Sujet :

Être un bilingue parfait est extrêmement rare

Date :

15/11/2013

Envoi de François Gauthier  (ffi-quebec(chez)videotron.ca

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Intéressant et bien dit.

Le « parfait bilingue » est un mythe inventé par des ignorants émus de voir que d'autres peuvent faire ce qu'ils ne peuvent faire eux-mêmes.

Ces gens ne savent rien de l'étendue réelle du vocabulaire et des compétences linguistiques de l'autre. Pire, ils n'ont aucune compétence pour mesurer la compétence de l'autre. En linguistique, comme dans tout ce qui touche à l'instruction plus ou moins formelle, la mesure véritablement scientifique est la chose la plus difficile à réaliser.

Que des certains pensent pouvoir évaluer le degré de compétence d'un autre dans une langue qu'il connaît peu ou pas, est le comble du ridicule. Mais le ridicule ne tue pas... autrement l'espèce humaine serait disparue de la terre.

François Gauthier

 

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« Le bilingue parfait est extrêmement rare »

Laurent Gajo, universitaire spécialiste des questions de bilinguisme était invité à Saint-Jean-de-Luz pour venir décrypter les enjeux de l’enseignement des langues régionales.

Laurent Gajo

 

Laurent Gajo :

« Une langue qui se perd, c’est un rapport au monde qui disparaît. »

(PHOTO R. G.)

 

Spécialiste du bilinguisme, l’universitaire suisse Laurent Gajo, était ce samedi-dimanche, à Saint-Jean-de-Luz et à Mauléon. Il était convié à intervenir à plusieurs reprises lors du 27e colloque de la Flarep, la Fédération pour les langues régionales dans l’enseignement public. Rencontre.

« Sud Ouest ». Être parfaitement bilingue, est-ce réellement possible ?

Laurent Gajo. Le bilingue parfait c’est soit un technicien, quelqu’un qui est formé pour ça parce qu’il est traducteur par exemple, soit une personne qui naît, est scolarisée, puis travaille en utilisant les deux langues à égalité dans tous les domaines de la vie.

Autant dire qu’on n’en croise pas beaucoup. Ça existe, mais l’un comme l’autre sont extrêmement rare et d’ailleurs être réellement et parfaitement bilingue a peu d’utilité au quotidien. En réalité, chacun définit son propre usage de l’une et de l’autre langue, en fonction des situations, des moments, des compétences à mettre en œuvre.

Concrètement, en fonction de quoi s’opère ce basculement de l’une à l’autre langue ?

Prenons des exemples. J’ai une amie, excellente cuisinière, qui a grandi dans une famille qui parlait sicilien. À l’école, elle a bien sûr appris et été exposée, à l’italien. Elle peut s’exprimer dans les deux langues facilement, sauf quand elle parle de cuisine. Elle se dit incapable d’expliquer une recette en italien. Elle a appris tout ça petite, chez elle, en sicilien. Sur ce type de compétence, l’italien ne vient pas.

Même chose, à Genève dans mon cours de français langue étrangère. Un de mes élèves brésilien est rentré dans sa famille au Brésil. Il s’est retrouvé presqu’incapable de raconter en portugais, sa langue natale, ses cours en français à l’université. En fait, il n’y a pas un bilinguisme, mais des formes de bilinguismes.

Vous dites qu’obtenir un bilinguisme parfait est quasi impossible. Pourtant, c’est l’effet recherché en enseignant le basque dès la maternelle et tout au long de la scolarité ensuite… Est-ce viser trop haut ?

Non. Que ce soit l’effet recherché, c’est au contraire très bien, tout à fait normal. À l’école on est dans un endroit où l’on apprend des choses. Quel que soit le mode d’évaluation, l’école est obligée d’avoir des attentes en terme de performances. On doit pouvoir définir qu’au bout de « x » années de tel enseignement, l’élève est censé avoir un certain niveau, défini. On peut être très exigeant, tendre vers la perfection, tirer vers le haut. L’école est dans son rôle, mais elle ne doit pas gommer les compétences originelles de chacun.

Pour tendre au bilinguisme, comment choisir la langue par laquelle commencer l’apprentissage ?

Sans hésitation par la langue la moins forte des deux. Ici, par le basque plutôt que par le français. La langue la plus forte a beaucoup plus de vecteurs de diffusion tandis qu’une langue régionale a beaucoup moins de supports, elle est beaucoup plus dépendante de l’école.

Le français, de toute façon on va pour ainsi dire « l’attraper ». Le français va bien, il n’est pas menacé. Le basque, oui. Il faut donc l’apprendre, et sans se poser la question de l’utilité de son apprentissage ou de son potentiel en terme de communication.

Ce sont pourtant des questions essentielles. Tout un travail est d’ailleurs fait par les promoteurs du basque pour que ce soit de plus en plus une langue de communication…

Bien sûr, mais la question de la communication ne doit pas être la seule. Est-ce qu’on se demande ce qui est réellement utile en maths ou en littérature ? Non. La question de l’utilité d’une langue ne peut pas être évacuée. Elle est aussi un argument incitatif. Mais tout ne doit pas être ciblé sur cet aspect utilitaire.

Au-delà, il faut se dire qu’une langue, c’est une façon de se représenter le monde et ça, c’est très important. Une langue qui se perd, c’est un rapport au monde qui disparaît.

 

Propos recueillis par Raphaëlle Gourin

r.gourin@sudouest.fr

 

 

 

Source : sudouest.fr, le lundi 28 octobre 2013

http://www.sudouest.fr/2013/10/28/le-bilingue-parfait-est-extremement-rare-1212567-4383.php

 

 

 

 

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