"Les politiques wallons doivent se remuscler"

 

Robert Collignon

Bourgmestre d'Amay (PS)

 

La Flandre n’a rien perdu de sa hargne sur le plan des revendications institutionnelles. À l’opposé, les francophones apparaissent comme timorés, est-ce là le signe de la fin du combat wallon ?

C’est une réalité. Les belles années ont été la décennie 80. Dès les années 90, après un certain nombre de réformes les francophones ont eu le sentiment d’un aboutissement. J’apparaissais dès lors comme un Cassandre lorsque je disais «Attendez­vous à ce que nos compatriotes remettent sur le tapis les transferts de compétences». Or, il est évident que les demandes allaient nécessairement arriver.

 

On a un peu l’impression que la génération des tribuns wallons comme François Penn, Jean-Maurice Dehousse, José Happart, Van Cau ou vous-même, n’a pas été remplacée.
C’est vrai. Mais vous savez, nous avons tous été nourris par le combat wallon notamment par la grande grève de 1960. C’était un moment où les Wallons étaient demandeurs de réformes, d’une régionalisation des compétences. Le problème, je le répète, c’est que les francophones ont cru que les choses étaient abouties. À un certain moment, j’ai, moi aussi, cru à un fédéralisme bien établi même si j’ai toujours pensé, comme Jean­Luc Dehaene, que le fédéralisme en Belgique est nécessairement évolutif.

 

Qui aujourd’hui pourrait reprendre le rôle joué par les anciens porte-drapeaux ?
Je crois que mon ami Jean­Claude Van Cauwenberghe est un peu brimé du fait de sa fonction. je suis persuadé de son sentiment wallon profond, mais quand on exerce des responsabilités, c’est moins facile. José Happart m’a succédé à la présidence du parlement, il n’a qu’à faire un discours musclé aux Fêtes de Wallonie.

 

Vous l’avez fait et ça vous a parfois coûté cher.
Lorsqu’au Fêtes de Wallonie, je rappelais le combat wallon, certains ont en effet trouvé que ça faisait un peu tache de parler de la sorte en présence du Premier ministre et de toutes les autorités du pays. Je crois que j’étais davantage proche de la réalité que ceux qui plaidaient pour le fait que la Wallonie, sur le plan économique, devait retrouver son statut d’antan. Ce statut, la Wallonie le retrouvera progressivement mais s’il n’y a pas une fierté, un sentiment d’appartenance, ce sera très difficile.

 

Les politiques wallons devraient-ils remuscler leurs discours ?
Je crois que c’est absolument indispensable. Pendant un certain temps, j’ai eu l’impression de crier dans le désert. J'ai entendu dire que c’était politiquement incorrect de muscler le discours wallon. Tout d’un coup, la classe politique redécouvrait le patriotisme beige. Il y a eu un moment de rémission, le combat wallon a été mis en veilleuse.

 

Quelles devraient être les revendications wallonnes ?
J’ai été agréablement surpris lorsque Jean-Claude Van Cauwenberghe a proposé de faire le lien entre la Wallonie et Bruxelles avec Rhode-Saint-Genèse. Qu’importe si ça fait hurler les Flamands, il faut avoir une attitude beaucoup plus revendicative, notamment concernant l’élargissement de Bruxelles. 

"C'est aux Wallons à déterminer leur destin si l’irréparable devait arriver »
Maintenant, à notre niveau, plutôt que de nous préoccuper de défendre les Wallons à l’intérieur de la Belgique, il serait peut-être temps que l’on réfléchisse à l’avenir de nos propres institutions, voir s’il n’y a pas des rationalisations à faire, des changements à opérer.


Parler de rationalisation, n’est-ce pas faire ressurgir le spectre de la fusion entre la Région et la Communauté française ?
Non. Le problème de la fusion n’est plus à l’ordre du jour. Depuis la création de la Région de Bruxelles-Capitale, cette fusion serait un non-sens. Mais j’en reviens à une idée qui m’est chère régionaliser les matières communautaires en conservant le parlement de la Communauté française qui serait chargé d’établir une norme commune à la Wallonie et à Bruxelles. Je demande à certains de réfléchir à cette proposition.


En 1997, vous aviez profondément choqué les Flamands en déclarant que les Wallons se sentaient plus proches de la France, est-ce ça votre vision de l’avenir de la Wallonie ?
Il est évident que Flamands et Wallons ne parlent plus la même langue et ce n’est pas qu’un problème linguistique. Nous sommes, nous, Wallons, confrontés davantage avec les problèmes que connaissent nos voisins français qu’avec ce qui se passe au nord du pays. Je pense que le cancer de la Belgique est là. Nous évoluons en nous éloignant les uns des autres. Un seul exemple, c’est le seul pays fédéral où il n’y a plus de partis nationaux. Il est évident que dans ces conditions, l’affrontement devient nécessairement un affrontement communautaire.

Elio Di Rupo, votre président, a parlé, au Congrès de Gembloux de nation francophone, qu’en pensez-vous ?
Je me suis réjoui du Congrès de Gembloux parce qu’Elio Di Rupo a fait une analyse qui rejoint la mienne avec quelques années de retard. Maintenant, je crois davantage à une nation wallonne. Bruxelles a ses spécificités. Dans cette mesure, qu’il y ait une solidarité entre nous, ça me paraît indispensable surtout vu l’arrogance de nos voisins du nord. Mais je pense que la Wallonie a son destin en main et c’est aux Wallons à le déterminer si l’irréparable devait arriver.

Vous avez été un des chantres du combat wallon, vous dites vous-même qu’il est en sourdine, ça vous déçoit ?
Forcément qu’on est déçu, qu’on éprouve un sentiment d’abandon. Je pense que le combat wallon a été fédérateur de toutes les tendances. On l’a laissé tomber. Je regrette qu’on n’ait pas pu créer un mouvement wallon fédérateur partant des syndicats et des partis. Le PS demeure l’héritier du combat wallon mais il l’a occulté.

Pourquoi ?
Parce qu’on a cru que ça n’intéressait plus les Wallons. Et je crois que le propre de l’homme politique aujourd’hui, c’est de s’adapter à l’opinion et non pas de développer des idées..

Robert Collignon

Propos recueillis par Hugues Danze

 

 

Source : Le Soir, journal du 18 - 19 septembre 2004