Si le projet de loi de révision constitutionnelle, assorti de l'amendement surprise adopté à l'Assemblée nationale le 22 mai, va au bout de son parcours parlementaire, la Ve République reviendra, pour une part, sur le chemin emprunté par la IIIe. Soucieux de cimenter définitivement l'unité nationale, les instituteurs, les « hussards noirs » de cette République-là, avaient mis beaucoup d'énergie, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, à extirper de la vie quotidienne des élèves de l'école publique tout ce qui était patois et parlers locaux.
Un siècle après, les régionalistes prennent une petite
revanche sur les instituteurs républicains. Parti, il y
a une vingtaine d'années, des seules mouvances
régionalistes, autonomistes, voire indépendantiste pour
la Corse, le militantisme en faveur des langues
régionales s'est élargi pour gagner les sphères
politiques classiques. Jusqu'à déboucher sur le vote
presque unanime des députés, désireux d'inscrire dans la
Constitution que les langues régionales font partie du
En Bretagne, des élus de tous bords, en particulier des
socialistes comme Bernard Poignant ou Marylise Lebranchu,
ancienne ministre de la justice, ont rejoint depuis
longtemps les rangs des défenseurs du breton et des
autres langues régionales. Ainsi, dans un rapport pour
Lionel Jospin, alors premier ministre, M. Poignant
affirmait déjà, en 1998, que ces idiomes faisaient
partie du
Pour tous les militants ou sympathisants des langues régionales, le symbole d'une garantie constitutionnelle est bien sûr très fort. Toutefois, le pas décisif, de leur point de vue, reste à franchir. Il s'agit de la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires.
En France, l'affaire de la charte a fourni la matière
d'un long feuilleton. Ce texte a été adopté par le
Conseil de l'Europe en 1992. Il est signé par dix-neuf
États membres, ratifié par quinze. Au départ, la France
ne figure dans aucune des deux listes. Jacques Chirac en
1996, puis M. Jospin en 1998, ont tenté de faire bouger
les lignes, mais le Conseil d'État et le Conseil
constitutionnel se sont toujours opposés à la
ratification. En effet, depuis une révision
constitutionnelle de 1992, l'article 2 du texte
fondamental précise que
En 1996, consulté par Alain Juppé, premier ministre de M. Chirac, le Conseil d'État juge que cette rédaction rend impossible l'adhésion à la charte. Dans une conversation avec des élus bretons, le président de la République s'était dit d'accord avec les principes du texte, mais avait demandé à M. Juppé d'y regarder de plus près. Deux ans plus tard, M. Jospin, alors premier ministre du même Jacques Chirac, s'appuie au contraire sur une expertise du constitutionnaliste Guy Carcassonne pour engager le processus de signature. Le 7 mai 1999, le gouvernement de cohabitation signe le document, avec un blanc-seing officiel du président de la République. Le texte doit être soumis à ratification en 2000. Mais, avant même la signature, le Conseil constitutionnel, saisi par M. Chirac, suit un raisonnement différent pour arriver au même avis que le Conseil d'État. M. Jospin propose une révision constitutionnelle, M. Chirac la refuse en juin 1999.
Depuis, le dossier est resté dans les cartons. Les
adversaires de la charte mettent surtout en avant les
obligations qu'elle entraînerait, par exemple la
possibilité pour un justiciable d'exiger un procès dans
sa langue régionale, qui paraissent contraires à la
conception française de la République et imposeraient
coûts et lourdeurs administratives inenvisageables. Les
partisans de l'adhésion à la charte rétorquent que ce
texte est une sorte de
BESOIN DE RACINES
En fait, les langues régionales, ou en tout cas la
ratification de la charte qui officialiserait leur
reconnaissance, suscitent toujours un sursaut
d'inquiétude chez certains politiques. Ainsi, pour
refuser la révision constitutionnelle proposée par M.
Jospin, M. Chirac avait jugé que celle-ci
De façon plus ou moins explicite, les adversaires de la reconnaissance des langues régionales les jugent inutiles voire dangereuses, porteuses de ferments de communautarisme. Ils soupçonnent toujours le patriotisme ou même les convictions républicaines de leurs défenseurs. Ainsi les militants du breton traînent comme un boulet les sympathies pronazies, pendant la seconde guerre mondiale, d'un autonomiste historique, Olier Mordrel.
À l'inverse, les défenseurs des langues régionales qui, dans leur quasi-totalité, sont étrangers à toute idée d'indépendance, se prévalent d'un esprit de tolérance, d'acceptation des cultures minoritaires. Ils soulignent que le besoin de racines, la revendication d'une identité régionale, sont un corollaire de la globalisation. Ils ne pensent pas que la survie et l'usage des langues régionales menacent l'unité de la France. Au contraire, le refus de cette expression n'aboutirait selon eux qu'à exacerber un sentiment d'injustice.
Dans l'immédiat, les défenseurs des langues régionales
se mobilisent déjà pour rouvrir le dossier de la charte.
Le vote massif du 22 mai, s'il se traduit bien dans la
Constitution, peut-il préfigurer un nouveau choix
parlementaire en faveur de la charte, malgré le refus
prévisible du gouvernementa?
Dans ce cas, Mme Lebranchu