Sujet :

Non au repli identitaire

Date :

22/05/2007

De Christine Tasin  (courriel : ripostelaique(chez)orange.fr)  

Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez « chez » par « @ ».

 

RÉPUBLIQUE SOCIALE ET LAÏQUE

Langues régionales : non au repli identitaire

 par  Christine Tasin

Hans-Gert Pöttering, en 2007

 

Il y a danger en la demeure : depuis le 16 janvier 2007, le président du Parlement européen est Hans-Gert Pöttering, co-signataire en 1984 d’une proposition de résolution « sur un droit européen des Volksgruppen », ( c’est-à-dire « le droit à l’autodétermination des peuples ») qui demandait à la Communauté européenne de faire le nécessaire pour que tous les Européens puissent l’exercer. Quoi de plus normal ? diront les lecteurs. Certes. Sauf que … les Béotiens de service que nous sommes accolent peuple et nation. Ce n’est pas le cas de M. Pöttering, qui soutient de toutes ses forces la FUEV (en français, UFCE, Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes – c’est moi qui souligne), qui a joué un rôle essentiel dans l’élaboration de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et qui vient de publier une modification de ses statuts au titre évocateur : « Pour une Europe des régions à caractère ethnique ». Or, la Charte des langues régionales, comme la notion d’Europe des régions et, pis encore, le terme même « ethnique » creusent le tombeau de notre nation, de notre République et de ses valeurs.

On rappellera au passage que la France n’a pas ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, pourtant co-signée par Chirac et Jospin en 1998 mais refusée par le Conseil constitutionnel car contraire à l’article premier de notre Constitution ; celui-ci s’oppose à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, impose l’usage du français et est contradictoire avec le préambule de la Charte qui considère que le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique constitue un droit imprescriptible.

En effet la Charte propose aux États signataires de choisir un certain nombre d’articles parmi tous ceux qu’elle propose, dont un spécifiant que l’enseignement (préscolaire, primaire, secondaire, professionnel etc.) puisse être assuré pour tout ou partie dans la langue minoritaire de la région ou bien que l’enseignement de cette langue soit assuré au moins aux élèves et familles qui en font la demande. Elle prévoit également que les autorités administratives comme les tribunaux utilisent ces langues ou permettent, au moins, que les actes soient rédigés dans ces langues, que tous les documents administratifs soient bilingues, et elle interdit l’insertion, dans les règlements internes des entreprises et les actes privés, de clauses excluant ou limitant l’usage des langues régionales ou minoritaires.

On lira d’ailleurs avec intérêt la déclaration du 18 mai 2006 du président de l’Intergroupe Minorités Nationales Traditionnelles, Régions Constitutionnelles et Langues Régionales du Parlement européen qui interpelle les États, et l’Union européenne sur « l’urgence des mesures à prendre et sur leur devoir d’ingérence, compte tenu de la faiblesse dans laquelle ont été mises ces langues en France et notamment de la disparition rapide de la génération ancienne qui parle encore massivement ces langues sans être remplacée »

 http://site.voila.fr/alsacezwei/francais/alaune/actualites/EBLUL_18_mai.htm

Il faudrait être aveugle pour ne pas imaginer la France dans vingt ans, au cas où quelque antirépublicain primaire serait au pouvoir et ratifierait cette Charte : voyage au pays de Babel garanti. Retour à l’obscurantisme ; Rabelais qui se gaussait du juge Bridoye parlant latin à des prévenus ne maîtrisant que leur dialecte se retournerait dans sa tombe. On verrait des juges parlant français à des Basques ne les comprenant pas (ou refusant de le faire), des Bretons refusant d’obéir à une loi qui ne serait pas rédigée en breton, des procès de la mauvaise foi en pagaille, la multiplication des recours dans les tribunaux, des dialogues de sourds et … la disparition du service public unifié : chaque fonctionnaire ( espèce en voie de disparition, mais quand même !) ne pourrait être nommé que dans la région dont il maîtriserait la langue.

Au bout du compte, le français disparaîtrait, peu à peu, des régions, ne serait plus parlé que d’une élite parisienne, seule à même de comprendre et donc de connaître Molière ou Voltaire… Je vais en faire bondir plus d’un, mais j’assume. Je considère qu’une langue régionale est une richesse supplémentaire pour un individu et que chacun doit pouvoir l’acquérir, comme il a le droit d’apprendre le chinois, à faire du piano ou à jouer au tennis. Simple choix individuel, de l’ordre privé. Qui ne doit jamais, au grand jamais, se faire aux dépens du français, qui doit rester LA langue de référence de l’État et de ses services mais aussi de la communication usuelle. C’est indispensable pour l’unité de la nation : nous partageons une tradition, une histoire, une culture et des valeurs communes, héritées pour l’essentiel de la révolution française et véhiculées par notre langue.

On n’oubliera pas que c’est l’imposition (bon gré mal gré, avec des méthodes parfois discutables) du français qui a permis, au début du XXe siècle, le développement, économique notamment, des régions et que c’est grâce à lui que les enfants de notre Bécassine bretonne ont pu devenir énarques et … ferrailler pour défendre la charte au Parlement européen (merdre, dirait le père Ubu !). On n’oubliera pas non plus que les langues régionales ou minoritaires (75 répertoriées en France, DOM-TOM compris !), avec une littérature limitée (voire inexistante), ne possèdent pas un lexique et une syntaxe suffisantes pour que soient traduits des textes de loi complexes, des règlements du code civil ou du code pénal déjà alambiqués en français, puisqu’on y trouve aussi bien le franc-comtois, le wallon, le berbère, le yiddish, qu’une quarantaine de langues créoles ou kanak. Casse-tête juridique et dépenses somptuaires à prévoir.

Cela n’a pas empêché Bayrou, Besancenot, Royal (discours de Rennes) Voynet et Bové de s’engager à la ratifier ; de Villiers et le Pen ne semblent pas y être favorables mais on ne s’attardera pas sur cette engeance qui veut supprimer les impôts et cantonner les femmes aux tâches domestiques ; la réponse de Sarkozy, qui se déclare pour une reconnaissance juridique des langues régionales mais contre la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires développe un argumentaire républicain : Je ne veux pas que demain un juge européen puisse décider qu’une langue régionale doit être considérée comme langue de la République au même titre que le français. En France, pays de liberté, aucune minorité n’est opprimée. Les minorités n’ont pas à complexer la majorité uniquement parce qu’elle est majoritaire... mais ouvre, comme il l’a fait pour le T.C.E., la boîte de Pandore, en assurant qu’il veut développer la pratique des langues régionales et assurer leur diffusion. On peut craindre que des deniers publics ne viennent aider des Le Lay en puissance à vendre du temps de cerveau disponible pour coca-cola sur des télés basques ou corses, comme il l’a fait avec TV-Breizh.

C’est le même Le Lay qui a parfaitement résumé en quoi l’Europe des régions était, sinon un leurre, du moins un danger : « Je ne suis pas Français, je suis Breton. Je suis nationaliste breton, c’est pourquoi je suis très bien pour diriger TF1 car je n’ai aucune idée préconçue ». Le mot est dit : les régionalistes haïssent la nation, (qu’ils accusent de nationalisme), mais revendiquent un nationalisme régional. Père Ubu, au secours ! Ainsi les Corses veulent-ils rester Français à 80 % pour bénéficier des avantages de la République mais la minorité indépendantiste corse dynamite les maisons des métropolitains ; aussi ont-ils réussi à obtenir que leurs jeunes voulant devenir professeurs soient les seuls de France à ne pas galérer à Créteil ; eux, ils ont une bonification de 600 points pour travailler au pays ! Sarkozy, après Jospin, a tenté de leur donner encore plus d’autonomie …mais ils n’ont pas été suivis par la majorité de la population lors du referendum de 2003. Ainsi Bayrou qui, récemment, évoquait les Municipales à Pau, rappelait que cette ville avait été, au temps d’Henri IV, la capitale d’un pays et ajoutait : « j’habite ce pays » !

Chacun oublie que faire l’Europe des régions c’est faire disparaître l’État-nation « France » et ce qu’il permet : égalité et solidarité sur tout le territoire. Ainsi la région Île-de-France, vivier sans pareil d’entreprises, d’emplois et … de recettes contribue-t-elle au financement des infrastructures du Cantal. Faire l’Europe des régions c’est, aussi, abandonner peu à peu le français pour des langues régionales et donc, laisser disparaître la langue nationale, ses richesses et la pensée qu’elle permet au profit de l’anglais. Et puis l’Europe des régions c’est multiplier ces discours/comportements « régionalistes » : « Moi, en tant que Corse, je pense que » ; « moi, je suis Breton donc » Sous couvert du droit de l’individu on fait disparaître … l’individu ! Joli paradoxe ! Je ne pense pas, je ne parle pas, je ne m’exprime pas en tant que Paul Durand, mais en tant que représentant d’un groupe identitaire… Mais il est vrai, hélas, que la FUEV (ou UFCE), soutenue par Pöttering, va plus loin encore, ils désirent une Europe des régions à « caractère ethnique ».

Que l’on parle d’ethnie en Europe est, déjà, en soi, un non-sens puisqu’une ethnie, étymologiquement, est un groupe humain possédant des caractéristiques biologiques et morphologiques normalement liée à des ancêtres communs, qui renvoie donc à des peuplades dites primitives, sans apports-mélanges dus aux invasions et à l’immigration ; les ethnies existent essentiellement en Afrique, ou en Océanie, et le terme ne peut en aucun cas s’appliquer à des peuples européens : il sous-entend le fait qu’une communauté humaine se reconnaît descendre d’un même ancêtre ayant fondé le groupe, lequel partage en conséquence des coutumes, des rites, etc. comme en témoignent le « Dictionnaire de géographie humaine », publié en 2000 : « On ne donne pas le nom de tribu à une population européenne […] ».

Il en est de même pour ethnie, qu’on retrouve pour l’Afrique ou l’Océanie. Le terme d’ethnie a été promu par l’ethnologie pour échapper au caractère péjoratif du mot tribu ou de l’adjectif « tribal » ou le «adictionnaire critique » de Roger BRUNET,  « Les mots de la géographie », publié en 1993 : « personne n’a osé évoquer une ethnie corse, bretonne, auvergnate ou flamande » (quelle évolution en quinze ans !). L’évolution actuelle du mot en dit long sur le rétrécissement de la pensée et le repli communautaire, puisqu’on parle, délibérément, d’ethnie pour un simple groupe partageant une langue et une culture ! De plus, à présent on refuse tout ce qui a un rapport avec l’État, tout ce qui serait lié au fonctionnement démocratique, à savoir les suffrages d’une majorité de citoyens à la recherche du bien commun et on demande des droits individuels réservés aux groupes ethniques, parallèlement aux droits collectifs. On évoque même la notion de « peuples » à l’intérieur d’un territoire national, caractérisés par leur langue, leur histoire et leur culture.

La preuve qu’il se trame des choses inquiétantes ? La délégation bretonne présente à l’Assemblée des délégués au dernier congrès de la FUEV a fait la demande qui suit : « Nous demandons enfin, puisque le peuple breton, sur le territoire correspondant à l’État breton, État souverain jusqu’à l’abolition unilatérale de cet État par la Révolution française, a adopté dans sa majorité le projet de Constitution Européenne, à la différence du peuple français qui l’a rejetée, qu’une commission d’experts internationaux indépendants soit constituée pour examiner le véritable statut juridique de la Bretagne au regard du droit international et qu’on développe des formes appropriées d’autogestion linguistique, culturelle, administrative et politique. Il y va de la survie d’un peuple européen, le peuple breton, en tant que peuple ». Ainsi voit-on arriver la notion de  « peuple breton » (qui exclut les non-Bretons de leurs système et de leur territoire) réclamant une juridiction internationale qui lui permette de devenir indépendant sous prétexte que les Bretons étaient favorables en majorité au T.C.E le 29 mai 2005 ! À quand des referendums locaux sur la peine de mort, l’avortement, l’immigration ou l’euthanasie ? C’est vraiment la fin de l’État-Nation, le repli communautaire.

Et tous ces points sont, ils ne sont pas à un paradoxe près, défendus, au nom du droit à l’identité, par ceux qui hurlent au loup dès qu’il est question d’un ministère de l’identité nationale ! Sur la FUEV, Voir l’excellent article d’Yvonne Bollmann http://www.communautarisme.net/Un-spectre-hante-l-Europe-et-menace-la-France-le-spectre-de-l-ordre-ethnique_a963.html ?preaction=nl&id=636556&idnl=25843&

Il est consternant de voir les politiques, toutes tendances confondues, entrer dans un processus de dissolution de la France voulu et demandé par des MINORITÉS AGISSANTES, par opportunisme, démagogie ou, plus grave peut-être, par conviction. Comment ne pas voir à quel point la France, par son histoire, sa tradition jacobine, centralisatrice, peut difficilement se fondre dans un moule allemand ou espagnol ? Et puis, c’est faire de l’angélisme que d’imaginer que des petits groupes puissent vivre ensemble : plus on divise, plus on développe la méfiance et la haine de l’autre, l’exclusion. L’Europe des régions, c’est la balkanisation de la France.

Enfin, que demande le peuple ? De pouvoir apprendre la langue qu’il désire, l’utiliser dans le cercle privé ou familial ? C’est déjà le cas. Quant à financer sur deniers publics des troupes de théâtre, des médias pour faire (re)vivre une langue minoritaire, ce serait un déni de République, puisqu’on déshabillerait le bien commun pour favoriser des minorités.

 

Christine Tasin

http://christinetasin.over-blog.fr/

 

 

Haut de page