Quand les ministres prennent des cours d'anglais...

 

Langue universelle. Si la France se bat pour la défense de la langue française, de plus en plus de ministres se rendent compte que, sans l'anglais, ils sont perdus. À l'image de Michel Barnier et Jacques Barrot, ils tentent de rattraper leur retard.

DES DIRIGEANTS et des élus qui, à de rares exceptions près, ont toutes les peines du monde à aligner trois mots d’anglais, pourtant devenu incontournable à l’heure de la mondialisation : et si le déclin de la France, c’était cela ? Bien que le français soit langue officielle (avec l’anglais et l’allemand), son usage ne cesse de reculer dans les instances européennes... au point d’en être presque réduit au rang de l’un des onze langages désormais répertoriés à Bruxelles, du finnois à l’espagnol.

Les choses ne se sont pas arrangées avec l’élargissement aux dix nouveaux membres de l’Union, plutôt américanophiles et, du coup, anglophones. Signe des temps seule une minorité des vingt-cinq commissaires européens tout juste intronisés parlent le français. Il paraît loin le temps des «afondateurs » où la moitié des six pays membres étaient francophones (France, Belgique, Luxembourg).

 

« C’est une vraie gêne... »

 

D’ailleurs, la nomination à Bruxelles du chiraco-centriste Jacques Barrot, qui ne maîtrise pas l’anglais et s’est vu attribuer un porte­feuille «asecondaire », a provoqué cet été une véritable polémique sur le thème d’une « perte d’influence » de la France en Europe.

Le problème, c’est que Barrot n’est pas le seul « mauvais élève » en anglais. Longtemps dominateurs, les politiques français ont négligé l’apprentissage des langues. Résultat: sur une équipe gouvernementale forte de 43 membres, tout juste une demi-douzaine manie correctement l’anglais. « À la BBC, quand les journalistes passent une interview d’un responsable français, ils n’ont guère le choix, raconte la correspondante à Londres d’une radio : Dominique de Villepin et Jean-François Copé pour la droite, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius à gauche ». « Les Français sont trop mauvais. Du coup, on voit beaucoup plus d’Espagnols, d’Italiens ou d’Allemands s’exprimer sur nos ondes », témoigne un journaliste britannique. Au-delà de l’anecdote, il y a là une vraie faiblesse, lorsqu’il s’agit pour la France d’expliquer sa politique (comme à l’époque de la crise irakienne) ou lorsque ses représentants doivent poursuivre en coulisse (loin des interprètes) des négociations ardues : « C’est une vraie gêne, un très gros handicap dans les relations internationales », dit Élisabeth Guigou, ancienne ministre des Affaires européennes et, elle, parfaitement bilingue.

 

Depuis son arrivée au Quai d'Orsay, Michel Barnier (à gauche) prend des cours du soir. Dominique de Villepin (au centre) est l'un de ceux qui parlent le mieux anglais. Jean-Pierre Raffarin (à droite), lui, s'y essaie. (Photos : Gamma/N. Quidu/AFP/T. H.Clary/Herwig Vergult.) 

 

Conscients de leurs lacunes, de plus en plus de ministres réagissent. On voit désormais circuler dans le quartier des ministères du VIIe arrondissement des profs d’anglais qui dispensent des cours intensifs à des élèves en quête de rattrapage. Michel Barnier, Michèle Alliot­Marie, Nicolas Sarkozy et jusqu’au président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée, Édouard Balladur, qui, malgré ses 75 ans, prend trois heures de cours par semaine !

D’autres, comme Patrick Devedjian, sont devenus des lecteurs assidus du « Financial Times » et du « Herald Tribune ». La méthode porte parfois ses fruits. Ainsi la ministre de la Défense, désarçonnée par une question en anglais lors d’un déplacement à l’étranger en mai 2001, est-elle désormais capable de prononcer un discours et de répondre à une interview dans cette langue. N’a-t-elle pas épaté une assemblée d’experts américains en janvier dernier à Washington en s’exprimant avec aisance en anglais, une heure durant ? Un président de la République, au XXIe siècle, ne peut évidemment pas faire l’impasse. Si François Mitterrand mettait un point d’honneur à s’exprimer exclusivement dans la langue de Molière, Jacques Chirac prend un réel plaisir à manier l’anglais. N’a-t-il pas participé, en octobre 1995 à New York au célèbre talk-show de CNN de Larry King ? Les présidentiables de 2007 savent ce qui les attend.

 


         Bruno Jeudy et Henri Vernet

 

 

Source : Aujourd'hui en France, lundi 25 octobre 2004