"L'objectif de l'UCL est d'atteindre 20% de cours en anglais"

 

Jeudi passé, la Fondation universitaire organisait un colloque sur la légitimité du passage à l’anglais comme langue de l’enseignement supérieur en Belgique. Vous dirigiez les débats. La question doit-elle être mise à l’agenda ?
Elle est à l’agenda. Près de 20% des institutions d’enseignement supérieur d’Europe continentale offrent des programmes enseignés en anglais. Plus de la moitié de ces programmes ont été mis en place dans les cinq dernières années. En Belgique, le « Master » en économie, créé en 1968 sous l’impulsion de Jacques Drèze à l’UCL-KUL, est le plus ancien. Des initiatives existent aussi ailleurs, comme les candidatures bilingues des Facultés universitaires Saint-Louis. Selon une enquête européenne récente, plus de 7% des programmes universitaires belges sont organisés en anglais. Vu qu’il s’agit généralement de programmes avancés, cela ne représente que 0,5% des étudiants.

 

Faudrait-il aller plus loin ?
Une considération prioritaire est la qualité de l’enseignement. Demander à des professeurs de donner cours dans une langue qu’ils parlent mal à des étudiants qui la comprennent à peine n’est pas susceptible d’améliorer la transmission des connaissances. Il ne faut pas pour autant jouer les puristes. Suivre des cours dans une langue qui n'est pas la sienne s'avère très efficace pour l’apprentissage de cette langue. Ce qui importe pour la grande majorité des étudiants, ce n’est pas de pouvoir déclamer Shakespeare, mais de se débrouiller efficacement dans un contexte où leurs interlocuteurs parleront pour la plupart un anglais aussi «broken » (approximatif) que le leur. L’apprentissage de cette capacité doit faire partie de l’évaluation de l’impact du passage à l’anglais pour certains programmes ou cours.


Y a-t-il des projets concrets?
L’objectif déclaré de l’UCL est d’atteindre globalement 20% de cours en anglais.

 

Ce passage se recommande-t­il plus dans certaines sections ou à certains niveaux ?
Une étude récente de Lies Sercu (KUL) révèle un consensus entre enseignants et étudiants sur l’importance d’une 

 

«Pour beaucoup de maîtrises et doctorats, 

le passage à l’anglais sera une question de vie ou de mort »

 

coïncidence entre langue d’enseignement et langue du matériau écrit utilisé. Or, dans les domaines scientifiques, 97% des articles publiés dans le monde le sont en anglais. Un enseignement avancé se fait dès lors plus commodément en anglais, sans compter qu’il importe d’aider les futurs chercheurs à acquérir la capacité de s’adresser aisément, oralement et par écrit, à la communauté internationale. Au niveau des futurs baccalauréats, en revanche, et peut-être à un niveau plus avancé dans les quelques domaines du savoir les moins internationalisés, cette considération pèse bien moins lourd. L’importance, affirmée depuis le XVIIIe siècle, d’un ancrage solide des universités dans la communauté nationale (ou régionale) où elles sont situées, justifie que l’on défende vigoureusement l’usage des langues vernaculaires à ce niveau.

 

À la suite du processus de Bologne, doit-on s’attendre que les universités européennes se fassent concurrence, notamment en proposant plus de programmes de cours en anglais ?
La mobilité internationale va se concentrer et s’intensifier au niveau des maîtrises et doctorats. Pour pouvoir honorer leurs engagements de réciprocité dans le cadre de programmes d’échange, les pays dont la langue est peu répandue n’auront pas d’autre alternative que de proposer des programmes en anglais. En outre, à mesure que la connaissance de l’anglais se répand, les universités non anglophones auront des difficultés croissantes à attirer une masse critique de (bons) étudiants dans leurs programmes de maîtrise et doctorat. Pour beaucoup de ces programmes, le passage à l’anglais sera une question de vie ou de mort.

 

Adopter l’anglais, n’est-ce pas mettre nos élites sous la dépendance politique, économique et culturelle des États-Unis? 

Prenez un échantillon aléatoire de citoyens européens âgés de 15 à 40 ans. Les données traitées dans une étude récente de Victor Ginsburgh (ULB) permettent de dire que 33 sur 100 vous comprendront si vous parlez allemand, 37 sur 100 si vous parlez français et 63 sur 100 si vous parlez anglais. L’écart entre le français et l’anglais s’accroît encore si l’on inclut les nouveaux pays membres et à mesure que l’on se concentre sur des tranches plus jeunes. Si l’on veut peser sur le cours des choses en Europe et dans le monde, il est impératif de pouvoir user d’une langue que les gens, en particulier les plus jeunes, soient nombreux à comprendre, tout spécialement s’il s’agit de dire ce qui est trop peu dit dans cette langue. Et ce n’est hélas aussi qu’en organisant enseignement avancé et recherche dans cette langue que l’on peut espérer enrayer l’hégémonie scientifique et idéologique croissante des universités et centres de recherche anglo­saxons. À se crisper sur des combats d’arrière-garde, on s’assure de perdre les batailles du futur.

 

Propos recueillis par
Dominique Berns

 

 

Source : Le Soir, journal du jeudi 23 octobre  2003

 

 

M. Germain Pirlot, d'Ostende (Belgique), répond à cet article.

Pour lire son analyse, cliquez ici.