Benguigui : la loi Fioraso ne met pas « la francophonie en danger »

Le Monde.fr | 21.05.13

DANS UN CHAT SUR LE MONDE.FR, YAMINA BENGUIGUI, MINISTRE DÉLÉGUÉE CHARGÉE DE LA FRANCOPHONIE, ESTIME QUE LE TEXTE DE LOI SUR L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR « CONSTITUE UN MIEUX POUR LE MULTILINGUISME EN FRANCE ».

Yamina Benguigui, ministre déléguée chargée de la francophonie, estime que le texte de loi sur l'enseignement supérieur « constitue un mieux pour le multilinguisme en France ».

 

Visiteur : La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, avait-elle demandé son avis à sa collègue chargée de la francophonie avant la présentation de la loi en conseil des ministres ?

Yamina Benguigui : Ça s'est passé en concertation, sachant que c'est elle qui porte la loi. Elle connaît mon avis sur la francophonie, mon regard aussi sur le mépris que nous avons eu sur les étudiants francophones issus du continent africain. Nous avons eu de grosses pertes d'étudiants francophones des années 1960 à la circulaire Guéant, à qui on refusait des visas parce que dans l'inconscient collectif, ce n'était pas des étudiants étrangers, mais des immigrés.

Je pense que cela a été une grande perte pour le devenir de nos relations économiques avec le continent africain. C'est une chose rarement soulevée et c'est une question qui m'interpelle vraiment : la façon dont la France regarde certains étudiants.

J'ai fait plus de 35 pays. Cette question a été constamment soulevée. Depuis un an, je travaille avec les ministres Valls, Peillon et Fioraso pour qu'il y ait une meilleure mobilité des étudiants étrangers francophones.

Je suis fière d'appartenir à un gouvernement dont le président a dit : « les étudiants étrangers sont une chance pour la France ».

 

Jean-Gui : Selon la presse, vous avez dit à la mission parlementaire sur la francophonie le 9 avril que vous étiez « d'accord » avec Pouria Amirshahi qui s'est prononcé contre l'article 2 de la loi sur l'enseignement supérieur. Êtes-vous toujours d'accord avec lui ?

Être d'accord, ça ne veut rien dire. C'est un projet de loi. Ce n'est pas un clan contre un autre. Je salue le travail qu'entreprend Pouria sur la francophonie. Il y a beaucoup de choses sur lesquelles je suis d'accord avec lui.

Mais ce texte de loi qui a été amendé ne met pas la francophonie en danger dès lors qu'il instaure trois principes indispensables : les étudiants étrangers auront l'obligation d'apprendre le français ; ils seront évalués sur leurs connaissances du français à la fin de leur cursus – pour moi, ils sortiront donc francophone de l'université – ; la francophonie est inscrite comme mission de service public pour les universités.

Mais il n'était pas nécessaire pour moi de m'exprimer tous les matins sur ce point. Je travaillais avec mon ministère, le ministère de Mme Fioraso. La francophonie n'est pas en danger.

 

Villes : Le secrétaire général de la francophonie est opposé à cette proposition. N'est-il pas logique de tenir compte de l'opinion des pays de la francophonie, qui seront tentés par une dérive vers l'anglais (comme le Rwanda, voire Gabon) ?

Je rencontre jeudi 22 mai le secrétaire général de l'Organisation international de la francophonie, le président Diouf. Il s'est exprimé et a soulevé plusieurs questions, à juste raison, avant les amendements. Maintenant, je le verrai avec les nouveaux amendements.

Je crois que la France a envoyé un signe très fort en remettant de plain-pied un ministère de la francophonie. Depuis un an, j'ai voyagé dans 35 pays sur les cinq continents. J'ai renoué avec la francophonie.

Vous me citez deux pays, le Rwanda et le Gabon ; je vous en cite deux autres : la République démocratique du Congo, grand comme quatre fois la France, qui est le plus grand pays francophone au monde, dont la langue officielle et l'hymne national sont en français. C'est un des pays les plus riches du monde.  Le français et son enseignement du français y ont été complètement délaissés.

Aujourd'hui, je me bats pour une nouvelle francophonie économique, pour un meilleur enseignement du français dans les pays francophones, dont la RDC. C'est pourquoi je lance un programme appelé « 100 000 professeurs pour l'Afrique ».

Le Rwanda est anglophone depuis une vingtaine d'années. Mais moi, je veux dire que cette loi ne va pas faire peur à nos amis de la francophonie. Ce qu'ils attendent, c'est de savoir quelle est notre politique pour un meilleur enseignement du français dans ces pays..

 

Jean : La mise en place de cours en anglais sera-t-elle réservée à certaines filières ? Ce format de cours sera-t-il obligatoire ou optionnel ?

Ces discussions sont en cours et il y aura des décisions. Et d'ailleurs, tout ne sera pas dans la loi. Je pense que ce texte [de loi] constitue un mieux pour le multilinguisme en France.

 

Eddy Paris : Savez-vous qu'à Paris, les réunions dans les entreprises se tiennent en anglais, même si les intervenants sont Français ? Et comment nos enfants pourraient suivre des cours en anglais alors qu'ils sont 39 par classe et qu'ils n'ouvrent pas la bouche de l'année ? Ne faudrait-il pas prendre le problème en amont ?

Je le regrette comme vous, mais dès lors que les entreprises sont privées cela devient difficile pour nous d'intervenir. Vous savez le combat que nous menons au niveau européen. J'ai constaté depuis mon arrivée que dans les institutions de l'Union européenne l'usage du français régresse, concurrencé par l'anglais, mais aussi par l'allemand.

Nous avons formé au français, avec l'OIF, plus de 60 000 fonctionnaires européens, et nous avons mis en place une vigilance accrue sur le recrutement et la traduction.

 

Bruxelles : À Bruxelles, bien des fonctionnaires, députés ou lobbyistes ont déserté depuis longtemps la défense de la langue française au profit d'un certain conformisme. La diplomatie culturelle française entend-elle réinvestir ce champ et faire valoir la diversité ?

Oui, c'est une réalité. La diversité culturelle est une priorité de ma politique. Je soutiens les 300 médiathèques du réseau diplomatique. L'édition française est l'une des plus dynamiques au monde. On a aussi un dispositif audiovisuel extérieur qui joue un rôle clé dans la diffusion des œuvres françaises.

La France développe l'enseignement du français dans des pays, par exemple au Ghana, anglophone, où il y a 2 millions de francophones. Le Ghana a des frontières avec des Etats francophones. C'est dans cette direction qu'il faut se tourner.

Dans les pays partenaires, quand nous sommes en réunion avec l'OIF et dans l'UE, les fonctionnaires apprennent le français actuellement.

 

Fred : Résister à l'anglais, n'est-ce pas un combat d’arrière-garde ? C'est la langue qui s'est imposée au niveau technique, car elle est la mieux adaptée pour cela. Ne serait-il pas plus productif d'utiliser le français là où il a un avantage sur l'anglais ?

La francophonie est un espace de 77 nations, où nous serons plus de 800 millions de locuteurs en 2050, dont 80 % en Afrique. Je pense qu'en ce qui concerne la francophonie, nous sommes à un véritable carrefour économique.

Aujourd'hui le continent africain a une croissance économique de 5,1%, soit du même ordre que le Brésil ou les pays émergents. C'est un atout énorme pour la langue française.

Le français va devenir une langue économique. À compétences égales, et dans les règles des marchés publics, une société française aura un plus pour décrocher des marchés face aux Chinois, aux anglophones. Quand vous décrochez un immense marché mais que vous ne pouvez pas faire de transfert de compétences, vous ne pouvez pas faire participer les populations sans parler la langue.

Nous savons qu'aujourd'hui, les Chinois ne communiquent pas avec les sociétés et les populations francophones. Depuis un an, j'ai de nombreux groupes chinois qui viennent me voir pour me demander comment ils peuvent s'inscrire pour apprendre le français. Il faut aussi arrêter de se dire que nous sommes complètement sortis des radars.

 

Hervé : Est-ce vraiment raisonnable de soumettre des étudiants étrangers francophones à des tests de français ?

Je n'ai jamais dit ça. Je pense que vous faites une confusion sur ce que j'ai dit. Dans les discussions que j'ai avec Mme Fioraso concernent la francophonie, je lui ai fait part d'un état des lieux sur le regard qu'avait la France sur les étudiants étrangers francophones des années 1960 jusqu'à la circulaire Guéant.

Le problème est que nous n'avons jamais considéré les étudiants étrangers francophones comme un plus pour la France. Nous les avons toujours considérés comme des immigrés en ne leur accordant pas de visas, parce qu'ils étaient suspects de nous prendre du travail. Notre inconscient collectif nous envoyait des signaux « immigration », « étrangers », et donc fermeture. Nous avons aujourd'hui un gros travail à faire sur place pour que l'Afrique nous regarde.

 

André : Ne pensez-vous pas qu'il soit important de maintenir des cours de français dans le supérieur ? Il suffit de plonger dans des rapports de stage et des copies d'examens pour se rendre compte que les étudiants français ont de grosses lacunes en orthographe, grammaire et syntaxe.

Oui, mais cela relève de l'école, du lycée.

Ma priorité, c'est de renforcer l'enseignement et la qualité du français à l'extérieur. Le programme « 100 000 formateurs pour l'Afrique », financé, démarre début septembre.

J'ai par ailleurs un plan qui s'appelle « La francophonie en France » pour les jeunes Français dont les parents issus de l'immigration avaient été regroupés dans des tours selon leur langue maternelle. Les personnes qui parlaient le wolof allaient dans les tours wolof, les autres dans les tours d'Algériens, de Tunisiens, etc.

Quarante ans après, parler le français n'est plus la règle dans ces territoires oubliés. Et ces jeunes restent aux portes du marché du travail. Ils n'ont pas accès aux premiers entretiens parce qu'ils maîtrisent mal le français. J'ai donc décidé de créer un label francophone.

Je vais le faire avec le ministre François Lamy. Ce sera des formations au français professionnel, en partenariat avec les entreprises, qui réinvestissent ces territoires aujourd'hui. Par exemple la SNCF, la BNP, la RATP, Veolia... Mon idée, c'est de former avec des outils numériques, avec des formateurs et des professeurs. Nous avons aussi des maisons de la francophonie, nous allons travailler avec le livre, avec le film.

À l'issue de cette formation, les jeunes auront le label francophone, qui sera reconnu par les entreprises. C'est un travail que j'ai un peu calqué sur celui que j'ai fait en 2005 sur l'égalité des chances. J'avais fait un travail à la fois sur les entreprises et avec les jeunes.

Ce label francophone va permettre, en tout cas, à ces jeunes d'entrer dans le monde du travail.

 

Antonio : Est-ce envisageable que durant le mandat de François Hollande soit mis en place un Erasmus francophone?

L'agence universitaire francophone est déjà un réseau de 800 établissements et délivre 2 000 aides individuelles à la formation et à la recherche. Je pense que nous allons améliorer la visibilité de ce dispositif. Nous travaillons aussi, avec MM. Valls et Fabius, à une délivrance facilité des visas pour les étudiants, les artistes et les chercheurs.

François Béguin et Benoit Floc'h

 

 

Source : lemonde.fr, le 21 mai 2013

http://www.lemonde.fr/enseignement-superieur/chat/2013/05/21/anglais-a-l-universite-posez-vos-questions-a-la-ministre-deleguee-a-la-francophonie_3414893_1473692.html