Francophonie : la trahison des élites

Michel Guillou au sujet de l'avenir de la FrancophoniePar MICHEL GUILLOU

« En France, les décideurs ont abandonné tout souci de défendre notre langue dans le monde, dénonce l'universitaire* ».

Comme francophone et comme Français, je ne peux taire mon inquiétude quant à l'avenir de la langue française et de la francophonie. Toutes deux perdent du terrain.

Cette évolution est catastrophique pour la France en termes de puissance, d'influence et d'existence en tant que nation. Il faut dénoncer la position suicidaire des décideurs français qui mettent au placard la langue française et la francophonie, considérées comme démodées. Cette élite milite pour une langue mondiale unique : l'anglais.

La France n'a pas d'ambition francophone. Ailleurs, la situation n'est pas plus brillante.

Le lien francophone est en train de se distendre. Il menace de se rompre. Ce décrochage enlève toute crédibilité à l'argument démographique qui fait état de quelque 700 millions d'Africains parlant français en 2050. Les Africains francophones, en effet, se posent la question de la pertinence de leur choix. Ils accusent la colonisation de leur avoir fait parler une langue qui ne leur semble plus utile pour réussir. L'abandon fait son nid dans la conscience collective.

Comment pourrait-il en être autrement alors qu'en France on pratique ostensiblement l' "anglo-French speaking". Ceux qui pensent autrement sont marqués au fer rouge. Le débat sur la loi Fioraso au printemps dernier témoigne de l'ampleur de la dérive.

Le bon sens est balayé. C'est ainsi que la France crée une université française au Vietnam en langue anglaise !

Les difficultés françaises à l'exportation sont largement attribuées à une insuffisance de la pratique de l'anglais, alors que de plus en plus de jeunes Français vont travailler en anglais à l'étranger.

On confond ouverture et soumission. L'attractivité francophone associe une langue, une culture, des valeurs, un sentiment de solidarité, un potentiel  économique et des actions de coopération. Aujourd'hui, les grandes aires linguistiques organisées sont les nouveaux pôles d'influence de la mondialisation multipolaire. C'est là que se trouve la clé de l'attractivité et du rôle de la francophonie.

Quant à la langue française, elle a vocation à devenir le fer de lance du pluriel linguistique. Le multilinguisme s'installe avec la montée en puissance de langues de pays émergents tel le chinois et de langues-monde comme l'espagnol.

Reste à savoir si le français, victime d'un suicide impulsé par les Français, restera une langue internationale. Pour y parvenir, les incontournables de l'action à mener sont connus : impliquer la jeunesse, mettre l'économie au centre du projet francophone, promouvoir l'enseignement du français et en français, mobiliser la francophonie de proximité, renforcer la francophonie dans les médias. Mais, en préalable, il faut un déclencheur politique.

L'approche du XVe sommet de la francophonie, qui se tiendra à Dakar en novembre,  fournit une fenêtre de tir. Le président de la République devrait expliquer solennellement l'engagement de la France pour sa langue et la francophonie. L'emploi du français par les représentants de la France dans les organisations internationales appelle une vigilance au plus haut niveau de l'État.

Au sein de la francophonie, il est nécessaire de distinguer un noyau de « pays vraiment francophones », car leur alliance est nécessaire sur la nouvelle carte des espaces géoculturels et linguistiques.

L'actuel secrétaire général de la francophonie, le président Abdou Diouf, a fait un immense travail. Le pari d'une vraie organisation internationale francophone a été gagné. Aux politiques maintenant de dire ce qu'ils veulent. Mais sans changement de cap, le pire arrivera : une mort douce, mais programmée.

 

* Membre de l'Académie des sciences d'outre-mer, directeur de l'Institut pour l'étude de la francophonie et de la mondialisation, université Jean-Moulin Lyon-IIL

 

Source : Le Figaro du mercredi 19 mars 2014

 

 

 

Haut de page