Réussir à comprendre une langue qu’on n’a jamais apprise

Grâce aux différentes méthodes développées par l’intercompréhension, il est possible avec un peu de pratique d’assimiler des textes rédigés dans une autre langue latine pour comme l’occitan, le roumain ou le portugais.  

 

Le premier texte est en italien, mais ça aurait aussi bien pu être de l’occitan, du portugais, de l’espagnol, du catalan ou du roumain. « On va faire un tour de table. Une phrase chacun, explique Jacqueline Demarty-Warzee, la formatrice, en charge d’animer cet atelier organisé à la bibliothèque municipale de Sceaux (94).

« Ceux qui parlent italien n’interviendront que s’il y a des blocages. Alors, qui veut se lancer ? » Pas de cours théoriques préliminaires, pas de notion de grammaire, ni de fiche de vocabulaire. Autour de la table, les dix-sept participants paraissent un peu perplexes. Ce n’est que la première séance du stage plurilinguistique, et il leur faut déjà déchiffrer un article de presse, dont le sens leur a pour l’instant complètement échappé. Et pour cause. Ils n’ont jamais fait d’italien. L’un d’eux accepte de relever le défi : « Alors le titre... “Famiglia per sette giorni in tenda con una bomba”. Je dirais  « Une famille »... alors “per”, ça doit être « par »... euh, “sette giorni”, bah, « sept jours», et “in tenda con una bomba”... heu... « dans la tente avec la bombe » ? », déchiffre-t-il. « Oui, très bien ! N’ayez pas peur de vous tromper. S’il y a un mot que vous ne comprenez pas, vous utilisez un joker. Vous le remplacez par « machin » si c’est un nom, ou par « machiner » si c’est un verbe. » Sa voisine prend le relais. "Per una settimana in vacanza..." Et la magie opère. Même pour celle qui a avoué au reste du groupe être « nulle en langues ». Il ne leur aura donc fallu que quelques minutes pour faire l’expérience de l’intercompréhension. « Les langues ne sont pas clivées. Elles se chevauchent, elles se croisent, elles ont un socle commun. Si on surligne tous les mots qui sont un peu transparents, il est tout à fait possible de comprendre les langues d’une même famille sans pour autant les avoir apprises à l’école », assure Françoise Ploquin, qui avant de fonder en 2009 l’Association pour la promotion de l’intercompréhension (Apic : http://apic.onlc.fr) a dirigé pendant vingt ans la revue Le français dans le monde.

Méconnu, le combat pour le plurilinguisme a de quoi surprendre : « C’est une approche qui va à contre-courant des idées reçues. En France, on part du principe que si on n’a pas étudié une langue, on ne peut pas la comprendre. » Or, pour les défenseurs de la méthode, il suffit d’être un peu ouvert et attentif pour s’apercevoir que les langues ne sont pas aussi étrangères qu’elles en ont l’air. « On a toujours cette peur irrationnelle des faux amis, mais dans les langues latines, ils ne représentent que 3 ou 4 %. Ça veut dire qu’on a plus de 95 % de chance de tomber sur de vrais amis », s’amuse Françoise Ploquin.

Une anecdote lui revient. « J’animais un atelier au sein d’une entreprise, raconte-t-elle. Les salariés avaient reçu un mail* de cinq lignes de leurs homologues argentins. Ceux qui ne parlaient pas espagnol l’avaient spontanément jeté à la corbeille. Quelques notions d’intercompréhension auraient levé ce frein et leur auraient donné la curiosité de le lire et sans doute de le comprendre. » L’intercompréhension cherche à donner les moyens et la confiance pour entrer dans une langue a priori inconnue afin d’en saisir le sens général. « Par la pratique, cette approximation se resserre et l’on s’approche de plus en plus du sens du texte et de ses nuances. » D’après l’association, trente ou quarante heures suffisent pour maîtriser les différentes techniques. Mais après une heure de pratique, les résultats sont déjà perceptibles. « C’est vraiment bluffant, s’enthousiasme un participant. L’apprentissage d’une langue est souvent infantilisant. Là, on est directement plongé dans des articles de presse et on met tout de suite les mains dans le cambouis. »

Linda Maziz

 

 

Source : directmatin n° 816, le mercredi 26 janvier 2011

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