Entre académie et société

Jean Oddoz était encore rédacteur en chef adjoint de Midi Libre voici un peu plus de dix ans. Mais c'est en lecteur qu'il nous écrit. À la retraite, il garde un œil aigu sur la production de ses cadets en journalisme. Aujourd'hui, il pousse « un coup de gueule ». 

Objet de son courroux, le néologisme « facilitateur » utilisé dans le titre d'un article paru récemment dans une page locale de l'édition de Montpellier. 

Petit coup de règle - justifié ­ sur les doigts : pas plus de « facilitateur » dans les pages du Petit Robert que de quotidien d'opposition en Corée du Nord. 
« Désolée », explique la journaliste stagiaire auteur de cet article, par ailleurs clair et informatif. « J'ai repris dans le titre un terme qui figurait dans la plaquette de l'entreprise que je présentais ... ». 

Autre avatar linguistique dénoncé par Jean Oddoz, le très laid verbe « courser » ­ quant à lui au dictionnaire - qui fleurirait dans nombre de nos comptes-rendus de faits divers, au détriment du très explicite « poursuivre ». 

« La langue n'est pas immobile et s'enrichit des autres dialectes », admet notre confrère. Mais il s'irrite d'une anglicisation rampante de notre expression, citant « La mort du français », essai publié chez Plon par l'écrivain et philologue* Claude Duneton : « Le côté exotique du désir d'anglais, c'est la colonisation par l'intérieur de la tête ». 

« Serait-ce trop demander à nos journalistes de respecter leur langue ? », interroge Jean Oddoz avant d'évoquer, un brin nostalgique, l'époque où linotypistes et typographes faisaient la leçon aux rédacteurs « oublieux de la syntaxe ou fâchés avec l'orthographe ». 

Y a-t-il une vocation, une responsabilité linguistique des journalistes ? Forcément. 

« Vous êtes pour nous entre l'Académie et la société, écrit L.A, une lectrice nîmoise. Vous n'avez pas de statut doctoral, mais vous devez nous garantir un bon langage, tout en faisant émerger une expression nouvelle ».

Attente légitime, mais pas évidente à satisfaire. Sans compter les différences d'approche d'un journaliste à l'autre. 

Responsable de l'agence parisienne de Midi Libre et journaliste d'expérience, Gérard Rousset se veut « gardien de la langue. Pas celle du XVIIe siècle, bien sûr, poursuit-il. Mais nous sommes des éducateurs. Nous devons opter pour la langue la plus correcte possible, en évitant les dérapages sémantiques de la télévision ou de la radio, sans placer du verlan ou du parler de banlieue à tout bout de champ sous prétexte que ça fait jeune. À l'opposé, il faut s'interdire les jargons technique, administratif et politique, les sigles non développés. En même temps, essayer d'écrire simple, clair, coloré ». 

Rédacteur de notre agence de Carcassonne, Yannick Bonnefoy, 34 ans, admet être garant d'une certaine conformité aux canons de la syntaxe, de la grammaire et de l'orthographe françaises. « Mais il faut évoluer, estime-t-il. Sans démagogie, il me semble normal d'avoir recours à des expressions du moment si elles sont publiables. La langue est vivante, et on doit en user en fonction du lectorat qu'on vise. Par exemple, employer des mots que tous les jeunes peuvent comprendre, car tout le monde n'a pas le réflexe « dictionnaire ».  N'ajoutons pas de contrainte dissuasive à un public qui lit de moins en moins ! ». 

Sacrée époque langagière. Pourtant, les « fondamentaux » tiennent bon : « Ici, on traque la faute d'orthographe, explique Laurence Creusot, directrice de l'École supérieure de journalisme de Montpellier. La maîtrise du français est un domaine éliminatoire au test d'entrée. Faire des fautes dans les noms de lieux ou les patronymes, c'est manquer à la première des politesses. La faute lexicale est mal venue, et la faute de conjugaison tue le récit. Mais soyons sensibles au langage de la rue, à celui qui se développe dans les blogues. L'époque est paradoxale : il n'y a plus de correcteur dans la presse écrite, mais l'émission « C dans l'air » sur France 5 vient d'en recruter pour ... corriger les fautes dans les textos qui défilent à l'écran ».

 

 * Philologue : spécialiste de l'étude des textes 

  Olivier Clerc

 

 

Source : Midi Libre, journal du samedi 22 avril 2006 

 

 

 

 

Haut de page