"La nation francophone n'a pas de passé, mais peut-être un avenir" : réaction

 

Vincent Vagman : "Un nationalisme flamand de nantis"

 

Pour Vincent Vagman, il faudra notamment, si l'on veut parler de Nation francophone, changer les règles électorales.

(Photo Alain Dewez)

 

L‘oeil et la pensée sont aiguisés. Historien de formation, Vincent Vagman (41 ans) termine actuellement un doctorat en sciences politiques à l’UCL. Sujet de sa thèse : «Les processus d’intégration et de désintégration en Belgique.»
Observateur attentif des dossiers communautaires, on lui doit plusieurs ouvrages dont certains — «Choisir l’avenir» (écrit collectivement en 1999) et «Oser être wallon» (publié à l’initiative de Jean-Claude Van Cauwenberghe en 1998) —, à quelques semaines d’un Forum institutionnel qui s’annonce tendu, prennent un relief particulier.
Cet analyste de la vie politique belge n’est évidemment pas resté insensible aux propos d’Elio Di Rupo relatifs au fait que Bruxellois francophones et Wallons seraient peut-être amenés, si la Flandre en décidait ainsi, à prendre leur destin de nation en main.

Les revendications flamandes sur le plan institutionnel sont particulièrement virulentes. Comment expliquer cette attitude vindicative ?
Parce qu’il y a une crise de légitimité de l’échelon fédéral. Depuis 1993, cette crise s’est particulièrement fait sentir en Flandre. Aujourd’hui, on assiste clairement à un décalage entre une région (la Flandre) qui aspire à avoir de nouvelles compétences et une autre (la Wallonie) qui veut assurer son développement sur base des compétences existantes : soyons clairs le confédéralisme pour la Flandre, c’est sortir de la Belgique sans perdre Bruxelles.

Peut-on dire que le nationalisme flamand a évolué ?
Absolument. En 1856, on a établi dans le cadre du rapport de la commission des griefs flamands, le programme d’un nationalisme flamand d’émancipation (il y avait une volonté d’imposer une culture flamande dans l’État qui abritait la Flandre). Aujourd’hui, on est passé à un nationalisme de nantis (on s’appuie sur une identité territoriale collective pour ne plus partager des ressources). Je constate que, comme en Italie du Nord, le mouvement flamand est largement phagocyté par un parti fascisant. On peut donc parler d’un nationalisme d’État qui transcende les clivages et permet à l’ensemble des partis des prises de position communes.


A contrario, le régionalisme wallon semble, lui, avoir perdu un peu de souffle...
On assiste effectivement à la fin d’un certain régionalisme wallon qui avait atteint son sommet lors du congrès du PS à Ans en 1991. C’est dû, en partie au renouvellement des générations. De cette époque, seul Van Cau et Daerden restent et conservent des fonctions ministérielles. D’autre part, il y a clairement, en Wallonie, de nouveaux accents politiques. On parle de Contrat d’avenir. Mais quels que soient les succès enregistrés par ce Contrat, ses effets seront réduits s’ils se limitent à la seule Région wallonne. D’où l’importance des nouvelles articulations avec la Communauté française. Elles vont amener à une nouvelle prise de conscience du fait bruxellois. C’est important, car on n’a jamais véritablement pu dire si la Communauté a été un outil de solidarité entre Wallons et Bruxellois ou un objet de contentieux.

Existe-t-il une identité commune aux Wallons et aux Bruxellois francophones ?
L’historien tchèque Miroslav Hroch considère que le développement de l’identité des petites nations en Europe se fait en 3 phases. 

1. Il y a d’abord une prise de conscience culturelle de la part de quelques intellectuels. 

2. Grâce à l’instruction obligatoire, les masses peuvent à leur tour intérioriser le phénomène de minorité. 

3. On parvient enfin à inscrire les revendications à l’agenda politique. 

Ce schéma s’applique trait pour trait à la Flandre. La Wallonie et Bruxelles sont, elles, atypiques. La phase d’éveil des intellectuels n’est venue qu’après 1983 avec le «Manifeste pour la culture wallonne» et pas avec la «Lettre au Roi» de Jules Destrée de 1912 dans laquelle on trouvait encore une certaine forme de nostalgie de l’État unilingue francophone de 1830.


Dans cette mesure, les francophones peuvent-ils prétendre au titre de nation ?
Les politologues se perdent en controverses théoriques sur la question. Il y a malgré tout une définition générale qui peut s’appliquer : la nation est une communauté de destins qui s’adosse à un État. Dans cette mesure, la construction nationale n’est réalisable que si il y a une adéquation entre les élites et les masses sur la question. On aura donc compris que la construction de la nation francophone conduira à un échec si elle est le fait d’un seul parti. Par contre, elle sera un succès si un parti, devenu comme le PS, pierre angulaire du paysage politique en Wallonie et à Bruxelles, peut incarner un projet national.

Quels sont les symboles d’affirmation ou de ralliement de la nation ?
La solution ne peut passer que par un changement des règles électorales pour, d’une part, contrebalancer l’absence actuelle de continuité territoriale entre la Wallonie et Bruxelles et, d’autre part, éviter l’écueil d’un certain sous-régionalisme. Il faudrait, par exemple, une élection au suffrage direct du président.

Existe-t-il malgré tout des éléments plaidant pour le maintien de la Belgique fédérale ?
Il ne faut jamais perdre de vue qu’il y a une constante historique en Belgique le poids des facteurs géopolitiques. Ces facteurs ont été déterminants au moment de la création de l’État belge. Dans un nouveau contexte, ils seront tout aussi déterminants. C’est, à mon sens, un élément qui plaide en faveur du maintien de la Belgique..

Hugues Danze

 

Source : Le Soir, journal du 23 août 2004