Le bilinguisme hésitant, et volontaire, des Premiers



Un ministre-président bruxellois se doit d’être bilingue. Cela peut sembler logique puisque la Région l’est, même si les Flamands y sont minoritaires. C’est encore plus vrai pour un Premier ministre fédéral. Et ce devrait l’être pour tous les ministres fédéraux. Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres, car l’histoire politique récente a retenu que moult excellences, souvent francophones, ne pratiquaient guère la courtoisie linguistique. Un coup d'oeil sur la liste des Premiers ministres depuis un demi-siècle le confirme. Précision liminaire : tous ont, à un moment ou l’autre de leur mandat, fait des discours dans l’autre langue, mais ce fut parfois ardu. D’autres furent des bilingues passifs.
Le prix d’excellence du nul sidéral irait à Edmond Leburton, qui présida une éphémère tripartite traditionnelle au début des années septante. Un comble : celui que l’on surnomma «le chef de gare de Waremme» se présentait comme grand défenseur de l’unité belge. Mais son néerlandais était catastrophique. Et pourtant l’homme présida la Chambre où ses «wacht een bitch» au lieu de « wacht een beetje » firent la joie de générations de clampins. Jean Duvieusart, Premier ministre carolo en 1950, qui avait passé des examens en flamand lors de ses études à Louvain, fut pourtant peu à l’aise dans l’exercice. Au contraire du Liégeois d’origine, Joseph Pholien (à propos duquel sort un livre fort bien fait), ou Pierre Harmel, qui, par son forcing linguistique, força la porte du 16, rue de la Loi. Inutile de rappeler que Paul Vanden Boeynants avait fait de son bilinguisme un fonds de commerce aussi important que sa tête pressée et ses cervelas, même s’il était plutôt francophone - brusseleir...
Les Premiers ministres flamands furent rarement pris en défaut même Achille Van Acker pratiqua bien la langue de Voltaire, fût-ce en zézayant... Plus près de nous, Wilfried Martens eut le temps de se perfectionner alors qu’il était plutôt mal parti sur la pente glissante du flamingantisme. Jean­Luc Dehaene fit mieux encore : enfant de guerre, né à Montpellier, il fit une partie de ses études aux Facs à Namur.
Quant à Guy Verhofstadt, si son français parut laborieux à ses débuts, il n’en dévora pas moins les économistes français dans le texte. Ce n’est pas donné à tout le monde de lire «Demain le capitalisme» d’Henri Lepage ou «La solution libérale» de Guy Sorman...

 

 

Achille Van Acker (en haut) était plus bilingue qu’Edmond Leburton. (Photo "Le Soir")

 

 

Christian Laporte

 

 

Source : Le Soir, journal du 6 juin 2003