Les Français ont TOEFL !

La dépêche AFP a dû tomber ces jours-ci parce que tous les journaux reprennent l’information : les français sont nuls en anglais. Les mêmes mots se sont donc retrouvés dans Le Monde, sur France Inter, et finalement, sur le Journal de France 2. Les mêmes mots ça veut dire les mêmes erreurs, le même manque d’analyse. Décryptage.

Déjà il y a un changement de ton. Autrefois les français étaient nuls en langues. Maintenant c’est juste en anglais. Aurions-nous soudain fait des progrès ? Ou alors va-t-on décider de faire comme les allemands dans La vie des autres (le film), et arrêter de compter les statistiques qui dérangent ? On ne garde alors que celle qui nous arrange : culpabiliser les gens sur leur niveau en anglais, ça permet de justifier n’importe quoi, tandis que sur une notion aussi vague que le niveau en langueS on sait que de toute façon le gouvernement, quelle que soit la majorité, ne fera pas grand chose.

Une étude à qui on fait dire ce qu’on veut

On va d’abord supposer que ces chiffres reflètent bien la réalité. Nous serions donc, nous dit-on, en 69ième position sur 109 pays du monde. Ce que les journalistes traduisent par "nous sommes en queue de peloton". Moi j’aimerais bien savoir à partir de quelle place commence la queue du peloton. Parce que si ça se passe comme à l’élection présidentielle, où le troisième candidat n’a plus droit à la parole sitôt passé le soir du premier tour, je me demande bien quel est l’intérêt de participer à la compétition. Et quelle compétition d’ailleurs ? Comment peut-on s’inscrire ? Ou ne pas s’inscrire ? Si je ne veux pas voir mon pays participer, c’est possible ?

J’ai beau lire et relire les nombreux articles parus ces derniers jours, nulle part je n’ai pu trouver le détail des résultats. Parce que si les 68 premières places sont occupées par d’anciennes colonies britanniques, qui ont gardé plusieurs langues officielles, ça n’a plus le même effet, hein ? Bon, je ne dis pas qu’ils sont allés jusque là mais quand on ne donne pas les détails, on peut conclure ce que l’on veut.

Une source sujette à caution

Ensuite, ces chiffres, que sont-ils ? Il s’agit des statistiques du TOEFL, examen d’entrée dans les universités anglaises. Il s’agit donc de comparer le niveau de candidats à l’entrée à une université anglaise. Dans le genre, difficile de trouver un échantillon moins représentatif que celui-là. Démonstration.

Déjà le TOEFL se présente comme un examen de langue étrangère. Une manière élégante de ne pas tester les natifs anglophones. Mais pour le contenu, même les profs d’anglais reconnaissent qu’il est difficile de faire abstraction de toute connaissance de la culture anglo-saxonne pour réussir ce test. Il serait donc intéressant de prendre un anglais au hasard au coin de la rue et de voir s’il obtient systématiquement le score maximal : on pourrait avoir des surprises.

Maintenant revenons au but de cet examen : il est passé, nous l’avons dit, par ceux qui souhaitent intégrer une université en Angleterre. Alors la question est : qui souhaite finir ses études de cette façon ? C’est là qu’il faut distinguer en fonction du pays d’origine. Dans un petit pays, l’Université n’enseigne pas toutes les matières à un très haut niveau, les étudiants partent donc en masse vers les pays anglophones. L’université nationale fait donc la sélection en amont et seuls les élèves ayant une chance de réussir le TOEFL sont envoyés outre-manche. Mais dans un pays comme la France où la politique centralisatrice impose un programme commun (ce qui permet de choisir son université sur des critères géographiques) c’est le raisonnement inverse qui prévaut : on ne va pas à l’étranger pour apprendre quelque chose de nouveau, mais pour se perfectionner en anglais. On comprend mieux alors que ne rentrent dans ces statistiques que ceux qui ont besoin de l’être !

Bref cette source est à peu près aussi fiable que le classement des universités de Shangaï, qui mesure la qualité des professeurs à leur subordination à la langue anglaise. Mais quand une statistique va dans le sens de ce qu’on veut montrer, c’est tentant, surtout quand le public y croit. Lisez les critiques sur le livre "Le code secret de la bible", par exemple ici et vous comprendrez le sens de ce que je viens d’écrire.

La réalité

Le meilleur moyen de convaincre les gens qu’ils sont nuls en langues, c’est encore de le leur répéter. Et visiblement, ça marche. Il n’y a pas si longtemps un espagnol m’expliquait combien le niveau en langues des espagnols était bas. Il me disait ça dans un français emprunt d’un certain accent, mais d’un niveau assez élevé, surtout si on tenait compte du fait qu’il n’avait appris notre langue que depuis un an. J’apprends donc sans surprise que le cliché des compatriotes nuls en langues, répété à l’envie en France, sévit à l’identique en Espagne.

Le pire, c’est qu’une statistique officielle et fiable existe, vous pouvez la trouver ici. Même si Eurobaromètre a le défaut d’être un sondage (il suffit de dire qu’on parle une langue étrangère, pas besoin de passer un examen) on peut quand même admettre que l’échantillon est représentatif. Mais ses conclusions sont bien plus optimistes que celles dont se servent les médias. Plus optimistes... donc plus dérangeantes. Qu’y apprend-on ? D’une part quand on regarde indépendamment des langues pratiquées, on constate que ce sont les pays dont la langue est la plus connue à l’extérieur (pays très peuplés comme l’Allemagne, ou dont la langue est utilisée aussi hors Europe, comme la France, l’Espagne ou... le Royaume-Uni) où on parle le moins de langues étrangères. Mais puisque les médias ne s’intéressent qu’à l’anglais, alors soit, jouons le jeu. Prenons donc des pays dont la langue est peu répandue à l’étranger : les pays scandinaves. On y trouve un score supérieur à 85 % pour l’anglais, résultat qui se confirme quand on y ajoute les Pays-Bas. Par contre curieusement la Finlande, pays voisin, n’affiche que 66 %, quel est ce mystère ? Tout simplement parce que la langue finnoise n’est pas une langue proche de l’anglais comme peuvent l’être les langues germaniques, surtout scandinaves !

En réalité pour obtenir un bon score en anglais dans ce sondage il faut réunir deux conditions : que la langue maternelle soit peu répandue à l’étranger, ça peu de gens le contesteront, mais surtout, et là on le dit moins, que cette langue soit proche de l’anglais dans sa grammaire et son vocabulaire. Car si la première condition peut justifier la différence entre les allemands et les néerlandais (dont les langues sont très proches l’une de l’autre et dans une moindre mesure, de l’anglais), seule la seconde peut expliquer la différence avec les français, puisque la langue allemande fait presque jeu égal avec la nôtre en termes d’apprentissage à l’étranger.

Tous les artifices pour y remédier qui nous sont servis ici où là n’y changeront rien, l’anglais est plus facile pour un allemand que pour un français. Remplacer le doublage des films par le sous-titrage ? Les allemands pratiquent le doublage autant que nous, la différence n’est pas là. Apprentissage plus précoce de l’anglais ? Là encore ce n’est pas plus le cas en Allemagne qu’en France. Alors ?

La seule conclusion qui s’impose, c’est que nous ne sommes pas égaux devant l’anglais. La compétition à laquelle nous participons involontairement est truquée dès le départ. Alors on nous dit qu’on va augmenter les heures de cours, mais forcément on va les prendre quelque part, en réduisant les cours de mathématiques... voire de français, par exemple. Et avec cette politique on obtiendra de bons petits soldats, parlant tellement bien une langue étrangère qu’ils sauront parfaitement l’utiliser pour ne rien dire.

 

pingveno

 

 

Source :  agoravox.fr,  le mardi 1er septembre 2009

Possibilité de réagir sur :

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-francais-ont-toefl-60902