Xavier North, délégué général à la langue française et aux langues de France

« Le français a toutes les ressources nécessaires pour se réinventer »

LEMONDE.FR 

 

À l'occasion de la Semaine internationale de la langue française et de la francophonie, Xavier North, agrégé, normalien et délégué général à la langue française et aux langues de France, se félicite de la progression du français à travers le monde. Et réfute, au passage, l'idée selon laquelle la langue de Molière, trop figée, courrait un danger face à l'anglais.

Comment le français se situe-t-il par rapport à d'autres langues internationales ?

Le français a le privilège, avec l'anglais, l'espagnol et le portugais, d'être l'une des grandes langues de diffusion internationale. Du point de vue du nombre de ses locuteurs [estimé par l'Organisation internationale de la francophonie à environ 220 millions en 2010], il figure, selon les classements en vigueur, dans un peloton d'une douzaine de langues. C'est loin d'être négligeable, d'autant que la France ne représente que 1 % de la population mondiale et qu'il existe quelque 6 000-6 500 langues sur la planète. Ce qu'il est important de noter, c'est que le français a connu une évolution très importante de son statut. Pendant longtemps, deux ou trois siècles, il a eu une prétention à l'universalité. Aujourd'hui, il se veut plutôt une langue d'influence mondiale, ce qui n'est pas la même chose. Bien sûr, ce changement de statut est souvent interprété comme un recul, voire un déclin. Mais cette image est fausse, car le français, sous l'effet conjugué de l'alphabétisation et de l'expansion démographique, est une langue qui, en chiffres absolus, continue de progresser. C'est notamment le cas en Afrique [d'après les projections, on comptera 700 à 750 millions de francophones dans le monde en 2050, dont 500 millions en Afrique].

Y a-t-il des aires culturelles où le français a particulièrement progressé ?

Si l'on observe ce qui se passe au-delà du périmètre traditionnel de la francophonie, on constate que le français progresse dans des espaces où l'on ne s'attendrait pas à ce que ce soit le cas. Je pense en particulier à l'Afrique anglophone, et notamment à l'Afrique du Sud, où l'apprentissage et le développement du français s'inscrivent dans une politique de bon voisinage : le pays cherche à se désenclaver et à travailler en relation plus étroite avec l'Afrique francophone. Mais le français s'est également fortement développé ces dernières années sur le pourtour asiatique, ainsi que dans les pays du Golfe. Dans ce dernier cas, cela s'explique par la volonté de s'adosser à un modèle alternatif au modèle anglo-saxon dominant. Le meilleur exemple est sans doute celui d'Abou Dhabi. Ce n'est pas un hasard si une antenne de la Sorbonne s'y est implantée en 2006 et si un accord intergouvernemental a été signé en mars 2007 pour développer le Louvre Abou Dhabi [ce musée doit théoriquement ouvrir ses portes à l'horizon 2013]. C'est assurément le signe d'une francophilie ou, en tout cas, d'un intérêt pour la France.

Comment expliquer cet engouement pour le français ?

Dans l'aire de la Francophonie du Sud – la nuance est importante parce que les problématiques sont évidemment différentes au Québec, en communauté française de Belgique et en Suisse –, le français est perçu comme un outil de développement, d'accès au savoir ; un outil qui permet d'assurer la promotion personnelle via l'ascension professionnelle. Le français apparaît aussi comme une langue de liberté. En témoigne l'image qui est la sienne dans les pays du Maghreb. En dehors de l'espace francophone, je crois qu'il s'agit plutôt de la recherche d'un modèle alternatif, comme je le suggérais précédemment.

Quelle est justement l'image globale du français ?

Tout a été dit – et son contraire – sur le français. Certains ont soutenu que c'était une langue qui se distinguait par son élégance ou sa clarté [d'Alembert, Rivarol]. D'autres en ont fait la critique [Fénelon, La Bruyère, Lamartine]. Ce sont-là des jugements qui sont nécessairement subjectifs. Ce que l'on peut dire objectivement, c'est que la langue française est une langue qui, assez tôt dans son histoire, à partir du XVIe siècle, a été codifiée, dans le sens où elle a pu s'adosser à des dictionnaires. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'Académie française a été créée (voir encadré) ; Académie qui, d'ailleurs, n'est pas la première en Europe, puisque l'Accademia della Crusca a été créée à Florence en 1583.

Claude Hagège, professeur au Collège de France, rappelle que le français était naguère investi d'une « mission civilisatrice ». Qu'en est-il aujourd'hui ?

L'expression de « mission civilisatrice » est profondément entachée par la période coloniale. Personne ne dirait donc aujourd'hui que le français a une mission civilisatrice. Pour ma part, je suis extrêmement sceptique à l'égard des discours selon lesquels le français serait porteur de valeurs. Aucune langue ne porte des valeurs, on lui attache des valeurs. Le français est ainsi la langue de la Déclaration des droits de l'homme, de Voltaire, de Rousseau, de Victor Hugo, mais c'est aussi la langue de Robert Brasillach [écrivain engagé au côté de l'Allemagne nazie, il fut condamné à mort et fusillé à la Libération] et de Charles Maurras [homme politique et écrivain, son soutien au régime de Vichy lui valut d'être condamné en 1945 à la détention perpétuelle et radié de l'Académie française], de Céline et de ses pamphlets. Ce qui a fait le rayonnement de la langue française, c'est l'ensemble des œuvres qui se sont construites en elle : des œuvres littéraires et philosophiques, des œuvres de pensée, mais aussi les travaux de nos moralistes et les grands discours politiques comme ceux de Montesquieu. Pensons aussi aux grands orateurs de la Révolution française, à Lamartine au milieu du XIXe siècle, à Victor Hugo, dont l'aura peut se faire sentir encore aujourd'hui, notamment en Amérique latine. Au Venezuela, le président Hugo Chavez a ainsi fait traduire et distribuer Les Misérables dans les écoles. Grâce à ce corpus d'œuvres, on a fini par attacher à la langue des valeurs d'émancipation, de liberté. C'est la raison pour laquelle il est souvent dit que le français est la langue des Lumières ou la langue des droits de l'homme.

À vos yeux, le français joue-t-il un rôle crucial dans la construction de l'identité nationale ? 

Je parlerais d'identité culturelle plutôt que d'identité nationale. En effet, il ne faut pas oublier que le français n'est pas seulement la langue des Français, mais aussi celle du Québec, de la communauté française de Belgique et de populations qui ne se reconnaissent pas nécessairement dans une identité française ; des populations qui se sont approprié la langue et qui voient en elle un instrument de liberté et, particulièrement dans les pays du Sud, de développement. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'une langue n'est pas qu'un outil de communication, c'est aussi une manière d'exprimer un rapport collectif avec le monde. La Semaine de la langue française a d'ailleurs justement pour thème cette année le  lien de solidarité qu'instaure une langue partagée.

Du fait du nombre croissant d'emprunts à l'anglais, certains linguistes affirment que la langue française est en danger. Partagez-vous ce constat ?

Je ne pense pas que la langue française se trouve en danger, car elle n'a pas cessé d'emprunter aux diverses langues du monde, comme au XVIe siècle avec l'italien [notamment dans le domaine des arts, avec des mots comme arabesque, fresque, sonnet, entre autres]. La nouveauté, c'est que le français, dans la langue courante, a plus emprunté à l'anglais au cours de ces dix ou quinze dernières années qu'il ne l'avait fait au cours du demi-siècle, voire du siècle écoulé. Ce qui est également remarquable, c'est que ces emprunts sont quasi exclusifs. En effet, hormis l'anglais, le français n'emprunte que très peu aux autres langues, si ce n'est peut-être à l'arabe compte tenu des flux migratoires et des échanges entre les deux rives de la Méditerranée. Mais une langue étant un organisme vivant, rien ne dit qu'un grand nombre de mots anglais que nous utilisons aujourd'hui continueront à l'être dans dix, vingt, trente ou cinquante ans. Prenons l'exemple de Proust : dans A la recherche du temps perdu, il utilisait des termes anglais qui nous paraîtraient aujourd'hui totalement surannés.

Pourquoi emprunte-t-on de manière si massive à l'anglais ?

Cela est dû à la formidable pression qu'exerce cette langue, qui a prospéré dans des proportions beaucoup plus importantes que le français. Pour preuve, il y a aujourd'hui cinq fois plus de locuteurs d'anglais en Chine – et j'entends par là des personnes ayant une maîtrise au moins partielle de la langue – qu'il y a d'habitants en Grande-Bretagne ! L'anglais s'est imposé comme une langue globale, une langue de communication internationale pour toute une série d'échanges. C'est ce que l'on appelle assez volontiers le "globish", mais qui est en grande partie une fiction parce que l'anglais d'aéroport n'a rien de commun avec l'anglais de la recherche scientifique ou celui des entreprises.

Cette tendance récurrente à emprunter à l'anglais ne reflète-t-elle pas une certaine rigidité de la langue française et de son vocabulaire ?

Ce n'est pas notre vocabulaire qui est en cause, c'est notre place économique, notre capacité d'innovation. La langue est portée par des réalités économiques, des faits très objectifs : la puissance économique, commerciale, et même, le cas échéant, militaire.

Comment la langue française va-t-elle évoluer, selon vous ? 

J'ai tout à fait confiance dans la capacité du français à exprimer les réalités du monde contemporain et celles du monde à venir. Je crois qu'il possède en lui toutes les ressources nécessaires pour se réinventer, sur les trottoirs de nos villes, dans les quartiers de nos grandes agglomérations ou dans les commissions de terminologie. C'est une langue en constante évolution. Il n'y a qu'à voir le nombre de termes ou de mots nouveaux qui font leur entrée chaque année dans les dictionnaires pour s'en convaincre...

Propos recueillis par Aymeric Janier

 

 

Loué par le pape Paul VI comme la langue « permettant la magistrature de l'essentiel », le français s'inscrit dans une histoire riche de plusieurs siècles.

842 : Dans le cadre de la succession de Louis le Pieux, mort deux ans plus tôt, les Serments de Strasbourg – plus ancien témoignage des langues française et allemande – entérinent l'alliance de Charles le Chauve et Louis le Germanique contre Lothaire.

1523 : Le théologien et humaniste Jacques Lefèvre d'Étaples traduit en français le Nouveau Testament.

1539 : Le roi François Ier signe l'ordonnance de Villers-Cotterêts (192 articles), en vertu de laquelle le français remplace le latin pour la rédaction de tous les actes légaux et notariés. 

1635 : Le cardinal de Richelieu fonde l'Académie française. La première édition de son dictionnaire remonte à 1694.

1714 : Le traité de Rastatt (Allemagne), conclu entre la France et l'Espagne, fait du français la langue de la diplomatie. La concurrence de l'anglais se renforcera à partir de la signature du traité de Versailles, en 1919.  
2 thermidor an II (20 juillet 1794) : La Convention nationale impose l'emploi du français dans la rédaction de tout acte public. 

1992 : La révision constitutionnelle du 25 juin pose le principe que « la langue de la République est le français »

 

 

Source : lemonde.fr, le jeudi 17 mars 2011

http://www.lemonde.fr/international/article/2011/03/17/le-francais-a-toutes-les-ressources-necessaires-pour-se-reinventer_1491440_3210.html

 

 

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Réaction de Charles Durand :

 

Qu'attendre de Xavier North sinon de nous servir la soupe officielle du pouvoir en place ? C'est la vision stérilisée de la réalité qui ne doit surtout pas déranger, qui ne doit pas faire soupçonner la guerre incessante que nous livre l'empire pour essayer d'étayer son emprise. 

« Dormez, bonnes gens, je veille ! ». Tout cela n'est qu'un aimable ballet de gens bien éduqués et courtois. Comme tous les hauts fonctionnaires, Xavier North ne cherche pas à faire de vagues et surtout à faire état d'une situation inquiétante. Carrière oblige ! Le pouvoir en place ne récompense ni l'honnêteté ni l'initiative, mais le suivisme dans la stricte ligne du pouvoir. Il faut marcher dans les clous et l'avancement est garanti à celui faisant du zèle dans la servilité.
 


 

 

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