Avec France 24, la France fait son venir-dehors (coming-out*) !

 

6 décembre 2006 : démarrage de France 24, «la CNN à la française», une nouvelle date à retenir dans le calendrier. En ce jour de grâce, la France est officiellement devenue masochiste!

En effet, voici que démarre France 24, la télé française en anglais, financée sur nos impôts ! Nous connaissons tous VOA, Voice of America. Voici maintenant VOF, Voice of France, censée répandre le point de vue de la France, mais en anglais, pour les anglophones qui par millions attendaient impatiemment d’avoir notre avis sur les problèmes mondiaux. Ils étaient tous devant leurs postes de télé pour le lancement, George W. Bush le premier, salivant par avance de connaître enfin l’avis de la France sur l’Afghanistan ou le Moyen-Orient, et de pouvoir enfin comprendre ce que ces drôles de Frenchies ont dans la caboche.

On ne devient pas masochiste comme ça, d’un coup de baguette magique sur les fesses : les premiers soupçons sur notre perversion sont nés lors de l’adhésion de la Grande-Bretagne à l’Union européenne. Depuis ce jour, nous avons régulièrement subi à Bruxelles les rudes assauts de l’anglais. Pourtant, c’est à peine si nous avons émis quelques timides protestations, comme si, finalement, ce n’avait pas été si désagréable... Un peu inquiets de nous découvrir ce penchant sulfureux, nous avons à l’occasion tancé les hauts fonctionnaires qui osaient discourir en anglais, mais le cœur n’y était pas :

-  Ah ! Ces Frenchies : ils jouent les vierges effarouchées, mais au fond, ils aiment ça...

Personne ne prenait nos protestations au sérieux, comme si nous avions simplement voulu prouver nos bonnes mœurs.

Puis ce fut l’affaire du logo européen pour la commémoration en 2007 des cinquante ans de l’Union, choisi par un jury et présenté par Mme Walstrom : « Together since 1957 », tout en anglais, avec un joli symbole commercial. Une délicieuse claque... Nous en restâmes sur le cul, tandis que nos joues empourprées trahirent nos émotions contradictoires :

-  Oh oui, tu m’as fait mal, mais j’ai aimé ça, il est beau ton logo !

Une fois encore, nous avons réagi à l’outrage, mais timidement, troublés, car la même obsédante question revenait nous hanter : étions-nous masochistes ?

Maigre consolation, il semble nous ne soyons pas les seuls.

L’allemand, langue de travail au même titre que le français, a lui aussi reculé sans que l’Allemagne ne proteste. Et l’Italie a rendu l’anglais obligatoire !

Les « petites langues », elles, habituées à être écrabouillées par l’anglais, se taisent. La bienséance m’interdit de commenter les mœurs de nos amis européens. Quoi qu’il en soit de nos partenaires (commerciaux, j’entends...), pour nous, Français, locuteurs d’une grande langue de culture, ex-langue diplomatique, ce fut la révélation : nous aimions être rudoyés !

Et enfin, en ce jour du 6 décembre 2006 où France 24 démarre, nous faisons officiellement notre « coming out », notre aveu médiatique, en le criant au monde entier en anglais : oui, la France est masochiste !

Tout s’est décidé dans ces antichambres du pouvoir qui n’ont rien à envier aux chambres à coucher... Nous ne savons pas précisément qui a pris la décision, mais une source autorisée nous a raconté comment cela s’est passé :

-  Répète après moi, petit Français : « L’anglais est la langue de l’Europe ! »

-  Oui, maîtresse ! C’est l’anglais ! L’égalité des langues, ça ne compte pas, je ne le ferai plus. C’était juste une passade, les autres langues ne comptent pas, il n’y a que toi !

-  C’est bien, je vois que tu commences à comprendre. Pour la peine, tu réciteras Hamlet tout nu à haute voix, en marchant à quatre pattes.

-  Oui, maîtresse. Maîtresse, puis-je poser une question ?

-  Oui, petit Français.

-  La prochaine fois, est-ce que vous pourrez vous déguiser en Margaret Thatcher, et dire « I want my money back ! » ? Ca m’excite...

-  On verra, si tu es sage et obéissant. Tu n’en as jamais assez, toi... Plus tu reçois de coups, plus tu en veux, c’est ça ? Petit pervers !

-  Oui, maîtresse, j’aime quand tu me frappes avec ta langue !

-  Tu arrêteras, avec ton français ?

-  Oui, maîtresse !

-  Tu parleras anglais, comme tout le monde ?

-  Oui, maîtresse !

-  Et pour te faire pardonner ton outrecuidance, tu vas faire quelque chose pour moi.

-  Ce que vous voudrez, maîtresse !

-  Tu vas faire une télévision en anglais !

-  Mais ? C’est que... je crains que ça ne passe pas auprès des députés, il y a aussi les défenseurs de la langue française, les Français...

-  Bah ! De Gaulle n’a-t-il pas dit que les Français étaient des veaux ?

-  Heu, je crois, oui.

-  Eh bien, ce seront des vaches qui enverront leurs veaux étudier l’anglais dès la maternelle, et qui feront venir des nannies pour leur botter les fesses ! Et les grands paieront ma télé avec leurs impôts ! Do you understand what I say ?

-  Sir ! Yes, Sir !

-  C’est bien, bon garçon. Tu commences à comprendre qui est ton maître.

-  Maîtresse, j’ai une idée : pour faire accepter ça par les veaux, heu... par les Français, je vais rajouter un canal en français !

-  Banal. Oui, bof, si tu y tiens... Et tu mettras de l’arabe !

-  Ah ? Et... tu m’insulteras en arabe ? Ca me fait tout drôle.

-  On verra... Tu mettras aussi un peu d’espagnol dans ta télé.

-  Oh oui ! Et tu me piqueras avec tes banderilles ! Tu t’habilleras en bel hidalgo, maîtresse ?

-  Keep cool, petit Frenchie, tu veux déjà me tromper avec les autres langues ? Prends d’abord des baffes en anglais, pour le reste on verra...

-  Oui, maîtresse. Maîtresse, avant de partir : attache-moi avec ta chaîne télé...

Finalement, qu’est-ce que quatre-vingts petits millions d’euros par an, même avec notre endettement record, nos sans-abris, nos chômeurs, pour le privilège de voir révélée notre vraie nature, celle de masochiste ? Tant de gens traversent leur vie sans découvrir leur penchant sexuel... Alors, quatre-vingts millions pour une pareille révélation, prélude à d’intenses moments d’extase, c’est donné.

Tous nos encouragements aux collaborateurs français qui vont collaborer à cette télévision. Nul doute qu’ils vont nous en mettre plein - la vue, naturellement, à quoi vous pensez ?

Quant aux résistants, ils vont encore se faire traiter de combattants d’arrière-garde, de ringards ; l’histoire n’est-elle pas un éternel recommencement ?

PS : Faites circuler la pétition, pour que ce jour béni, où la France est officiellement devenue masochiste, soit férié, afin que chacun puisse en jouir à domicile, au lieu d’être attaché à son travail. Et si vous souhaitez protester directement auprès de la direction de la chaîne, son adresse est facile à retenir :

Voice of France 24, Issy-les-Pigeonnaux !

 

* Note de l'A.FR.AV : "sortie de placard", nous semble être également un équivalent à ce mot anglais.

 

Krokodilo

 

Source : AgoraVox.fr, article paru le 8 décembre 2006