Multilinguisme

Ciao domnule Orban et danke you

Publié le 11 février 2010  |   Dilema Veche

 

Considéré comme un portefeuille de seconde zone, le poste de commissaire au Multilinguisme, créé en 2007 et attribué au Roumain Leonard Orban, s'est révélé être plus utile qu'il n'y paraissait, constate Dilema Veche. Dommage qu'il disparaisse.

« Oui, monsieur, vous avez raison, nous sommes doués pour les langues étrangères ! » À Bruxelles, lors d'un colloque sur la place de la Roumanie dans l'UE, en 2006, j'étais tombé par hasard sur un chauffeur de taxi roumain. Sur le chemin, je pensais tout haut ce que j'allais dire et j'avais commencé à bavarder avec ce compatriote. « Quel est le secteur où nous sommes particulièrement forts ? », lui demandais-je. « Je dirais l'agriculture et le tourisme, comme tout le monde… », répliqua le chauffeur. « Peut- être les programmeurs, les… comment on dit ? Softistes, calculateuristes ? » Et soudain j'ai réalisé : « Monsieur, des traducteurs et interprètes, voilà ce que nous pouvons donner à l'Europe ! ». Le chauffeur était quelque peu perplexe. Et pourtant, sur son taxi, on pouvait lire : « Nous parlons anglais et espagnol ».

Le multilinguisme, une vertu roumaine

En Roumanie, parler des langues étrangères est une vertu. J'ai toujours eu le sentiment que le pourcentage de Bucarestois capables d'indiquer une rue en anglais (ou français ou allemand) était nettement supérieur par rapport à Sofia, Prague ou Budapest. Les Scandinaves parlent tous couramment anglais ou allemand, mais au sud, c'est plus laborieux : les Français ont eu besoin de coûteuses campagnes publiques pour commencer à apprendre l'anglais ; les Italiens sont trop envoûtés par la beauté de leur propre langue ; les Espagnols apprennent localement les langues des touristes majoritaires (allemand ou français, outre la difficulté de l'apprentissage du castillan ou du catalan).

Pendant le séminaire, lorsque le chef de la délégation de la Commission européenne en Roumanie, Jonathan Scheele, a posé la question du domaine où la Roumanie serait le plus à l'aise, j'ai répété avec enthousiasme tout ce que j'avais dit plus tôt dans le taxi. « Si jusqu'à récemment, nous étions les tailleurs de l'Europe, et il n'y avait pas de honte à cela, pourquoi ne serions-nous pas les traducteurs et les interprètes de l'Europe ? En Roumanie, les chefs de l'État sont raillés lorsqu'ils font des gaffent dans une langue étrangère, ce qui n'arrive pas vraiment dans d'autres pays ». Chez nous, cela fait partie de l'ordre naturel des choses. Ne pas connaître une langue étrangère est considéré comme une honte. À l'Ouest, personne ne s'en soucie. Ils ont le complexe de supériorité des grandes cultures, et n'ont pas besoin d'apprendre la langue du voisin.

Le hasard fait bien les choses

Est-ce donc un hasard si, lors de l'adhésion de la Roumanie, en 2007, le premier commissaire européen roumain, Leonard Orban, a écopé de l'inédit portefeuille du multilinguisme ? Pourtant, à l'époque, beaucoup en Roumanie ont été vexés par cette attribution, digne d'un « pays de seconde zone ».

Et finalement, pendant les presque trois années où il a été à son poste, Orban n'a pas chômé : on lui doit par exemple la reconnaissance du gaélique d'Irlande comme langue officielle de l'Union, alors que les Catalans, les Corses et les Basques ont déposé des demandes en ce sens. À peine installé, il s'est par ailleurs consacré à l'organisation de son service, et notamment du plus grand corps de traducteurs et d'interprètes au monde. De plus, en tant que premier titulaire de ce poste, il a défriché le terrain et a même trouvé un thème pour une stratégie communautaire : « Les langues et la compétitivité économique », et il a lancé un système de bourses Erasmus pour les entreprises.

Les Britanniques ont en effet constaté que leurs entreprises perdaient beaucoup d'argent et que la productivité était en baisse parce que, pendant des décennies, ils n'avait pas fait l'effort d'apprendre une langue étrangère, l'anglais leur paraissant suffisant pour les affaires. Les Français l'ont compris et l'an dernier, ils ont lancé en grande pompe une campagne spectaculaire (et pleine d'humour) invitant les gens à apprendre l'anglais. Enfin, Orban a dû assurer la représentation au sein de la Commission d'une Roumanie incertaine, hésitante, débutante dans la pratique de la bureaucratie communautaire.

 

Gabriel Giurgiu

 

Source : presseurop.eu, le 11 février 2010

http://www.presseurop.eu/fr/content/article/187981-ciao-domnule-orban-et-danke-you

 

 

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Réaction de krokodilo :

Le 13/02/2010

Navré de vous contredire, mais la suppression du service du plurilinguisme et des généreux salaires qui y étaient investis me paraît une bonne chose, étant donné que M. Orban et la Commission européenne ont tout fait pour soutenir l’anglicisation de l’UE, ou du moins n’ont absolument rien fait pour entraver cette évolution, rien non plus pour porter ce débat au Parlement ou devant les peuples concernés.

J’en veux pour preuve le programme Erasmus mundus, véritable cheval de Troie de l’anglais dans le monde universitaire, à la suite du processus de Bologne, ou la proposition récurrente de faire de l’anglais la langue des activités portuaires, et l’usage exclusif de l’anglais dans les relations extérieures de l’Union (excepté quelques zones d’influence traditionnelles du français, et encore). Ou encore cette absurde invention de la certification en langues, qui draine tout le flux financier vers la GB, alors que les professeurs pouvaient le faire gratuitement !

Votre article confirme implicitement votre acceptation de l’anglais comme lingua franca de l’Union, et votre indifférence au fait qu’il est imposé à l’école, et non librement choisi par les parents.

Nous n’avons nul besoin d’un service du plurilinguisme, puisque l’Europe est naturellement plurilingue, et que chaque Européen ou presque est déjà polyglotte à divers niveaux dans diverses langues, comme vous le rappelez, et c’est d’ailleurs le seul point de votre article sur lequel je suis d’accord. Nous avons besoin de débattre des vrais problèmes, des vraies difficultés liées à ce plurilinguisme, que l’on peut scinder en deux aspects : la communication au sein de l’UE, au parlement et dans les organismes de coopération, et, d’autre part, la communication entre les Européens, condition sine qua non à la naissance d’une opinion publique européenne et de partis transnationaux..

Vous alignez des affirmations approximatives et contestables, comme « les Italiens sont trop envoûtés par la beauté de leur propre langue » alors qu’ils ont été parmi les premiers à rendre l’anglais obligatoire, qu’ils utilisent le mot « mouse » pour la souris..., « les Espagnols apprennent localement les langues des touristes majoritaires (allemand ou français, outre la difficulté de l'apprentissage du castillan ou du catalan). » alors que les recommandations européennes sont justement d’apprendre la langue de ses voisins ! En quoi l’apprentissage de l’espagnol ou du catalan est-il plus difficile que celui du français ou de l’anglais, dont la difficulté phonétique est reconnue par tous les linguistes ? La prétendue facilité de l’anglais est de la pure propagande, de la désinformation.

« Les Scandinaves parlent tous couramment anglais ou allemand, mais au sud, c'est plus laborieux : les Français ont eu besoin de coûteuses campagnes publiques pour commencer à apprendre l'anglais ». Absurde aussi. Il est naturel que les locuteurs d’une langue internationale soient moins enclins à apprendre des langues. les Anglais sont d’ailleurs de loin les plus mauvais en langues étrangères... Quant aux Nordiques, ils paient un prix très élevé pour l’abandon de leur langue, qui n’est plus utilisée dans les sciences, celui de son déclin.

Si vous êtes d’accord pour construire une Europe anglophone, pourquoi ne pas le dire clairement ? Personnellement, je pense que faire d’une langue nationale la langue-pont de l’Europe est d’une grande injustice, financière, scientifique et politique, particulièrement quand il s’agit de la langue du pays le moins européen, qui n’a pas adopté l’euro.

Dans le cas contraire, le vrai débat, la vraie difficulté, c’est d’organiser une communication efficace, administrative mais aussi interpersonnelle, qui respecte l’égalité des peuples et la diversité des langues. Or, c'est le seul sujet qu'on ne voit jamais discuté dans les médias !

 

 

 

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