Le Gouvernement cède aux pressions des Régionalistes
En dépit de ses promesses, Nicolas Sarkozy a flanché devant les pressions régionalistes de l'Union européenne. L'amendement voté jeudi 22 mai pour modifier la Constitution pourrait être le premier pas vers une France encore plus inégalitaire.
Faut-il avoir peur des biloutes ? (crédit flickr-Sébastien Michel)
Les parlementaires bretons en auraient presque dansé la gavotte
! Jeudi après-midi, en plein débat sur la modernisation des
institutions, les députés ont voté à la quasi unanimité un
amendement à l'article premier de la Constitution. Objet du
texte : graver dans le marbre que
« les langues régionales
appartiennent au patrimoine de la Nation ». Anecdotique ?
Pas vraiment. Pour les régionalistes fervents, comme le
Costarmoricain Marc Le Fur (UMP) ou la députée de Lorient
Françoise Olivier-Coupeau, c'est une victoire de taille. Cette
dernière, qui préside le groupe d'étude sur les langues
régionales à l'Assemblée, ne cachait pas l'enjeu du vote :
« C'est un premier pas, qui
autorisera juridiquement la ratification par la France de la
Charte européenne des langues régionales. » Une Charte à
la tonalité très politique…
Vive les Ch'tis !
« Ça a l'air glamour comme ça,
décrypte Yvonne Bollmann, auteur de
La Bataille des langues en
Europe (Bartillat) On
pense aux Cht'is, au charme de nos terroirs. En réalité, ces
textes cachent une politique beaucoup plus sombre qui met en
danger l'égalité des droits né de la révolution française. »
La chercheuse s'inquiète d'un
« retour à la féodalité »
à travers l'émergence de minorités régionales qui, traitant
directement avec Bruxelles, chercheraient à s'emparer des
prérogatives étatiques. Des lobbies très actifs au Conseil de
l'Europe, comme l'Union fédéraliste des communautés ethniques
européennes (UFCE), architecte, entre autres, de la fameuse
charte européenne des langues régionales, militent en effet pour
un régionalisme politique qui donnerait plus de poids aux
« ethnies ».
« Par ethnie, il faut
comprendre des minorités qui disposent d'une langue et d'un
territoire, comme les Flamands, les Occitans, les Corses, les
Bretons ou les Alsaciens », explique Yvonne Bollman.
«
À terme, on va assister à un repli autour de régions
puissantes, qui imposeront des spécificités fiscales et
juridiques, prédit même Pierre Hillard, professeur de
Relations internationales à l' l'École supérieure du commerce
extérieur et auteur de La
Décomposition des nations européennes (François-Xavier de
Guibert éd.). Au pays de l'hyper-centralisme démocratique, on
peine à partager ses craintes... Comment imaginer, chez nous,
des inégalités de droit entre les Français selon la région d'où
ils seraient originaires ? «
C'est pourtant ce qu'avait proposé Édouard Balladur lorsqu'il
envisageait de régionaliser le Smic, rappelle Pierre
Hillard. On voit bien le risque
: selon que vous viendriez d'une région riche, comme l'Ile-de-France,
ou d'une région moins aisée, comme l'Auvergne, vous n'auriez pas
le même Smic… L'enjeu est également financier : grâce au
régionalisme, les régions transfrontalières comme l'Alsace par
exemple s'arrogent déjà déjà la gestion des fonds structurels,
qui s'élèvent quand même à plus de 300 milliards d'euros pour la
période 2007-2013. » Mais
l'Alsace est une exception, et ce vote-là ne concerne, pour
l'instant, que les langues. Problème, les spécialistes posent
d'embarrassantes questions : «
Si ce n'était qu'une question de respect des langues et des
minorités, pourquoi reconnaître les seules langues régionales et
pas le chinois ou l'arabe, qui sont couramment parlées en France
? », interroge Pierre Hillard. Oups. C'est vrai, ça,
pourquoi ?
Sarkozy se contredit... une fois de plus
La polémique s'ouvre ainsi discrètement. Jusqu'ici, le débat
n'avait pas lieu en France, puisque le candidat Nicolas Sarkozy
a toujours assuré qu'il ne ratifierait pas la charte des langues
régionales… Sa promesse avait d'ailleurs été relayée le mois
denier (!) par la ministre de la Culture en personne,
Christine Albanel. Mais à l'approche de la présidence
française de l'Union européenne, il semble que la force des
lobbies allemands se fasse sentir pesamment sur la politique
française. Et la Sarkozie n'est pas une promesse non tenue près…
Reste à savoir si le Conseil constitutionnel jugera l'amendement
recevable. Réponse en juillet.
Anna Borrel
Source : marianne2.fr, le vendredi 23 mai 2008
http://www.marianne2.fr/Le-gouvernement-cede-aux-lobbies-des-langues-regionales_a87466.html