Le gouvernement Blair prend des mesures défavorables au français et à l'allemand

Le mandarin, l'arabe et l'ourdou feront bientôt leur entrée dans le club des langues étrangères enseignées dans le secondaire en Angleterre et au Pays de Galles (l'Écosse a un système autonome). Cette innovation est l'un des chapitres d'une réforme des programmes scolaires, rendue publique lundi 5 février, et qui devrait entrer en application en septembre 2008.

L'élargissement de l'horizon linguistique des enfants d'Outre-Manche, a priori louable, est un mauvais coup supplémentaire porté aux deux grandes langues traditionnellement apprises : le français et l'allemand.

Car, aux termes de cette réforme, les écoles ne seront plus tenues, comme actuellement, de proposer aux enfants de 11 à 14 ans l'enseignement d'une langue parlée dans l'UE. Le ministre de l'éducation, Alan Johnson invoque des motifs économiques et politiques. Le mandarin et l'arabe doivent permettre aux jeunes Britanniques d'être plus attractifs sur le marché mondial du travail. La connaissance de l'ourdou est censée renforcer la cohésion sociale dans les villes abritant une forte minorité d'origine pakistanaise.

La réforme correspond aux recommandations provisoires d'un rapport confié à Lord Dearing, et qui sera publié au printemps. Elle pose des problèmes techniques immédiats liés au faible nombre de professeurs, notamment de mandarin et d'arabe, disponibles dans le système scolaire. Surtout, à moyen terme, elle ne manquera pas d'accélérer le déclin de l'apprentissage des langues européennes, amorcé à la fin des années 90 et aggravé en 2003. Cette année-là, le gouvernement de Tony Blair prit la décision, très controversée, de ne plus rendre obligatoire l'enseignement d'une langue étrangère pour les enfants de 14 à 16 ans, qui préparent le GCSE, l'équivalent du brevet français. Les langues étrangères sont devenues une simple matière à option placée sur le même plan que la musique ou l'informatique.

HANDICAPS

Les résultats de cette réforme, entrée en vigueur en septembre 2004, sont catastrophiques pour le français et l'allemand. Le nombre d'élèves apprenant l'une de ces deux langues a diminué d'un tiers. Ils ne sont plus que 236 000 pour le français, et 90 000 pour l'allemand.

Ces chiffres fondent au fil du cursus : au niveau A - l'équivalent du baccalauréat - on ne trouve plus que 14 600 étudiants en français, et 6 200 en allemand. Facteur aggravant : les langues sont perçues par les élèves comme une matière plus difficile que d'autres. Les chefs d'établissement, obsédés par le classement annuel de leur école, fondé sur les résultats aux examens, ne font rien pour combattre ce préjugé.

Le ministère de l'éducation observe qu'il accorde maintenant la priorité à l'enseignement des langues dès le plus jeune âge et que toutes les écoles primaires seront en mesure de le dispenser en 2010.

Cette stratégie souffre de deux handicaps. D'une part, la formation des enseignants du primaire est bâclée. D'autre part, à quoi bon initier un jeune enfant à une langue, s'il n'est plus obligé, plus tard, de continuer à l'apprendre ?

Du côté français, on déplore le tort que la réforme inflige aux grandes langues européennes. On souligne que celle-ci contredit l'engagement commun pris par l'UE à Lisbonne en 2002 d'encourager l'enseignement d'au moins deux langues étrangères. Mais le gouvernement Blair, à bout de souffle, ne reconnaît pas ses erreurs dans ce domaine. Il évoque à tout bout de champ les défis de la mondialisation, mais flatte de fait l'insularité linguistique nationale.

 

Jean-Pierre Langellier

Source : Le Monde, édition du 07 février 2007

 

 

Réactions :

 

Torsade de Pointes :

Bravo les Anglais ! Ils montrent la voie à suivre: à l'heure de la mondialisation, existent d'une part leur pays, d'autre part le reste du monde. L'Europe est le niveau inutile, parasite, importun ; les Britanniques ne la tolèrent que dans la mesure où elle sert leurs intérêts. Ils roulent d'abord pour leur boutique, et ils ont mille fois raison. Pas question pour eux, par exemple, de céder à l'Union européenne leur siège permanent au Conseil de sécurité, alors que quelques politicards français ont déjà proposé de le faire pour le siège permanent de la France. Il est des jours où je me sentirais devenir anglophile.
« Mon pays, puis le monde » - c'est l'opposé de ce qu'on entend constamment ailleurs et qu'on essaye de nous enfoncer dans la tête : qu'il y a les régions, puis l'Europe, et qu'entre ces deux niveaux les États nationaux n'ont qu'à se rhabiller.

 

Charles Durand :

Ne caressons pas trop d'illusions à propos des langues non européennes qu'il faut un temps considérable pour maîtriser. Bien sûr, c'est possible, mais je pense qu'il est actuellement plus facile pour un Chinois d'apprendre une langue européenne que l'inverse ? Pourquoi ? Parce que la transition d'un système idéographique à un système alphabétique est plus facile que de faire l'inverse et que la transition d'une langue à tons vers une langue qui n'en a pas est, aussi, plus facile que de faire l'inverse. Il ne s'agit pas de bonne ou mauvaise volonté mais d'obstacles de nature technique. Apprendre le chinois sera une tâche relativement aisée pour un Vietnamien qui parle déjà une langue à tons. Pas pour un Anglais.

Il sera toujours plus facile pour une multinationale européenne d'engager un Chinois ethnique pour les problèmes de communication avec la Chine que de former des Occidentaux au chinois. Bien sûr, on aura toujours quelques Européens aussi mais on aura certainement beaucoup de difficultés à trouver les compétences techniques sans lesquelles la connaissance du chinois ne sert strictement à rien. Il ne faut pas oublier que la connaissance des langues est un atout comme aux cartes, et cet atout ne peut servir que si l'on a « du jeu », à moins que nous voulions travailler comme traducteur professionnel ou interprète de métier.

Je pense que la prétendue ouverture vers d'autres langues que le gouvernement Blair veut promouvoir est de la poudre aux yeux. Il est clair que, depuis déjà de nombreuses années, les nations anglophones se détournent massivement de l'étude des langues étrangères qu'elles considèrent être une perte de temps. Il s'agit là d'une affirmation de l'empire qui, par la même occasion, isole les pays anglophones de plus en plus du reste du monde, leur interdisant de comprendre réellement ce qui s'y passe et aboutissant à l'apothéose de la vision bushiste et de l'imbécillité qui l'accompagne.

 

Skirlet :

Comme il a déjà été souvent dit, les langues sont majoritairement apprises en fonction de leur « utilité ». La Chine a toujours eu une grande culture, sa langue est millénaire, mais c'est seulement quand elle commence à compter dans le domaine économique que sa langue devient "intéressante".

D'ailleurs, la décision britannique n'est pas motivée par les raisons culturelles :

« aux termes de cette réforme, les écoles ne seront plus tenues, comme actuellement, de proposer aux enfants de 11 à 14 ans l'enseignement d'une langue parlée dans l'UE. Le ministre de l'éducation, Alan Johnson invoque des motifs économiques et politiques ».

Sans vouloir vexer personne et malgré des exceptions, les Britanniques, statistiquement parlant, ne sont pas vraiment portés sur l'étude des langues. Les touristes par ici d'adressent aux gens directement en anglais, sans même poser la question au préalable, si on parle cette langue... Il est logique de supposer que le mandarin ne sera pas choisi en plus des langues européennes, mais à leur place.

L'élargissement de l'offre est à saluer. C'est plutôt une claque aux rêveurs qui s'imaginent, que si l'anglais est la langue majoritairement apprise par les Français, le français devrait être la langue majoritairement apprise par les Anglais. Comme dans un train, les wagons sont liés et suivent une locomotive... Or il n'y a pas de locomotive. Favoriser apprentissage de l'anglais n'aura pas d'effet sur l'apprentissage du français dans le reste du monde (il y a un projet « monde bilingue », si je ne m'abuse). Ou plutôt oui, il aura l'effet inverse : si les Français se mettent massivement à l'anglais, qui voudra apprendre leur langue, sauf quelques passionnés ?

Il est très regrettable que l'offre linguistique s'appauvrit tellement en France, et il serait bien d'avoir plus de choix et plus de souplesse. Et oui, si la GB prenait une décision similaire au sujet de l'espéranto, j'aurais applaudi. Cela signifierait que ce pays est prêt à faire un pas vers les autres, en utilisant un moyen de communication neutre, sans les raisons économiques similaires à ceux qui l'incitent à introduire le mandarin.

 

Denis Griesmar :

« effet d'annonce », mais le vrai scandale est qu'en Angleterre, comme aux États-Unis, on peut faire toutes ses études secondaires et supérieures sans jamais apprendre la moindre langue étrangère. Cela est proprement ahurissant.

 

Christophe Verbist :

Cette décision est effectivement dommageable et donne le sentiment que l’anglais tend à vouloir s’imposer comme la langue unique des institutions européennes dans les années futures.