Hervé Bourges : « En 2050, neuf francophones sur dix seront africains »

L'ex-dirigeant de l'audiovisuel dénonce des élites françaises qui cèdent au tout-anglais.

Propos recueillis par Marie-Amélie Lombard-Latune

Hervé Bourges et la langue françaiseHervé Bourges : « Mais on ne va pas rester pétrifiés à regarder l'anglais gagner du terrain et à considérer que le français est une langue du passé, une langue de la cour... Au contraire, il faut l'imposer à tous les niveaux. »

(Photo : Zacharie Scheurer)

 

L'ancien patron de chaînes télévisées, puis du Conseil supérieur de l'audiovisuel, Hervé Bourges, prend la plume pour défendre la francophonie dans "Pardon My French". La langue française, un enjeu du XXIe siècle, Éditions Karthala, mars 2014. Un plaidoyer foisonnant dont il espère que François Hollande tiendra compte lors de la Semaine de la francophonie, qui s'ouvre ce lundi 17 mars 2014.

LE FIGARO. - Le français est, dites-vous, une langue souvent « massacrée », « moquée » et « menacée ». À qui revient le bonnet d'âne ?

Hervé BOURGES. - En général, les élites politiques, comme celles de l'administration et de l'entreprise ainsi que les médias ont lâché la langue française, au sens où ils estiment qu'elle ne fait plus partie de l'histoire et de l'identité françaises. Tant pis pour la Constitution, qui consacre le français comme langue nationale, et la loi Toubon ! La SNCF rédige des notes de service en anglais. Les termes "coaching", "bashing", "burn-out" envahissent les médias même si je ne suis pas persuadé que tout le monde en comprenne le sens... Heureusement, à l'inverse, Michelin maintient le français dans les réunions internationales, quitte à prévoir des interprètes.

- Les médias fautifs, les politiques aussi... Mais ne reflètent-ils pas simplement l'air du temps, une société et une langue qui évoluent ?

- C'est surtout un petit monde, content de se faire plaisir ou cédant à la facilité. Rien à voir avec de Gaulle, Mitterrand ou même Jacques Chirac, qui s'est beaucoup battu pour la défense de notre langue. Lors d'une réunion à Bruxelles, il avait quitté la salle parce qu'une personnalité française avait commencé un discours en anglais ! Aujourd'hui, Arnaud Montebourg défend le "made in France"... En général, peopolisation et populisme sont devenus les deux mamelles de l'information.

- "Peopolisation" : vous cédez aussi aux anglicismes ? N'est-ce pas vain de lutter contre cette mondialisation de la langue ?

- Mais j'utilise « courriel » au lieu de « mail ». Et il est même parfois possible de revenir en arrière : c'est le cas de « dopage » alors que « doping » fut un temps en vogue en France. Nous devrions nous inspirer du Québec où 7 millions d'habitants luttent pour préserver leur langue, mais aussi, par exemple, d'Haïti, qui apporta sa voix décisive pour que la France soit membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU.

Si l'anglais est baragouiné partout par commodité, apprendre le français n'est-il pas aujourd'hui le nec plus ultra à New York, Hongkong ou Abu Dhabi ?

Mais on ne va pas rester pétrifiés à regarder l'anglais gagner du terrain et à considérer que le français est une langue du passé, une langue de la cour... Au contraire, il faut l'imposer à tous les niveaux. C'est quand même l'une des deux langues de travail de l'ONU !

- Donc, vous n'appréciez guère la loi Fioraso qui autorise l'enseignement en anglais à l'université ?

- Bien entendu, les jeunes doivent connaître l'anglais. Encore faudrait-il, pour certains, qu'ils commencent par maîtriser le français, par savoir réfléchir, lire, compter...

- Mais cette loi favorise la venue d'étudiants étrangers en France. Ils deviendront des ambassadeurs de la langue et de la culture françaises...

- Qu'on leur apprenne aussi le français. L'universitaire Antoine Compagnon raconte que des étudiants à qui il faisait cours en anglais venaient ensuite le voir pour lui dire : « Monsieur, pouvez-vous maintenant nous donner les explications mais en français ? »

- Pourtant, vous restez optimiste : le français sera sauvé par les francophones hors de France ?

- En 2050, il y aura de 600 millions à 1 milliard de francophones dans le monde, contre environ 300 millions aujourd'hui. Selon ces projections, neuf fran­cophones sur dix seront africains.

- Une mosaïque de français parlée aux quatre coins du monde ?

- On ne parle déjà pas le même français rue Didouche-Mourad à Alger, à Treichville, banlieue d'Abidjan, ou à Port-au-Prince. Cette vitalité, on la doit à Senghor, Bourguiba, Hamani Diori au Niger ou Sihanouk au Cambodge, qui se sont battus pour leur indépendance, mais aussi pour le français. Il existe vingt-cinq quotidiens en langue française en Algérie ! L'écrivain algérien Kateb Yacine employa cette très belle formule : « Le français, c'est notre butin de guerre. » Dans tous ces pays, le français s'enrichit, se frotte aux autres idiomes. Quand vous entendez du québécois, ça sent le terroir !

- Quel est votre mot préféré de la langue française ?

- Je ne sais si c'est « amour » ou « amitié ».

- Et le plus détesté ?

 - « Suivisme ».

 

 

Source : Le Figaro, le lundi 17 mars 2014

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/03/16/01016-20140316ARTFIG00137-herve-bourgesen-2050-neuf-francophones-sur-dix-seront-africains.php