Jean-Luc Mélenchon, ministre de l'Enseignement professionnel, en désaccord avec Jack Lang : « Diwan, une école contraire à l'idéal laïque »
Retoqué par le Conseil d’État, le processus d’intégration des écoles Diwan au service public se heurte également à de vives oppositions à gauche. Ministre délégué à l’Enseignement professionnel, Jean-Luc Mélenchon monte au front contre son ministre de tutelle, Jack Lang, qui annonçait dans Libération le 9 novembre : « Nous pourrons changer la Constitution [pour intégrer Diwan], si nous l’emportons à l’élection présidentielle ».
Le projet d’intégration des écoles Diwan vous pose problème... La pratique de Lionel Jospin depuis quatre ans consiste à accepter les débats, puis à les arbitrer. Je ne peux pas accepter qu’on fasse comme si d’avance il était d’accord avec tout et n’importe quoi. Mes opinions en la matière sont constantes, comme celles de Jack Lang, d’ailleurs. Je ne suis pas d’accord avec l’intégration de Diwan au service public. D’abord, parce que c’est dangereux. On parle de l’intégration dans le Service public d’un établissement dit « à caractère propre ». Pourquoi ce qui vaudrait pour Diwan aujourd’hui ne vaudrait pas demain pour n’importe quel établissement de même nature, notamment pour les établissements privés confessionnels ? On prend le risque de faire voler en éclats le laborieux et coûteux compromis qui a été trouvé.
Diwan est gratuite. Et alors ? Ça ne garantit pas la laïcité.
Diwan se dit laïque... La laïcité, c'est le refus, de la part du service public, de valider
quelque option particulière que ce soit. C’est le refus des
enfermements religieux, mais aussi linguistiques.
Ça ne se fait pas vraiment... Officiellement, si. Le débat serait d’un autre ordre si Diwan commençait par dire que le français est la langue de tous les Français et non enseigné comme une langue étrangère. L’enseignement d’une langue régionale ne pose aucun problème du point de vue de la laïcité. Mais il ne doit pas être obligatoire ou se faire par immersion, c’est-à-dire en interdisant aux jeunes de parler à l’école leur langue nationale : le français. C’est un enfermement.
Certains disent qu’attaquer la langue, c’est attaquer l’identité bretonne. On ne peut pas identifier la Bretagne bretonnante à Diwan. C’est un
piège. La Bretagne est fondatrice des libertés républicaines. C’est
le « club des Bretons » qui a fait basculer la Révolution du bon
côté. Elle est en tête des régions qui ont payé un lourd tribut pour reconquérir l’Alsace et
la Lorraine. Elle est dans le peloton de tête de la Résistance.
Diwan donne de bons résultats pédagogiques ... Des petits Français parlent bien français ? Mais ça me parait assez normal ! De plus, leurs parents s’impliquent beaucoup. Ça aide ! Ce n’est pas un argument contre l’enfermement. Sinon, on admet les logiques du type « du moment que chacun est heureux dans son petit ghetto pourquoi s’en mêler ? ».C’est ce que disent les lâches. Moi, chaque Français m’intéresse.
Jack Lang estime que la République n’est pas menacée par 2000 enfants apprenant en breton. Vous, si ? La République n’est pas fragile, mais les principes le sont toujours. Ça concerne 2000 élèves aujourd’hui. Si on dit oui à l’intégration, cela en concernera peut-être 3000 demain, 5000 après-demain et c’en sera fini de l’indivisibilité du service public.
François Bayrou avait fait de Diwan des écoles sous contrat. Vous êtes contre ? Légalement, c’était possible. Mais, à titre personnel, je pense que
ça peut se discuter.
Lesquelles ? Les intégristes linguistiques développent aussi un projet politique dont l’école est un maillon essentiel. Je ne ferai pas
semblant de l’ignorer. Et je n’oublie pas les racines historiques
sulfureuses de ces fondamentalistes.
C’est toujours vrai ? Tout ça est une queue de comète de l’exaltation des années 68-70 qui mélange de vrais naïfs et des obstinés qui viennent de loin, il n’y a rien de pire que de céder au terrorisme intellectuel qui permet à des gens de préempter la représentation de toute une région. Faire sombrer la Bretagne dans la caricature de Diwan est odieux.
Propos recueillis par
Emmanuel Davidenkoff Source : Libération, journal du 14 décembre 2002
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