« Francacophonie »

Chaque année, le 20 mars, les pays qui ont en partage la langue française fêtent la francophonie. Des voix s’élèvent pourtant pour critiquer son fonctionnement institutionnel.

C’était il y a plus de quarante ans. L’idée d’un « Commonwealth à la française » germait dans l’esprit de Léopold Sédar Senghor et d’Habib Bourguiba. C’est sous l’impulsion des pères de l’indépendance du Sénégal et de la Tunisie, rejoints par le président du Niger, Hammani Diori, et le roi du Cambodge, Norodom Sihanouk, que fut créée à Niamey, le 20 mars 1970, l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), devenue depuis l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

L’OIF regroupe 53 États et gouvernements membres de plein droit, 2 membres associés et 13 observateurs répartis sur les cinq continents. En plus de la langue française, la Francophonie s’est donnée pour mission de promouvoir les droits de l’homme et la diversité culturelle (observation d’élections, médiation dans des crises, création de campus numériques, promotion d’artistes). Grâce à ce travail et aux stratégies communes dans les instances internationales, elle a acquis une certaine dimension politique. Un poids qui séduit au-delà des pays historiquement francophones. C’est pourquoi l’on retrouve aux côtés du Canada, du Vietnam, de la Tunisie ou de la Suisse, plusieurs États tels que l’Albanie, la Slovénie, ou la Grèce.

C’est cette dimension qui pose aujourd’hui problème à certains. Ainsi, pour Amadou Lamine Sall, le poète sénégalais, la francophonie se serait « fourvoyée en politique ». Le fils spirituel de Senghor dénonce pêle-mêle la « francophonie des bureaux », celle « des sommets », éloignée du quotidien des artistes francophones, notamment ceux du Sud, qui ne fait pas assez dans le domaine de la diffusion des œuvres artistiques. La Francophonie, poursuit-il « doit revenir à sa mission première, être beaucoup plus humble, (…) aller là où elle peut faire des résultats ».

Autre incongruité francophone, l’Algérie, le troisième pays comptant le plus de locuteurs après la France et la R.D. Congo, est toujours absente de l’OIF. Et puis, la francophonie a beau se prévaloir de 200 millions de locuteurs, tous ne maîtrisent pas parfaitement le français : au moins 72 millions, avance l’organisation dans son rapport sorti le 13 mars sur la langue française dans le monde.

Dernier grief à l’encontre de la Francophonie, son manque de visibilité en France. Un constat dressé par Abdou Diouf, ancien président du Sénégal et secrétaire général de l’OIF, lui-même, lorsqu’il avoue au Monde : « Je ne parviens toujours pas à m'expliquer (…) le désamour des Français pour la francophonie. Désamour, désintérêt, méconnaissance ? ». Cette indifférence atteint son paroxysme dans le domaine de la littérature. Face au « mépris » des élites intellectuelles françaises autocentrées, pour qui la création littéraire francophone est une sorte de tiroir qui relègue les auteurs africains ou canadiens en « marge » de la création dans la langue de Molière, 44 écrivains, dont Jean Marie Le Clézio, Tahar Ben Jelloun, Édouard Glissant, Amin Maalouf ou Alain Mabanckou – rien que ça – ont lancé le manifeste pour une « littérature-monde en français », qui signerait ni plus ni moins « l’acte de décès de la francophonie » telle que vécue jusqu’à aujourd’hui, avec son centre – la France – et sa périphérie exotique.

Force est de constater que la France a tendance à se replier sur ses (maigres) ressources. C’est pourtant à un autre niveau que se situent les enjeux d’une diversité culturelle pleine et assumée, face à l’homogénéisation des contenus culturels dans le monde…

 

Alexis Meyran

 

 Source : MARIANNE en-ligne.fr, le 20 mars 2007

 

 

 

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