ça réduit la signification. Il faudrait que ce soit dit en terme plus long, comme auteur, compositeur, interprète. Non, c'est affreux. Alors disons chanteur.

 

Propos recueillis par Claude-A. MAURIN

 

 

► LES CONCERTS.- Francis Cabrel sera le 22 novembre à Avignon, les 2 et 3 décembre à Montpellier, le 6 décembre à à Perpignan, les 14 et 15 décembre à Toulouse.

 

Source : Midi Libre, le vendredi 6 mai 1994



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