Écouter les mots par François Taillandier

"Linguistic blues"

Ça bouge sur le terrain de la langue française. Les défenseurs du français (Association francophonie avenir) regrettent que François Hollande, dans la charte déontologique qu’il a fait signer à ses ministres, n’ait pas inclus l’obligation de s’exprimer en français et de faire respecter l’usage de notre langue, pour autant que cet usage fait partie du droit communautaire.

L’anglomanie est en effet devenue galopante depuis Mme Christine Lagarde, qu’à Bercy on appelait paraît-il "Christine The Guard". Les mêmes défenseurs du français ont souligné que M. Moscovici, au cours d’une conférence de presse tenue à Paris, a parlé anglais à la demande d’un journaliste étranger. Et on avait l’impression, en effet un peu gênante, qu’il se soumettait à un test, fier de montrer sa maîtrise de cette langue, comme s’il se trouvait à un entretien d’embauche. (Dommage que l’Afrav ait cru drôle à cette occasion de le surnommer Moscovichy. Plaisanterie indigne d’un débat par ailleurs légitime.) M. Fabius, de son côté, nous a expliqué (1) la différence entre le "hard power", le "soft power" et l’ "influential power", le troisième étant, dit-il, celui que recherche la France. Je pense que c’était déjà vrai du temps du général de Gaulle, mais il eût sans doute trouvé un mot français pour le dire.

À quelques jours de là, Jean-Claude Milner s’interrogeait sur notre langue (2) à travers le prisme de la littérature, et déclarait : « La langue française aujourd’hui est faite pour ne rien dire sur rien ; comme, de plus, elle est de moins en moins entendue, s’il arrivait que quelqu’un y dise quelque chose, personne n’en saurait rien. » Propos que j’incline à contester tout en me demandant s’il n’est pas, hélas, réaliste...

Autre dossier encore. Il y a quelques années, les défenseurs du français s’étaient émus que nous présentions au concours de l’Eurovision un candidat qui chantait en anglais. J’ai donc vérifié pour cette année-ci. Or la chanteuse Anggun, qui (de même que le patron de France 3) s’est indignée de son mauvais classement, chantait en français. Mais qu’est-ce que j’ai à faire, moi, fût-elle en français, d’une chanson médiocre, profilée selon les normes les plus plates de ce concours qui d’ailleurs n’a jamais présenté aucun intérêt artistique ? Moralité : que l’on soit ministre ou chanteur, être attaché à notre langue, c’est bien. Avoir quelque chose à dire, c’est mieux...

François Taillandier

 

(1) Le Monde du 30 mai. - (2) Le Monde des livres du 24 mai.

 

 

Source : humanite.fr, le 31 mai 2012

Possibilité de réagir sur :

http://www.humanite.fr/culture/linguistic-blues-497605

 

 

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Réaction de Régis Ravat :

Très bien cet article, monsieur Taillandier, mais moi je l'aurais plutôt appelé en français « Capitulation linguistique », ce qui aurait, de plus, justifié le jeu de mot de l'Afrav : MoscoVichy, Vichy rappelant la collaboration. Et ce n'est pas l'Afrav, mais Michel Serres, le célèbre philosophe, professeur et académicien français qui l'a dit : « Il y a aujourd'hui sur les murs de Paris plus de mots anglais qu'il n'y avait de mots allemands sous l'occupation nazie ».

Quant à Jean-Claude Milner qui dit que notre langue est de moins en moins entendue, c'est faux, car en réalité il n'y a jamais eu autant de francophones à travers le monde qu'aujourd'hui. L'UNESCO prévoit même qu'aux alentours de 2050, les locuteurs francophones pourraient atteindre, grâce notamment à l'Afrique francophone, les 750 millions, c'est-à-dire 10% de la population mondiale.

Arrêtons donc de toujours nous sous-estimer.

Enfin, s'agissant d'Anggun qui nous représentait à l'Eurovision, c'est faux de dire qu'elle chantait en français, car elle chantait en BILINGUE français-anglais ce qui n'est tout de même pas la même chose. Le bilinguisme obligatoire, et systématique, n'est pas anodin, car c'est une marque d'impuissance et de capitulation face à la langue des maîtres du moment. L'Eurovision n'est certes pas un grand moment artistique, mais c'est une émission qui est vue par plus de 100 millions de téléspectateurs. En fait, l'essentiel n'est pas de gagner (puisque c'est un concours basé sur le copinage), l'essentiel, c'est de participer en FRANÇAIS, lorsqu'on représente la France, de bien chanter en français et ainsi de faire, l'instant de 3 minutes, la publicité de notre langue, et ce faisant de toutes les langues, dans ce milieu qui a largement abdiqué pour l'anglais.

 

À vous de réagir....

(http://www.humanite.fr/culture/linguistic-blues-497605)

 

 

 

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