Coin de table avec Jean-Luc Mélenchon

 

Le sénateur PS de l'Essonne était l'invité du coin de table

Anne Fulda - Bonsoir. Ce soir nous recevons Jean-Luc Mélenchon, sénateur socialiste de l'Essonne, qui a écrit un livre qui est d'actualité « En quête de gauche », en septembre dernier. Le Sénat a affligé un camouflet au député en refusant d'inscrire la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution. Est-ce que c'était vraiment si dangereux, est-ce que c'était vraiment une atteinte à la République ?

Il y avait le risque parce que les langues n'ont pas besoin d'être reconnues pour exister. Elles ne sont pas persécutées en France. Il existe un cadre légal qui permet leur développement et leur reconnaissance. Il y a 75 langues parlées en France. Ce n'est pas cela le sujet, c'est que ceux qui l'ont mis dans la Constitution ont un objectif : c'est de rendre ensuite possible l'adoption de la charte sur les langues régionales que le Conseil constitutionnel avait écartée en disant «elle n'est pas constitutionnelle» parce qu'elle crée des droits spécifiques pour des gens qui parlent une langue différente, or la République est Une et Indivisible et elle ne crée pas de droits particuliers. C'est pour bloquer la possibilité, demain, de faire adopter cette charte que je me suis mobilisé avec d'autres contre cette inscription dans la Constitution de la mention des langues régionales. Il y en a qui en font toute une histoire. Ils disent « vous n'aimez pas les langues », ce n'est absolument pas le sujet qui est « est-ce qu'on introduit ou non dans la Constitution cette reconnaissance ? ». Je mets en garde mes compatriotes devant cette manie de vouloir mettre dans la Constitution les mille et une choses de notre quotidien. Parce qu'un jour quelqu'un viendra et dira légitimement «si les langues c'est si important que cela, moi, ma religion, c'est très important. Je veux aussi qu'on mette dans la Constitution « qu'on reconnaît les religions ». Pourquoi ne les reconnaît-on pas ? Précisément, parce que la République est laïque.

Justement, à Vigneux-sur-Seine, dans l'Essonne, votre département, l'association culturelle des musulmans a demandé à la mairie de pouvoir disposer d'un gymnase à la fin du mois, dont l'accès serait interdit aux hommes. Est-ce que c'est le retour du religieux dans l'espace public. C'est un exemple parmi d'autres finalement. Ils n'ont pas obtenu ce qu'ils voulaient. Mais y a-t-il vraiment un danger de retour du religieux dans l'espace public ?

Oui, je crois. La France, la République française dans sa conception laïque est sous la menace des retours de tous les communautarismes : religieux, linguistique, d'orientation sexuelle. Tout est prétexte à constituer des droits particuliers opposables à ceux de la collectivité. En matière de religion, oui, il y a un risque et je suis au regret de le dire, que le président de la République y a sa responsabilité. Parce que c'est lui qui a dit que notamment dans les banlieues, ça manquait d'imams, de rabbins et de prêtres. Il a dit « nous devons faciliter la vie des communautés religieuses plutôt que de la leur compliquer » alors que personne ne pensait à la leur compliquer. Il a ouvert la brèche, il a cassé la digue. Depuis, on voit que se multiplient des demandes de plus en plus arrogantes qui sont incompatibles avec l'esprit de la laïcité. Il faut manier ces affaires-là avec beaucoup de délicatesse. Il faut s'expliquer beaucoup. Mais à la fin, force reste à la loi. Nous voulons pouvoir vivre tous ensemble donc nous n'acceptons pas que l'espace public soit envahi par les préoccupations religieuses particulières.

Vous êtes assez isolé sur ce sujet parce qu'on a vu qu'effectivement le président de la République à plusieurs reprises lors du discours de Latran, d'ailleurs vous avez écrit un livre en réplique à ce discours mais aussi lorsqu'il était en Arabie saoudite ou lors de déclarations récentes, a voulu imposer son concept de laïcité positive en semblant vouloir empiéter sur la laïcité. On n'entend pas grand monde s'élever contre cela, comment l'expliquez-vous ?

Il y a beaucoup de gens qui manquent de courage, qui se sentent battus d'avance ou qui ont l'impression que la force de la mode finira par l'emporter. Mais moi je fais mon devoir. C'est dans ma nature d'être allant pour mes idées. Ce qui est très important, c'est de comprendre que l'intervention dans l'espace public a été en quelque sorte déchaînée, déclenchée par les initiatives du président de la République. Et c'est sur quoi nous pourrions lui demander aujourd'hui de remettre les points sur les «i» parce qu'il n'est pas là seulement pour appliquer ce qu'il croit juste. Il est là aussi pour défendre une Constitution dont il a la charge, qui affirme que nous sommes une République laïque. Il ne doit pas le perdre de vue.

Vous pensez qu'il doit faire une déclaration solennelle pour réaffirmer des… ?

Je pense que c'est son rôle maintenant après avoir commis autant d'excès de remettre le curseur là où il doit être. Il doit rappeler que la République française est Une et Indivisible parce qu'elle est laïque et que nous avons le devoir de protéger un espace public dans lequel la religion n'a pas sa place. Elle a sa place là où elle doit se pratiquer : dans les lieux de culte, dans le secret de son cœur, en famille, mais non pas dans l'espace public. La laïcité positive, c'est le mot que vous avez utilisé tout à l'heure fort justement, le président fait beaucoup de bruit avec ce mot. Il croit qu'il l'a inventé. En réalité, il n'a fait que recopier ce que le Pape lui-même a écrit sur le sujet. Or, précisément la définition de la laïcité positive par le Pape, c'est une laïcité dans laquelle la religion a non seulement le droit à un culte privé totalement libre, mais également une place dans l'espace public. C'est à cette doctrine que le président de la République semble s'être rallié. C'est son devoir maintenant de mettre la ligne d'arrêt, de dire « stop, la France n'est pas une addition de communautés ».

(...)

 

voir la vidéo : http://videos.lefigaro.fr/video/iLyROoafYseh.html

 

 

Source : Lefigaro.fr, le 23 juin 2008

http://www.lefigaro.fr/le-talk/2008/06/23/01021-20080623ARTFIG00675-le-talk-jean-luc-melenchon.php

 

 

 

: