Une brève qui a l'air très intéressante sur le site de Courrier International.
Ce qui est amusant, c'est que j'avais compris le contraire. En voyant la somme de 17 milliards, je pensais que ce journal reprenait enfin le calcul de François Grin. En fait, ce sont 17 milliards (de livres, GBP) que le RU pourrait gagner EN PLUS de ce qu'il gagne déjà grâce à la diffusion de l'anglais.

AK

 

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ROYAUME-UNI

Les langues étrangères, quelles langues étrangères ?

Le faible niveau en langues étrangères des actifs coûte une fortune à l'économie du Royaume-Uni, selon une étude menée par un organisme indépendant de recherche spécialisée sur l'éducation [Education and Employers Taskforce]. Un quart des offres d'emploi ne sont pas pourvues faute de compétences linguistiques des candidats, rapporte The Times. Les deux-tiers des jeunes quittent le cursus scolaire (à niveau équivalent au bac) sans aucune qualification en la matière. L'apprentissage du français a particulièrement souffert ces dix dernières années : le nombre d'élèves de lycée qui présentent cette langue aux examens finaux a diminué de moitié depuis 2001. Selon l'étude, si ce « déficit en langues » était redressé même partiellement, l'économie britannique pourrait accroître ses exportations de 8%. Le PIB du pays pourrait y gagner jusqu'à 17 milliards de livres, soit 20,3 milliards d'euros.

 

Source : courrierinternational.com, le 30 janvier 2012

Possibilité de réagir sur :

http://www.courrierinternational.com/breve/2012/01/30/les-langues-etrangeres-quelles-langues-etrangeres

 

 

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ENSEIGNEMENT

Le français à la peine chez les Anglais

Au Royaume-Uni, seule une petite élite sait encore manier la langue de Molière. Celle-ci a pourtant d’autres attraits que son simple usage en vacances, tempête un amoureux de la francophonie.

L’enseignement du français dans les universités du Royaume-Uni, déjà sérieusement menacé, semble appelé à disparaître d’ici quelques années. Les raisons de cette disparition, multiples et variées, incluent l’idée que toute personne digne d’intérêt parle forcément l’anglais. Les étudiants qui choisissent cette branche sont d’année en année moins nombreux, et la survie des départements d’études françaises est compromise. Le pire, c’est que le gouvernement et le public britanniques ont accueilli cette nouvelle déprimante – du moins pour ceux qui enseignent le français à l’université – avec un retentissant « Et alors ? ». Dans une certaine mesure, leur réaction est compréhensible. Pourquoi devrait-on, dans le sombre contexte économique actuel, se préoccuper de la situation désespérée d’une discipline considérée comme snob, élitiste et sans utilité aucune ? La perception largement répandue selon laquelle la littérature et le cinéma français actuels ne seraient que nullité prétentieuse n’aide pas la cause. Le consensus en vigueur semble faire écho à la phrase de la star britannique Jarvis Cocker [chanteur du groupe Pulp] (installé de longue date à Paris) : « Vous pouvez vous la mettre où je pense votre Année en Provence » [célèbre ouvrage de Peter Mayle sur la vie d’un expatrié britannique dans le Sud de la France]. À vrai dire, je suis plutôt d’accord avec Jarvis. Je considère que l’étude du français au Royaume-Uni est une chose beaucoup trop importante pour être laissée à la seule élite francophile de la classe moyenne.

Moi qui ai travaillé pendant plus de vingt ans comme professeur d’études françaises, j’ai toujours détesté cette image idéalisée que certains ont de la France, et notamment celle de touristes arrogants sirotant un pastis en Dordogne. Mon expérience de la France ne saurait être plus éloignée de la leur. J’ai grandi à Liverpool, dans un milieu ouvrier. Je suis allé à Paris pour la première fois dans les années 1980, pour y acheter des disques qu’on ne trouvait pas chez nous, notamment du raï et de l’afrobeat. Je suis aussitôt tombé amoureux de Barbès, un quartier difficile dans le nord-est de Paris qui accueille un grand nombre d’immigrés. Je suis aussi tombé amoureux d’écrivains comme Louis-Ferdinand Céline et Émile Zola, qui décrivent dans leurs œuvres le Paris populaire. Cette première visite a marqué chez moi le début d’une fascination pour la culture nord-africaine de Paris. Je ne suis pas du tout un francophile, du moins dans le sens classique du terme (au contraire : plus je passe de temps à Paris, plus je considère que les Parisiens méritent leur mauvaise réputation). La partie la plus intéressante de mon travail consiste à interpréter le monde francophone qui, s’il se retrouve partiellement à Paris sous forme de microcosme, dépasse largement les frontières de la France. C’est ce travail qui m’a amené, au cours des dernières années, à visiter Bucarest, Alger ou Montréal.

L’étude du français a fait émerger en moi un nouveau paysage mental. Les œuvres françaises, de Voltaire à Sartre en passant par Houellebecq, procèdent d’une dynamique de confrontation, inspirée par de grandes idées, qui n’a pas d’équivalent dans le monde anglophone. C’est ce qui, dans la littérature française, a séduit des écrivains anglais marginaux tels que George Orwell ou Will Self. Ce n’est rien de moins qu’un phénomène politique. Pour un intellectuel de la classe ouvrière (ainsi me qualifiais-je lorsque j’étais étudiant), le fait de parler et de comprendre le français permet de surmonter beaucoup des stupides préjugés de classe qui règnent au Royaume-Uni.

Il est tout aussi significatif qu’au XXIe siècle des membres de la diaspora de l’Afrique ou du Moyen-Orient, installés à Londres, Berlin ou Rome, construisent, pendant que j’écris ces lignes, une nouvelle relation avec l’Europe et l’européanité à travers une langue française qu’ils se sont appropriée. Chose intéressante, cette relation s’établit en marge de la culture française officielle. Le rôle des études françaises n’est donc pas de faire la promotion de la France ou de la francité, mais de nous aider à comprendre comment fonctionne le monde francophone (et de déterminer s’il fonctionne).

Cela étant dit, il reste à adapter notre enseignement du français aux réalités du XXIe siècle. Pour commencer, nous devons considérer le français comme une langue internationale, et non le privilège de touristes britanniques braillards. Le français est parlé dans le monde entier. Du Maroc au Québec en passant par le Sénégal, les auteurs francophones ont beaucoup à apprendre aux Britanniques sur l’extrême complexité du monde postcolonial. Ils devraient dès lors être lus par tout le monde, sans distinction de classe ou de race, et non pas seulement par ceux qui ont la chance de fréquenter une école huppée. Laisser les études françaises devenir une pièce de musée réservée aux seuls spécialistes serait non seulement un acte de vandalisme culturel, mais également une attaque en règle contre les premières ­ manifestations de la mobilité sociale au Royaume-Uni. Les jeunes Britanniques ont le droit de connaître le monde qui existe au-delà de l’univers anglo-saxon, et je considère que l’étude du français est l’un des meilleurs moyens d’y parvenir. Cela me semble un argument valable – et c’est là que mon point de vue rejoint celui de Jarvis – pour refuser de laisser ceux qui aiment trop la France s’approprier ou abolir les études françaises.

 

Andrew Hussey,

Né en 1963, Andrew Hussey est le doyen de l’Institut de l’université de Londres à Paris (ULIP), seule antenne de la prestigieuse institution en Europe continentale. Historien de la culture et biographe, il a écrit plusieurs ouvrages sur Georges Bataille et Guy Debord. Son Histoire secrète de Paris (éd. Max Milo, 2008) a été saluée par la critique des deux côtés de la Manche. Il collabore régulièrement avec The Observer.

 

Source : courrierinternational.com, le 10 février 2011

Possibilité de réagir sur :

http://www.courrierinternational.com/article/2011/02/10/le-francais-a-la-peine-chez-les-anglais

 

 

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