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Monsieur,
Dans votre revue de presse du 23 juin à 8h30, vous avez parlé de
« hard discount », en précisant finement que vous demandiez pardon à
Alain Rey, mais qu'un « magasin "dure décote", ça le fait pas ».
Quand on prétend de la sorte, contre tout bon sens, que la langue
américaine serait plus apte à la communication que la langue française, il
faudrait déjà en posséder quelques rudiments. Vous sauriez alors que «
hard » ne signifie pas systématiquement « dur » et que « discount » ne
signifie pas « décote ». Votre trait « d'humour » montre que vous ne savez
pas de quoi vous parlez quand vous vous gargarisez de « hard discount ».
Mais peut-être est-ce à dessein que vous traduisez mot à mot et
maladroitement ? C'est en effet un grossier procédé utilisé par
certains, que de traduire platement mot à mot, comme si l'expression française
ne devait être qu'une pâle copie de l'expression américaine, et
comme si la langue française était une langue morte, incapable de restituer
la réalité autrement que par les apports de la langue américaine. Cette manière
de procéder, pour qui se donne la peine d'y réfléchir deux
secondes, ne fait d'ailleurs le plus souvent que montrer le caractère très banal ou
même inadapté de l'expression originale en langue américaine ; si
pour vous « dure décote » signifie exactement « hard discount »,
pourriez-vous expliquer en quoi, parmi ces deux expressions ayant (pour vous) strictement
le même sens, l'une serait ridicule et l'autre non ? Puisque vous décidez
que tel ou tel mot français « ne le fait pas », pourriez-vous citer des
mots américains qui « ne le feraient pas », ou bien tous les mots de cette
langue, existants ou à venir, seraient-ils nécessairement à l'abri du ridicule,
par nature ?
Mais le plus incroyable, dans votre pitoyable réflexion, est
cette étonnante propension à tenter de ridiculiser votre propre langue, qui « ne
le ferait pas ». Avez-vous bien mesuré cette grave insulte que vous
crachez à la figure de vos auditeurs en leur assurant que leur langue serait
grotesque et incapable de rendre certaines notions ? Avez-vous bien réfléchi
à votre comportement de colonisé que reflète cette stupide manie de
remplacer des mots français courants par des mots américains et votre stupéfiante
différence de traitement envers les néologismes à consonance américaine,
toujours parés à vos yeux de toutes les beautés, et les néologismes
à consonance française, nécessairement risibles selon vos
singuliers critères ?
Comme dans toute colonisation, les plus fervents relais de la très
agressive politique linguistique anglo-saxonne ne sont plus les Anglo-Saxons,
mais des non anglophones. Est-il possible qu'un journaliste, censé être
doué d'un certain esprit critique, puisse se faire le zélé propagandiste
de cet endoctrinement, allant même, par l'effet d'un inconcevable
masochisme, jusqu'à vouloir ridiculiser sa propre langue ?
Salutations,
Patrick Leloup
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