Langues régionales : du bon usage d'un amendement

 


 

L'analyse d'Olivier Pognon, journaliste au service politique du Figaro.

 

« Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la nation » : en ajoutant cette mention à l'article 1er de la Constitution, les députés ont abordé un terrain particulièrement sensible, celui de l'unité nationale. Mais ils l'ont fait avec une prudence telle que leur initiative ne devrait pas inquiéter outre mesure les plus sourcilleux défenseurs de l'indivisibilité de la République.

On pourrait tout d'abord observer que cet amendement ne fait qu'affirmer une évidence. Ou alors il faudrait prétendre que les troubadours, qui chantaient en langue d'oc, ou le poète Mistral, dont on sait la vénération qui l'entoure en Provence, n'appartiennent pas au patrimoine de la nation.

Il va pourtant de soi que si les députés ont tenu à inscrire cette déclaration dans la loi fondamentale, ce n'est pas uniquement à titre d'ornement sans conséquence. L'amendement vise à permettre l'adoption d'une loi dont Christine Albanel a annoncé le dépôt et destinées à « normaliser et organiser l'apprentissage et l'emploi des langues régionales ». Selon le député UMP des Côtes-d'Armor, Marc Le Fur, ce texte aura pour objet de favoriser non seulement l'enseignement de ces langues mais aussi leur emploi dans certains programmes télévisés : une telle loi aurait risqué, sans cet aménagement, les foudres du Conseil constitutionnel. Les Sages avaient refusé, en 2002 la mise en place d'un enseignement par immersion en langues régionales dans les établissements publics, en invoquant l'article 2 de la Constitution, selon lequel « la langue de la République est le Français ».

Ce dernier principe, ajouté dans la Constitution en 1992, sur un amendement de Jacques Toubon, demeure, bien sûr. Il suffira, selon la majorité des juristes, à éviter les dérives. D'autant plus que le mot de « reconnaissance » des langues régionales, que réclamaient certains élus de gauche, a été soigneusement évité dans l'amendement adopté vendredi. Celui-ci ne créera donc pas  de « droits nouveaux », souligne Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois à l'Assemblée, qui a déposé l'amendement . Il n'autorisera pas les citoyens à « exiger la traduction des documents administratifs », ni des groupes ou des particuliers à « poser une quelconque revendication ».

La ratification de la Charte européenne sur les langues régionales reste exclue, et « contraire à nos principes », selon Christine Albanel, puisqu'elle «aimplique la reconnaissance d'un droit imprescriptible à parler une langue régionale, notamment dans la sphère publique ».

Les langues régionales resteront d'usage privé. Si leur apprentissage et leur diffusion doivent être facilités, c'est, estiment les auteurs de l'amendement, pour éviter leur disparition et calmer les alarmes de ceux qui souhaitent œuvrer à leur conservation : « pacifier le sujet », selon M. Warsmann. Pour Marc Le Fur, il faut donner satisfaction à des revendications qui ne sont pas menaçantes, mais, si elles n'étaient pas comprises, pourraient donner lieu à une surenchère qui, elle, serait dangereuse.

C'est la caractéristique de la France de s'être constituée autour du pouvoir central, par « réunion » progressive des grandes régions au domaine royal. Les centralisations jacobine et napoléonienne ont prolongé l'ouvrage des capétiens. Les instituteurs de la IIIe République, en imposant le français à tous leurs élèves, ont parachevé le travail. Aujourd'hui, les députés pensent que la cohésion nationale n'est pas en danger mais qu'en revanche les 75 langues régionales de France le sont et qu'il faut sauver ce patrimoine auquel beaucoup de Français se montrent attachés. Le vote de l'amendement à l'unanimité témoigne de leur conviction.

Il reste que cet amendement sera ressenti comme un signal par ceux qui rêvent d'autonomies ou d'indépendance régionales. Le Parti occitan n'a pas manqué de saluer « la bonne nouvelle ». Le pouvoir constituant et le Conseil constitutionnel devront se montrer vigilants.

 

 

Source : LeFigaro.fr, le 27 mai 2008

http://www.lefigaro.fr/debats/2008/05/27/01005-20080527ARTFIG00304-langues-regionales-du-bon-usage-d-un-amendement.php