FORUM SOCIAL MONDIAL 2002

Forum culturel mondial

Maison de la culture de Porto Alegre

Porto Alegre 1er, 2, 3 et 4 février 2002

RÉSOLUTIONS

HALTE À LA FATALITÉ DE L'AFFAIRISME !

L’eau du puits est à qui a soif.
Le vent des branches, à qui cherche le frais.

 

De même, nos langages, nos légendes,

Nos images, nos rêves, nos arts,

Ne peuvent AVOIR UN PRIX

Puisqu’ils SONT LE PRIX DE LA VIE.

 

Un Autre monde est possible

À condition que ces trésors

Échappent aux marchands.

 

Attention : biens indivis

inaliénables

non cotés en Bourse

Bas les pattes !

 

I.- DIVERSITÉ LINGUISTIQUE INTERNATIONALE

Les langues, bien commun de l’humanité, méritent à ce titre d’être protégées, en premier lieu par les États, contre tout ce qui vise à les détruire. Cela vaut pour toutes les langues, quel que soit le nombre de leurs locuteurs. De même qu’elle menace la biodiversité, la mondialisation libérale, vecteur d’une langue unique, met en péril la diversité linguistique.

Sont donc légitimes, en particulier, les dispositions constitutionnelles et législatives qui assurent la protection et la promotion des langues officielles d’un État déterminé.

Les États qui n’ont pas encore pris de telles dispositions sont invités à le faire, selon les principes suivants :

- interdiction d’interdire, en droit comme en fait, l’emploi de ces langues dans un secteur quelconque de l’activité nationale ;

- garantie, pour chaque citoyen du droit de s’exprimer, de travailler, de créer, d’inventer et de recevoir les services publics dans la langue officielle qu’il choisit.

La langue est, en effet, non seulement un véhicule de communication, mais le moyen d’exprimer sa créativité, y compris sur le plan scientifique et technique, et aussi le garant de l’exercice des droits personnels et collectifs. Si nul n’est censé ignorer la loi, nul ne doit être tenu d’en prendre connaissance dans une langue étrangère. Les documents officiels, normes, contrats, appels d'offres, etc. doivent être rédigés dans la ou les langues officielles de chaque pays, la ou lesdites versions étant seules à faire foi.

En particulier, les brevets d’invention, créateurs de droits de monopole opposables à tous, doivent être intégralement disponibles dans la ou les langues officielles. L’imposition forcée d'un texte en langue étrangère risquerait d’introduire, avec des termes impossibles à intégrer, des notions faisant référence à un système juridique - notamment jurisprudentiel - entraînant de coûteux recours devant les tribunaux. Dans une telle situation, l’égalité des citoyens devant la loi ne serait plus garantie.

La traduction dans la ou les langues officielles, garantissant à tous le droit à l’information, représente en réalité une économie considérable par rapport à la prolifération et à l’opacité d’un secteur contentieux ne servant que les intérêts des grandes multinationales et, d’une manière générale, des plus puissants.

La garantie ainsi assurée des droits linguistiques des citoyens s’intègre tout naturellement dans la notion de service public au sens le plus concret.

Sur le plan international, le multilinguisme conditionne le maintien de la diversité des cultures et la possibilité du nécessaire dialogue qu’elles doivent entretenir. Or la tendance actuelle à un monolinguisme international, porté par l’unilatéralisme de la puissance dominante, arase et lamine cette diversité. Facteur de liberté et de paix, le multilinguisme international permet au contraire la découverte et le respect d’autrui, et la démocratie internationale. Il repose d’abord sur un véritable plurilinguisme des personnes, qu’il convient de poser en valeur fondamentale de l’humanité. Les pays du Sud, qui en sont aujourd’hui les principaux porteurs, en démontrent la possibilité et la fécondité.

Tous les pays doivent y accéder par une politique volontariste des États, essentiellement par les médias et dans l’enseignement.

L’école secondaire doit offrir partout à ses élèves au moins deux langues étrangères, à égalité d’obligation et d’horaires.

En outre, les systèmes éducatifs doivent offrir la possibilité d’acquérir une connaissance passive des autres langues d’une même famille linguistique.

Le refus de l'uniformité, au bénéfice de la diversité, implique une forte volonté politique à tous les niveaux, conduisant à l’élaboration et à l'emploi d'instruments spécifiques. En particulier, il est indispensable de refuser le face à face inégal entre la culture dominante et chacune des autres, que vise à instituer la mondialisation libérale. Les espaces géoculturels, en particulier linguistiques, existants doivent être utilisés au mieux pour rompre l'isolement et construire les dialogues dans la solidarité. Le droit doit leur être reconnu de se doter d’un système de préférences pour la production et la circulation en leur sein des biens et services culturels. Cela implique la remise en question des clauses dites du “ traitement national ” et de “ la nation la plus favorisée ” de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les gouvernements des États appartenant à ces espaces, ou se réclamant d’eux, doivent se concerter et conjuguer leurs forces au sein des organismes internationaux pour lutter contre la standardisation et l'uniformité, et imposer la diversité.

Dans le même temps, il est impératif que, dans les institutions internationales, les gouvernements exigent de leurs représentants qu’il s’expriment dans leur langue lorsque cette dernière est l’une des langues officielles ou de travail. Cette démarche vaut également pour la fourniture de tous les documents officiels et de travail, qui doivent être traduits dans chacune des langues concernées, et dans les mêmes délais. À cet égard, l’Union européenne offre un très mauvais exemple au reste du monde et nous demandons aux États membres d’être particulièrement fermes auprès de la Commission pour qu’elle respecte strictement le règlement linguistique.

 

II.- DIVERSITÉ CULTURELLE INTERNATIONALE

Tout comme la diversité linguistique, qui en constitue l’une des composantes, la diversité culturelle, nourrie de toutes les cultures vivantes du monde, est un bien commun de l'humanité.

Les personnes, les groupes d’hommes et de femmes, les communautés humaines de toute dimension ont besoin de fabriquer leur image, de voir des corps, des regards, des gestes qui leur ressemblent dans des histoires qui se déroulent dans des lieux qu’ils reconnaissent. Aujourd’hui, l’image que nous projetons de nous-mêmes nous constitue de la même façon que la langue que nous parlons. Il s’agit de notre définition personnelle, de notre identité, du rapport que nous entretenons à notre histoire individuelle et collective. Bref, il s’agit de notre miroir. L’enjeu est d’autant plus important que l’image, sur tous les supports présents et à venir, est aussi déterminante dans notre formation que l’école et la famille. Cela vaut bien sûr pour le livre, l'audiovisuel, la chanson et la musique, le spectacle vivant et l’ensemble des biens culturels.

Par principe, nous considérons donc que les biens et services culturels ne peuvent être réduits au statut de simples marchandises, même s'il font souvent l'objet de transactions commerciales. C'est pourquoi, pas plus que l’éducation ou la santé, ils ne sauraient faire l’objet de négociations dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l'OMC. Dans une démarche solidaire, nous exigeons, par ailleurs, que l’eau, bien commun de l’humanité, et l’agriculture, où le principe de la souveraineté alimentaire doit prévaloir, soient exclus des disciplines de l’OMC.

Dans l'immédiat, nous apportons notre appui aux représentants politiques et professionnels qui, dans les instances internationales, refusent que le traitement spécifique de la culture, tel qu'il a été défini par l'accord du GATT de 1995 et connu sous le nom de d’exception culturelle, soit remis en cause. Cela est d'autant plus nécessaire que certains pays ont déja déposé des offres de libéralisation auprès de l'OMC.

Cependant, il est indispensable de ne plus confiner la culture dans un statut d’exception à l’intérieur d’accords commerciaux. De la même façon que les accords multilatéraux sur l’environnement, en particulier ceux sur la biodiversité et les changements climatiques - ainsi que les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) -, doivent exister de leur propre autorité et établir leurs propres normes, la diversité culturelle doit elle aussi s’affirmer durablement. D’où la nécessité d’un instrument international, créé par une convention permettant d’exclure la culture des principes de libéralisation et de marchandisation.

Cet instrument international :

aura pour objectif d’assurer la préservation et la promotion de la diversité culturelle de la planètea;

verra ses dispositions normatives qui ne font pas partie des réglementations nationales existantes y être automatiquement incorporées. Les tribunaux de chaque pays signataire de la Convention auront compétence pour les faire appliquer ;

reconnaîtra aux États et aux gouvernements le droit de prendre des mesures complémentaires de soutien à la création et de protection ;

gèrera un mécanisme de soutien économique à la diversité culturelle qui pourrait reposer sur un prélèvement sur les ventes des produits des industries culturelles. Le fonds ainsi alimenté, cogéré par des représentants des États et des professionnels de l'art et de la culture, pourrait attribuer des aides à la création et à la diffusion, en particulier en faveur d'initiatives qui ne peuvent aboutir en empruntant les circuits dominants;

harmonisera les règles concernant les droits d'auteur et les droits voisins qui définissent à la fois les droits économiques et les droits moraux des auteurs et des interprètes sur les œuvres.

Il convient d’identifier un lieu approprié porteur de cet instrument et de demander au plus grand nombre d’États et de gouvernements d’y devenir partie. Plus nombreux seront ceux qui le ratifieront, plus grande sera son influence et son poids politique. Il servira ainsi d’argument fort pour exclure définitivement la culture du champ d’intervention de l’OMC.

 

III.- PRATIQUES CULTURELLES

Afin de ne pas livrer les milieux populaires aux seuls produits de consommation culturelle de masse et d’inciter les artistes à se confronter aux terrains les plus arides du paysage social - qui sont aussi des espaces de renouvellement esthétique -, il est urgent de favoriser la créativité et les pratiques artistiques de tous par des actions artistiques et culturelles de proximité.

Encourager les populations les plus défavorisées à participer à la vie culturelle locale est aussi un gage de revitalisation de la démocratie.

Nous demandons donc aux États et aux organisations internationales d’orienter délibérément une partie croissante de leurs moyens de politique culturelle vers des actions en lien avec la population.

Dans un contexte de fragilisation des instances médiatrices traditionnelles (famille, religion, communauté locale…), l’individu, qu’il soit enfant, adolescent ou adulte, est exposé directement aux effets nocifs de l’offre culturelle à vocation commerciale.

Le renforcement du lien entre éducation et culture est alors indispensable pour sensibiliser aux pratiques artistiques, ainsi que pour recontextualiser les produits de l’industrie culturelle. En particulier, l’histoire de l’art et des civilisations, ainsi que l’analyse du processus d’élaboration des images télévisuelles ou cinématographiques, doivent faire l’objet d’un apprentissage dès l’enfance.

Enfin, nous nous engageons à mettre en place un réseau de créateurs et de responsables culturels qui s’opposent, par leurs pratiques, à la mondialisation libérale et à l’uniformisation culturelle. Au-delà des échanges d’informations, de réflexions théoriques et d’expériences, ce réseau aura pour fonction de favoriser les collaborations dans les domaines de la création, de la diffusion et de la formation. Les partenariats entre membres du réseau seront aussi conçus comme des échanges de territoire à territoire pouvant comporter, autour des aspects artistiques et culturels, des débats, des démarches de mobilisation sociale, des projets éducatifs et associatifs et des initiatives de solidarité économique. Ce réseau participera activement à la mobilisation de l’opinion publique pour obtenir au plus vite la création de l’instrument international pour la diversité culturelle.

Au-delà de ces propositions relatives à la culture, nous appelons à la tenue d'une Conférence mondiale pour la définition des principes et des modalités de gestion de l'ensemble des biens communs de l'humanité, pour lesquels la notion de service public doit prévaloir sur les mécanismes du marché : éducation, santé, culture, environnement, eau.

 

 

 

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