Analyse

La revanche des langues régionales, par Jean-Louis Andreani

 

Si le projet de loi de révision constitutionnelle, assorti de l'amendement surprise adopté à l'Assemblée nationale le 22 mai, va au bout de son parcours parlementaire, la Ve République reviendra, pour une part, sur le chemin emprunté par la IIIe. Soucieux de cimenter définitivement l'unité nationale, les instituteurs, les « hussards noirs » de cette République-là, avaient mis beaucoup d'énergie, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, à extirper de la vie quotidienne des élèves de l'école publique tout ce qui était patois et parlers locaux.

Un siècle après, les régionalistes prennent une petite revanche sur les instituteurs républicains. Parti, il y a une vingtaine d'années, des seules mouvances régionalistes, autonomistes, voire indépendantiste pour la Corse, le militantisme en faveur des langues régionales s'est élargi pour gagner les sphères politiques classiques. Jusqu'à déboucher sur le vote presque unanime des députés, désireux d'inscrire dans la Constitution que les langues régionales font partie du « patrimoine  » de la France. Quelques semaines auparavant, pour la première fois dans l'histoire de la Ve, un débat sans vote avait été organisé au Parlement, le 7 mai à l'Assemblée, le 13 mai au Sénat.

En Bretagne, des élus de tous bords, en particulier des socialistes comme Bernard Poignant ou Marylise Lebranchu, ancienne ministre de la justice, ont rejoint depuis longtemps les rangs des défenseurs du breton et des autres langues régionales. Ainsi, dans un rapport pour Lionel Jospin, alors premier ministre, M. Poignant affirmait déjà, en 1998, que ces idiomes faisaient partie du « patrimoine  » de la République. Même dans des régions comme la Picardie, à l'identité moins affirmée que l'Alsace, la Bretagne ou la Corse, les efforts en faveur du parler picard s'intensifient.

Pour tous les militants ou sympathisants des langues régionales, le symbole d'une garantie constitutionnelle est bien sûr très fort. Toutefois, le pas décisif, de leur point de vue, reste à franchir. Il s'agit de la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires.

En France, l'affaire de la charte a fourni la matière d'un long feuilleton. Ce texte a été adopté par le Conseil de l'Europe en 1992. Il est signé par dix-neuf États membres, ratifié par quinze. Au départ, la France ne figure dans aucune des deux listes. Jacques Chirac en 1996, puis M. Jospin en 1998, ont tenté de faire bouger les lignes, mais le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel se sont toujours opposés à la ratification. En effet, depuis une révision constitutionnelle de 1992, l'article 2 du texte fondamental précise que « la langue de la République est le français  ». Conçu au départ pour lutter contre l'envahissement de l'anglais, cet ajout s'est retourné contre les langues régionales.

En 1996, consulté par Alain Juppé, premier ministre de M. Chirac, le Conseil d'État juge que cette rédaction rend impossible l'adhésion à la charte. Dans une conversation avec des élus bretons, le président de la République s'était dit d'accord avec les principes du texte, mais avait demandé à M. Juppé d'y regarder de plus près. Deux ans plus tard, M. Jospin, alors premier ministre du même Jacques Chirac, s'appuie au contraire sur une expertise du constitutionnaliste Guy Carcassonne pour engager le processus de signature. Le 7 mai 1999, le gouvernement de cohabitation signe le document, avec un blanc-seing officiel du président de la République. Le texte doit être soumis à ratification en 2000. Mais, avant même la signature, le Conseil constitutionnel, saisi par M. Chirac, suit un raisonnement différent pour arriver au même avis que le Conseil d'État. M. Jospin propose une révision constitutionnelle, M. Chirac la refuse en juin 1999.

Depuis, le dossier est resté dans les cartons. Les adversaires de la charte mettent surtout en avant les obligations qu'elle entraînerait, par exemple la possibilité pour un justiciable d'exiger un procès dans sa langue régionale, qui paraissent contraires à la conception française de la République et imposeraient coûts et lourdeurs administratives inenvisageables. Les partisans de l'adhésion à la charte rétorquent que ce texte est une sorte de «alibre-service », dans lequel les États choisissent les alinéas qu'ils souhaitent mettre en oeuvre sans aucune obligation de choisir les plus contraignants. C'est ce qu'avait fait valoir M. Carcassonne.

 

BESOIN DE RACINES

En fait, les langues régionales, ou en tout cas la ratification de la charte qui officialiserait leur reconnaissance, suscitent toujours un sursaut d'inquiétude chez certains politiques. Ainsi, pour refuser la révision constitutionnelle proposée par M. Jospin, M. Chirac avait jugé que celle-ci «aporterait atteinte aux principes fondamentaux de notre République  ». De même, le 7 mai à l'Assemblée, la ministre de la culture, Christine Albanel, avait précisé que la ratification serait « contraire à nos principes  ». Lors du débat au Sénat, Jean-Luc Mélenchon (PS) avait été encore plus clair. « Fier d'être jacobin  », il avait traité de « sectes  » les écoles Diwan qui pratiquent un enseignement bilingue français-breton.

De façon plus ou moins explicite, les adversaires de la reconnaissance des langues régionales les jugent inutiles voire dangereuses, porteuses de ferments de communautarisme. Ils soupçonnent toujours le patriotisme ou même les convictions républicaines de leurs défenseurs. Ainsi les militants du breton traînent comme un boulet les sympathies pronazies, pendant la seconde guerre mondiale, d'un autonomiste historique, Olier Mordrel.

À l'inverse, les défenseurs des langues régionales qui, dans leur quasi-totalité, sont étrangers à toute idée d'indépendance, se prévalent d'un esprit de tolérance, d'acceptation des cultures minoritaires. Ils soulignent que le besoin de racines, la revendication d'une identité régionale, sont un corollaire de la globalisation. Ils ne pensent pas que la survie et l'usage des langues régionales menacent l'unité de la France. Au contraire, le refus de cette expression n'aboutirait selon eux qu'à exacerber un sentiment d'injustice.

Dans l'immédiat, les défenseurs des langues régionales se mobilisent déjà pour rouvrir le dossier de la charte. Le vote massif du 22 mai, s'il se traduit bien dans la Constitution, peut-il préfigurer un nouveau choix parlementaire en faveur de la charte, malgré le refus prévisible du gouvernementa? Dans ce cas, Mme Lebranchu « ne voit pas comment le Conseil constitutionnel pourrait s'opposer à la ratification  » du texte européen.

 

Jean-Louis Andreani (Éditorialiste)

Courriel : andreani@lemonde.fr

 

 

Source : LeMonde.fr, le 2 juin 2008

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/06/02/la-revanche-des-langues-regionales-par-jean-louis-andreani_1052599_3232.html

 

 

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Les langues régionales inscrites dans la Constitution

 

« Les langues régionales appartiennent » au patrimoine de la France, stipule cet amendement voté à une quasi-unanimité dans le cadre du débat sur la réforme des institutions.

 

 

Les députés ont adopté, jeudi 22 mai, un amendement qui mentionne pour la première fois les langues régionales dans la Constitution.
« Les langues régionales appartiennent » au patrimoine de la France, stipule cet amendement voté à une quasi-unanimité dans le cadre du débat sur la réforme des institutions. Proposé par le rapporteur UMP Jean-Luc Warsmann, cet amendement complète l'article premier de la Constitution sur l'organisation décentralisée de la République française.

Au nom du gouvernement, Rachida Dati s'est dite « tout à fait favorable » à cet amendement. Le gouvernement s'est engagé lors d'un débat à l'Assemblée le 7 mai dernier à présenter une loi sur les langues régionales.

Un vote salué par les députés bretons, corses et alsaciens
 

Le vote de cet amendement a été accueilli comme une victoire par les députés bretons, corses ou alsaciens qui militent pour la reconnaissance des langues régionales, pratiquées par plusieurs millions de personnes en France.

La France n'a jamais ratifié la charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l'Europe, qui impose des mesures en faveur de l'emploi des langues régionales dans la vie publique.

Le vote de cet amendement « n'a rien à voir avec la charte », a toutefois assuré le député UMP Claude Goasguen. (avec AP)

 

 

Source : NouvelObs.com, le 6 juin 2008

http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/politique/20080522.OBS5158/les_langues_regionales_inscrites_dans_la_constitution.html

 

 

Réactions :

 

Jérémie : Parler anglais pour émigrer plus facilement...
Ce qui est aussi une exception française, c'est la haine de soi que vous manifestez !
Vous dites : « Notre jeunesse qui doit s'expatrier de plus en plus pour trouver un travail souffre aujourd'hui de ce manque de formation et nombreuses portes lui sont fermées «. Mais j'espère bien, que l'émigration n'est pas facilitée ! Faire apprendre toujours plus l'anglais, c'est huiler les rouages de la fuite des cerveaux : il n'y a pas de fuite des cerveaux vers le Japon, ou si peu, parce que personne n'apprend leur langue. Il n'y en n'a pas non plus depuis les pays anglo-saxons, où la population ne parle pas les langues étrangères. Ce n'est pas parce la situation est meilleure aux États-Unis que les jeunes n'émigrent pas, c'est le contraire ! Personne en France ne le voit, et on va s'enfermer dans le cercle vicieux aliénant du tout anglais...
Ceux qui sont exceptionnels sont les Anglo-Saxons qui n'apprennent pas les langues, mais font accepter aux autres (faibles) la leur !
 
Jérémie : Pas encore fait...
Votre article laisse croire que la Constitution est modifiée : c'est faux, elle le sera ou pas après le vote en Congrès à Versailles en juillet ! En attendant, la Constitution reste en l'état.
Sur le fond, je trouve cette mesure inopportune : à l'instar de la religion, les langues autres que le français sont une affaire privée, qui n'ont pas à figurer dans la Constitution ni à être employées dans le domaine public. Sinon, on commence à diviser les Français... mais peut-être certains y ont-ils effectivement intérêt ?