La vérité sort de la bouche des Anglais !
Le journal The Economist lance le cri de victoire de la langue
anglaise !
Leur rafraîchissant souffle de vérité vient de fracasser le mur
d’hypocrisie qui entoure la question des langues dans l’Union
européenne. Ce chant de victoire n’est pas venu d’un quelconque
supporteur anglais qui aurait trop forcé sur la Guinness, mais d’un
journal économique de référence à l’échelle mondiale, comme dit Wikipedia. Et pourtant, cet article tonitruant n’a donné lieu à aucun
commentaire dans nos médias...
Le titre de l’article est assez clair :
"English is coming" (12 février 2009), quoiqu’un peu ambigu :
l’anglais arrive, soit, mais faut-il s’écarter sur son passage, le
saluer ? Ou arrive-t-il comme un des cavaliers de l’Apocalypse ?
Cet article est si vigoureux, sa franchise tranche tellement avec les
fadaises qui remplissent sur ce sujet les colonnes francophones et
européennes, qu’il nous a paru utile - sanitaire même - d’en faire la
recension.
Les quelques extraits cités seront en anglais, car nous n’avons pas la
prétention de le traduire correctement ; du reste, tout Européen
véritable n’est-il pas censé comprendre l’anglais ? Ah oui, j’oubliais :
ce n’est pas encore officiellement la langue de l’UE... sauf si l’on en
croit cet article !
Lequel, en effet, ne s’embarrasse pas de subtilités politiques, ne
ménage pas la susceptibilité et la fierté identitaire des peuples de
l’UE. Un article que l’on pourrait résumer par « L’anglais a gagné », ou
encore : « Vae victis », selon le mot célèbre d’un autre envahisseur,
venu de Rome celui-ci. La morgue des vainqueurs est décidément toujours
la même à travers les siècles, d’où qu’ils viennent.
Par une métaphore basée sur un jeu de plage, il nous est expliqué que la
résistance linguistique et politique à l’hégémonie de l’anglais s’est
comportée comme les murs de sable qui résistent longtemps, mais qui, une
fois contournés et endommagés, voient les digues s’effondrer
rapidement : « European efforts to resist the rise of the English
language have now reached the same point. »
En outre, de graves accusations sont lancées contre nos médias, accusés
d’avoir été complices de la victoire de l’anglais, ni plus ni moins !
Voyez plutôt :
"The latest Anglo-surge comes from the European press, with a dramatic
increase in the number of heavyweight publications launching English-language
websites, offering translated news stories and opinion pieces. (...) But
the new development involves big, established national journals, whose
bosses want to be more visible in English. Der Spiegel, a German
newsweekly, has founded a pan-European “network” linking up such
websites. A Dutch daily, NRC Handelsblad, joined a few months ago,
followed by Politiken from Denmark."
Encore un peu et ils les accusaient de traîtrise, de collaboration avec
l’ennemi, voire de haute trahison !
Gageons que nos grands journaux vont avoir à cœur de se défendre contre
cette ignoble accusation en rédigeant des réponses bien senties... et
que French 24 – cette télé en anglais qui coûte aux Français, si
généreux en temps de crise, 160 m/an (80 avant que TF1 en parte les
poches pleines) - va, elle aussi, sonner le rappel de ses troupes et
clouer le bec à ces arrogants journalistes.
« The trio are in talks with newspapers in France and Spain. They are
eager to expand into eastern Europe, though the credit crunch is likely
to slow progress (an online English edition can cost half a million
euros a year in translation fees). »
Ah tiens, ce n’était pas une question de morale, mais de pognon : une
édition anglophone supplémentaire, ça coûte la peau des fesses, et c’est
à la crise économique que les médias français doivent d’avoir moins
soutenu l’anglais que d’autres !
Quant aux médias en ligne, d’après The Economist, c’est pire :
« Beyond this network, a non-exhaustive trawl finds English-language
websites of big newspapers in Germany, Italy, Finland, Greece, Spain,
Romania, Poland, Bulgaria and Turkey. Many are recent ventures. »
Mais notre mauvais esprit nous a égarés ; si les médias ont basculé vers
l’anglais, ce n’est pas seulement pour le bizenesse, mais aussi par
idéalisme, si, si, c’est marqué là :
« Editors’ motives are a mix of idealism and commercial ambition. Bosses
at Spiegel have a political dream to create a platform where “Europeans
can read what other Europeans think about the world,” says Daryl
Lindsey, who runs the magazine’s international edition. »
Effectivement, divers commentateurs ont fait remarquer qu’il n’existe à
l’heure actuelle aucune opinion publique européenne, aucun débat
citoyen : l’UE reste cloisonnée par la barrière des langues, chacun chez
soi faute de pouvoir dialoguer. Les grands médias se sont donc rangés à
l’idée que le débat public européen se fasse dans la langue du
descendant de Shakespeare, descendant de l’avion avec son bagage à main
et sa valise : l’anglais d’aéroport.
Accessoirement, c’est aussi la langue de l’élite, des maîtres du monde,
et c’est bien pratique pour les journalistes :
« But an English presence is also a “calling card” when pitching to
international advertisers. It has proved helpful to journalists seeking
interviews with world leaders. »
Au passage, nous apprenons que nous ne sommes pas les seuls à croire que
le reste du monde attend impatiemment notre avis en anglais, ces
illusions sont parfois partagées aussi en Allemagne : « Kees Versteegh
of NRC Handelsblad talks of creating a European “demos”, but also admits
to frustration at publishing some “very fine pieces” in Dutch that the
rest of the world never notices. »
Mais venons-en au vif du sujet, car ces piques n’étaient que des passes
d’armes, simple échauffement avant l’attaque frontale :
« The evidence points to the imminent collapse of the European
Union’s official language policy, known as “mother tongue plus two”, in
which citizens are encouraged to learn two foreign languages as well as
their own (ie, please learn something besides English). »
Deux lignes et demi seulement, mais quelle force, quelle
cruauté !
Le rêve d’égalité des peuples et des langues est balayé sans ménagement,
les trois langues de travail ne sont même pas évoquées, considérées
comme une simple tactique d’une bataille appartenant déjà au passé. Le
multilinguisme, lui, grandiose et mythique projet européen, est chassé
d’un revers de raquette digne de Wimbledon.
L’intercompréhension, cette imposture universitaire, n’a même pas droit
de cité dans l’article ! Dur, dur... Quant au rapport dit "du groupe
d’intellectuels sur le multilinguisme", dont la proposition d’une langue
adoptive (comme troisième langue) ne faisait qu’entériner l’anglais
comme deuxième langue, mais sans oser l’écrire clairement, est moqué
avec une élégance toute britannique...
Ce que nos intellectuels, nos politiques, nos eurocrates et nos
journalistes pour la plupart n’osent pas dire, The Economist, lui,
l’écrit franchement :
« This is a clear win for English. »
Sonnez trompettes ! Dommage qu’il n’y ait pas le son dans leur journal,
ça ferait du bruit...
Mais le journaliste, venant subitement de se souvenir qu’il était
Européen lui aussi, donc quasiment un frère, nous concocte vite fait un
couplet pour adoucir son communiqué de victoire :
« But paradoxically, it does not amount to a win for Europe’s native
English-speakers. »
Ouais, bon, a-t-il dû se dire, va maintenant falloir trouver en quoi
cette écrasante victoire de l’anglais est un problème pour nous autres
les native english... « There are several reasons for this. » Mouais,
mais lesquelles ? Pfouu, quel casse-tête. Si mon patron m’avait pas dit
de calmer le jeu, j’aurais bien fini mon article par « This is a clear
win for English. », ça avait quand même plus de gueule, non ?
Enfin, allons-y, faut bien passer de la pommade à ces froggies et leurs
amis Allemands :
Ca ne favorise pas
l’importation d’un mode de pensée anglo-saxon, comme certains ont pu le
prétendre dans les domaines législatif, scientifique, politique,
culturel et économique : « European politicians long feared that the use
of English in the EU would lead to the dominance of Anglo-Saxon thinking.
They were wrong. » Y a même des non-natifs pour confirmer que ces
accusations sont des conneries : « English is merely “an instrument”,
says Mr Versteegh of NRC Handelsblad, not “a surrender to a dominant
culture.” »
Et aussi, ça permet aux
Européens de discuter entre eux, car avant l’anglais, l’Europe, c’était
un peu comme si un Mandchou voulait papoter avec un aborigène : « The
example of newspapers is instructive : thanks to English (and the
Internet), a genuinely pan-European space for political debate is being
created. »
En plus, la pensée
anglo-saxonne ne risque pas de dominer le débat européen, pour
l’excellente raison que nos concitoyens s’en contrefichent ! « There is
a second reason why Anglophones are not about to dominate European
debate : they do not want to. British readers have access to an
unprecedented range of news and ideas from Europe in their mother tongue.
They show little interest. » Ils ont suffisamment de lecture en
anglais !
En outre, les jeunes Anglais, prétendument européens, se désintéressent
des langues étrangères : « Such parochialism may be linked to a fall in
language-learning, accelerated since 2003, when foreign languages became
voluntary in England and Wales for pupils over 14. »
Ils savent pertinemment que sur le continent, les Européens sont si
serviles devant la nouvelle noblesse de langue qu’il suffit d’un seul
anglophone dans une salle pour qu’automatiquement on adopte cette
langue, même si tous les autres comprennent le français ou l’allemand !
Alors, la recommandation de la Commission d’étudier la langue de ses
voisins, on s’en tape !
« Under his “maxi-min rule”, Mr van Parijs observes that speakers at EU
meetings automatically choose the language that excludes the fewest
people in the room. They do not use the language best known, on average,
by those present (which in some meetings will still be French). Instead,
they seek the language that is understood, at least minimally, by all.
Thanks to EU enlargement to the east (and poor language skills among
British and Irish visitors to Brussels), this is almost always
English. »
Et la prétendue
influence considérable des lobbys anglophones est une fable, car
personne ne comprend les native english !
« In Brussels, native English-speakers are notoriously hard for
colleagues to understand : they talk too fast, or use obscure idioms. »
« Mr van Parijs has a prediction : Europeans will become bilingual,
except for Anglophones, who are becoming monolingual. In other words,
just when the British should be happy, some nasty storm clouds are
gathering. You could say it sounds rather like a day at the British
seaside. »
L’hégémonie de leur langue rapporte entre 15 et 20 milliards d’euros par
an au Royaume-Uni (estimation du
rapport Grin, commandé par l’Éducation nationale, disponible en
ligne mais enterré par les médias...), plus la récente certification en
langue des lycéens de toute l’Europe (inutile, ou qui pouvait être
réalisée par nos professeurs), qui va rapporter quelques dizaines de
millions supplémentaires, et ils se plaignent...
Jamais contents !
Malgré sa brutalité et son arrogance de vainqueurs par KO, la franchise
de cet article est réjouissante, loin de l’hypocrisie qui règne au
parlement et à la Commission.
Reste un petit détail : The Economist a-t-il raison, l’anglais a-t-il
gagné ?
Aujourd’hui - oui, leur constat est incontestable, tous les métiers qui
coopèrent sur le plan européen le font en anglais (à l’exception du
juridique, et peut-être de la poste), et l’UE se comporte à l’étranger,
notamment en Asie, comme un commis voyageur de la langue anglaise, un
missionnaire du British Council.
Mais ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas forcément demain.
D’aucuns pensent que le déclin de l’anglais est déjà programmé, et ce,
pour diverses raisons :
Tout empire a une fin,
et cette hégémonie prendra fin elle aussi. Rien n’est définitif.
La décolonisation se
poursuit sur le terrain des langues : dans le monde arabe, de nombreuses
voix souhaitent accélérer la mise à jour et l’harmonisation du
vocabulaire afin de couvrir tous les champs lexicaux actuels, l’espagnol
s’impose sur tout un continent, l’Afrique réfléchit à la possibilité de
recevoir un enseignement dans sa propre langue (celle dans laquelle
on pense le mieux).
On considère de plus en
plus que
recevoir un enseignement dans sa langue dite « maternelle » est un
droit, certes peu reconnu et difficile à systématiser, mais le réveil
des langues est d’autant plus vif que personne n’ignore la disparition
prochaine de milliers de langues dont les locuteurs sont rares.
L’anglais s’est
dialectisé au point que les anglophones britanniques, étatsuniens,
australiens, d’Afrique du sud, d’Inde et d’ailleurs peinent à se
comprendre entre eux, mais également à comprendre les non natifs qui
causent dans un étrange anglais d’aéroport, quand ce n’est pas un
vulgaire « kitchen » ou « broken english »...
On pourrait soutenir que
l’anglais a échoué à devenir la langue internationale, car malgré les
efforts pharaoniques consentis depuis un siècle par de nombreux pays en
faveur de l’enseignement de cette langue, le budget traductions de l’UE
est de 3 milliards d’euros par an. Qui plus est, c’est une course sans
fin : on vient de réaliser qu’on
va manquer d’interprètes d’anglais, du fait même qu’on l’utilise
dans les réunions, et comme langue-pivot pour les combinaisons rares !
Certains ne voient d’autre issue que dans la poursuite de cette fuite en
avant : imposez l’anglais de la maternelle à la maison de retraite, et
vous verrez les résultats ! Finançons des stages d’été en anglais,
attachez les enfants devant des dessins animés en VO, supprimez les
films en français du « prime time » et le Français seront bientôt tous
bilingues, ce qui signifie curieusement, selon notre ministre Darcos,
français-anglais ! Pur délire, aveuglement ou complicité ?
On sent pourtant comme un frémissement européen en faveur de
l’espéranto, seule autre solution pour doter les Européens d’un moyen de
se comprendre.
Rappelons qu’un milliard de Chinois peuvent discuter à l’aise grâce au
mandarin, quand quelques malheureux millions d’Européens en sont
incapables... No comment. Il s’agirait d’un multilinguisme organisé :
chacun sa langue, l’espéranto comme langue seconde commune, beaucoup
plus rapide à apprendre, laissant donc du temps si nécessaire, pour
l’étude d’une ou deux autres langues selon les besoins professionnels,
les affinités, les origines régionales ou familiales.
J’ai bien dit frémissement, restons réalistes, surtout dans un des pays
les plus réfractaires à l’espéranto, langue construite, simple et
neutre, européenne par son vocabulaire, internationale par sa grammaire
(agglutinante : préfixes et suffixes, mots composés, et langue isolante
aux racines invariables).
Mais je vous sens venir, vous voulez des preuves, comme Saint-Thomas,
qui avait bien raison, alors en voici quelques-unes :
Il est soutenu par
divers députés européens. Récemment,
Mme Novak, slovène, a proposé des amendements en sa faveur.
Et contrairement au boycottage de la question linguistique par nos
médias,
un journal espagnol en a parlé , citant également Marco Cappato, du
parti radical italien, qui a lui aussi proposé des amendements
similaires.
L’Unesco
a officiellement reçu à Paris les représentants de quelques
organisations représentatives de l’espéranto - dont le mouvement,
international, est très éparpillé, décentralisé en de très nombreux
clubs locaux et organisations.
Le Parlement polonais avait voté une résolution en sa faveur
Reinhardt
Selten, prix Nobel d’économie, en avait également parlé devant le
parlement, lors de la journée de l’Europe
Deux
députées suisses avaient proposé l’UEA (organisation pour la
promotion de l’espéranto) au prix Nobel de la paix.
Plus surprenant et tout
récemment,
l’Union européenne elle-même vient d’accepter sur son site une version
en espéranto d’un document.
La page sur laquelle se trouve ce document (voir « self assesment grid »,
en pdf, langues au choix)
Les commentaires de la
visite de Strasbourg en bateau peuvent être écoutés en espéranto,
bravo !
Sauf erreur, aucune de ces infos n’a eu l’honneur de paraître dans nos
grands médias ! Honte à eux, et vive Internet, le nouveau contre-pouvoir
du contre-pouvoir qu’est (que fut ?) la presse !
À chacun de décider s’il veut que
l’UE soit anglophone, le choix de l’élitisme (coût, difficulté,
séjours), de l’injustice et de la force, ou soutient l’espéranto comme
langue véhiculaire des Européens, dans le respect de toutes les langues
de l’Union, choix de la raison et de la démocratie (beaucoup plus
facile, donc accessible au plus grand nombre).
On peut voter EDE (Europe-démocratie espéranto) aux européennes, mais on
peut aussi commencer d’apprendre l’espéranto par soi-même, Internet est
riche de bonnes surprises.
Développement équitable versus UE à deux vitesses, la raison contre la
force, l’équité contre l’injustice, on voit combien le choix est
difficile !
par Krokodilo