Francophonie : Abdou Diouf mobilise les
ministres européens
Le français organise sa défense à l’UE
Le constat n’est pas
nouveau : le français recule un peu plus
chaque année devant l’anglais. Échanges diplomatiques,
tractations commerciales, hégémonies culturelles : tout concourt à
propager davantage la langue de Shakespeare que celle de Molière. Les
institutions européennes n’y échappent pas.
Hier à Bruxelles, Abdou Diouf, le secrétaire général de l’Organisation
Internationale de la Francophonie (0IF) a rencontré plusieurs
ministres des Affaires étrangères issus de pays membres de la
Francophonie ou candidats à l’adhésion. Au centre des discussions,
la diversité culturelle et linguistique, et partant la place du
français dans les différentes institutions de l’Union. Le propos
d’Abdou Diouf s’est voulu plus offensif que défensif: selon lui,
cette diversité doit occuper une place centrale dans l’UE. Celle-ci
pourrait ainsi devenir une référence mondiale en la matière.
Le 1er mai, l’élargissement a vu l’Union intégrer dix nouveaux
membres, dix pays où l’anglais s’est répandu comme une traînée
de poudre depuis la chute du Mur. L’impact linguistique de cette
grande ingestion est encore mal connu, mais il est entendu que les
indicateurs sont au rouge. Un sondage réalisé parmi les fonctionnaires issus de ces
États montre que presque 70 % d’entre
eux utilisent l’anglais comme seconde langue. De 1997 à 2002 encore, l’usage du français dans les
documents utilisés par le
Conseil a chuté à 24 %, alors que l’anglais atteignait les 32 %. Et l’explosion
du budget alloué aux traductions
- près d’un milliard d’euros par an - laisse penser que le parler du 10, Downing Street pourrait
davantage s’imposer au nom de la simplification, face aux quelque
400 combinaisons linguistiques possibles dans l’UE.
Parlez-vous "bruxellish" ?
Au bout du compte, la diversification culturelle européenne est en
jeu. Davantage qu’un dépit d’intellectuel, c’est toute la
capacité d’influence politique et économique des pays
francophones dans l’Union qui en dépend. Si ceux-ci en sont
conscients, la question des moyens reste posée. Le "Guardian" du 12
juillet raconte ainsi, non sans une pointe d’ironie, comment des
cours sont organisés à proximité d’Avignon pour que les
ambassadeurs et les fonctionnaires des nouveaux États membres se forment
à la langue du cru. À Bruxelles cette fois, une campagne incite les
fonctionnaires des institutions à ne pas renâcler devant l’apprentissage
du français...
Cela suffit-il vraiment ? Lundi, Abdou Diouf a lancé un appel devant
les représentants de treize des 25 États de l’UE 6 - dont la
Belgique - avant la réunion des ministres des Affaires étrangères.
Il y a encouragé le plurilinguisme, demandant notamment aux
fonctionnaires, diplomates et experts d’user d’abord de leur langue nationale ou, à défaut, du français. Et recommandé à
chacun de veiller au grain lorsque les institutions ne proposent pas
ou proposent en retard interprétation et traduction. Cette diversité
n’a pas de prix, a estimé l’ancien président sénégalais,
rappelant que le coût des traductions dans les institutions de l’UE
est de deux euros par habitant, soit le prix d’un café...
Côté belge, la Communauté française participe depuis 2002 au « plan
d’action pour le français au sein de l’UE » que la Francophonie a mis en place par le biais de son opérateur principal,
l’Agence intergouvernementale. En 2003 et 2004, trois millions d’euros
auront notamment été consacrés à la promotion linguistique. Des
efforts sont également faits à l’extérieur de l’UE : candidate
à l’adhésion, la Roumanie s’est engagée le 7 juillet dernier à
former 500 de ses fonctionnaires à l’utilisation du français.
Autant de gouttes d’eau dans la mer ? Sans doute. Si la volonté de
refuser l’uniformisation inhérente au grand projet politique et
économique qu’est l’UE existe, elle est loin d’être une
priorité. Du nombre viendra peut-être la force : nombreuses sont les
langues européennes autres que le français à souffrir avec plus ou
moins de résignation face au rouleau compresseur anglo-saxon. Qui a
lui-même ses petits soucis : n’appelle-t-on pas cet idiome que l’on
parle avec plus ou moins de bonheur dans les institutions le «
Bruxellish ». Soit une mutation incontrôlée de la langue de Conan
Doyle et Byron qui pousse davantage les natifs de l’Albion à la
causticité qu’à l’empathie quelquefois réservée aux
bredouillements exotiques..
Pascal
Martin
Source :
Le Soir, journal du 13 juillet 2004
Pour défendre le français, il faut encourager le plurilinguisme, estime
Abdou Diouf.