Conférence de monsieur Charles Durand, auteur

Le rôle de la langue dans la guerre

de représentation

 

Fiches « pense-bêtes »

1) Avertissement

2) L’anglais a acquis son statut par ses seuls mérites ? FAUX !

3) L’anglais est adapté à la communication internationale ? FAUX !

4) L’anglais est au monde moderne ce que le latin était au Moyen-âge ? FAUX !

5) Le monde a besoin d’une seule langue internationale ? FAUX !

6) Pourquoi grammaire et syntaxe anglaises sont-elles des obstacles à faire de l’anglais une langue de communication universelle ?

7) Le monde aime spontanément la culture étatsunienne ? FAUX !

 

Texte entier de la conférence de monsieur Charles Durand

 

Bibliographie

 

 

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Avertissement

 

- Le peuple est indifférent à ce qu'il ignore.

- Le peuple tient pour vrai ce qu’on lui répète trois fois.

- Les propos des médias sont assimilés, dans l'inconscient collectif populaire, à des vérités révélées, qui sortent du champ d'action d'une critique honnête.

- On doit maintenir des médias qui déforment tous les événements qui se produisent dans le monde et dont la connaissance serait susceptible de mettre en doute l’utilité et la légitimité de l’empire mais qui néanmoins gardent assez de crédibilité pour contribuer à renforcer le dit empire.

Pour détruire quelques croyances, dogmes, poncifs, préjugés et, aussi, quelques lieux communs et autres vérités prétendument révélées…

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L’anglais a acquis son statut

 par ses seuls mérites ? FAUX !

 

L’assertion sans cesse rabâchée que l’anglais a acquis son statut par ses seuls mérites est une illusion visant à nous le faire accepter comme un outil de communication neutre, alors que cette langue s’est en fait répandue :

- par la conquête armée ;

- par une politique d’assimilation mise en place sur les territoires conquis ou acquis, comme celles que Marc Deneire expose dans son ouvrage « Une politique d’assimilation : le français dans le Midwest américain », couplée à d’éventuels génocides culturels ou des génocides tout court ;

- par une main mise sur une bonne partie des organismes internationaux les plus influents dans lesquels les États-Unis ont droit de veto comme c’est le cas, par exemple, à la Banque mondiale ou au Fonds monétaire international, et au sein desquels les États-Unis peuvent faire la pluie et le beau temps. Ainsi, certains prêts à des pays émergents dans le besoin n’ont été accordés que sous condition qu’ils basculent leur enseignement des langues étrangères massivement vers l’anglais. C’est ce qui s’est passé par exemple au Vietnam dans les années 90 ;

- en créant et en cultivant un réseau de collaborateurs et de dirigeants politiques locaux stipendiés en dollars (« américains », cela va de soi) pour appuyer leur politique de conquête et d’élargissement de leur empire ;

- en manœuvrant pour que le dollar acquière et conserve le statut de monnaie de réserve internationale pour financer les guerres et l’immense réseau des collaborateurs stipendiés qui ne coûtent ainsi presque rien puisque tout le monde accepte les dollars. Cela a été accompli en obligeant les nations productrices de pétrole à n’accepter que des dollars en contrepartie de ce pétrole, ce qui force tous les autres à détenir des dollars et à maintenir au dollar américain son statut de monnaie de réserve internationale ;

- par une politique de conquêtes linguistiques et culturelles délibérée qui s’est appuyée au départ sur les pays vaincus ou ruinés par la Seconde guerre mondiale ;

- par la politique du « lève-toi de là, que je m’y mette », pour se substituer à l’influence des anciennes puissances coloniales, dans tous les pays émergents ou en y provoquant éventuellement des génocides par agents interposés (génocide des intellectuels francophones au Cambodge par les Khmers rouges, génocide au Ruanda pour en faire ensuite porter la responsabilité par la France, etc.) ;

- en imposant l’usage exclusif de la langue anglaise à leurs représentants dans toutes les organisations internationales, publiques et privées, pour la communication orale et écrite, les Anglo-Saxons ont ainsi imposé de facto l’usage de l’anglais à tous leurs interlocuteurs, où qu’ils se trouvent dans le monde.

- Par une réduction drastique de l’enseignement des langues étrangères dans les écoles et universités anglo-saxonnes en supprimant purement et simplement des enseignants et les départements concernés, en incorporant les langues étrangères aux matières facultatives, en dévalorisant l’apprentissage des langues étrangères dans la presse, forçant ainsi là encore l’usage exclusif de l’anglais dans les échanges privés avec les autres pays.

- Par une absence marquée dans tous les pays anglo-saxons des produits culturels étrangers : absence de films doublés, absence de livres traduits, occultation par la presse de ce qui se passe à l’étranger à l’exception des guerres et des tremblements de terre !

- Par une politique systématique d’infiltration des circuits de diffusion des œuvres culturelles étrangères pour les saturer d’œuvres étatsuniennes prétendument « culturelles ». Il faut noter que toutes ces « œuvres » portent chacune en elle des éléments de propagande où la fiction se mêle souvent à la réalité pour rehausser le prestige des États-Unis et de la langue anglaise et, plus accessoirement, celui des autres pays anglo-saxons, dans à peu près tous les aspects où ce prestige peut compter.

- En important massivement aux États-Unis une bonne partie de l’intelligentsia européenne à la faveur de la Seconde guerre mondiale pour rehausser le potentiel scientifique des États-Unis, conforter leur statut de « nation supérieure et innovatrice » par rapport aux autres et ainsi déclarer quelques années plus tard que ce qui n’était pas écrit en anglais ne valait plus la peine d’être lu !

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L’anglais est adapté à la communication internationale ? FAUX !

 

Qu’est-ce qu’une langue adaptée à la communication internationale ? Voyons tout d’abord, ce qu’elle doit être ou ne pas être avant d’examiner si l’anglais répond à une telle définition.

Une langue adaptée à la communication internationale est une langue dont la maîtrise totale devrait être à la portée de tous après un temps d’étude raisonnable. Ses qualités devraient être telles que son acquisition définitive devrait pouvoir se faire durant les études secondaires sans qu’il y ait besoin d’y revenir plus tard, durant les études supérieures ou dans les formations professionnalisantes. L’étude de cette langue ne devrait en aucun cas empiéter sur celle de la langue nationale qui devrait, naturellement, être prioritaire, ni sur l’acquisition de la maîtrise des spécialisations indispensables dont une économie nationale dépend.

L’acquisition d’une langue internationale ne devrait pas entraîner de dépenses importantes comme celles associés à des séjours linguistiques à l’étranger ou à une obligation de faire des études dans des pays lointains.

De la même manière, une langue vraiment internationale n’est pas associée à un projet impérial. Elle répond uniquement à un besoin de communication et n’a pas pour vocation de remplacer les langues nationales.

La langue prétendument « internationale » que l’on nous propose, l’anglais, est l’une des plus irrégulières qui soient parmi les langues occidentales. C’est une langue qui n’est absolument pas phonétique. On ne peut pas deviner la prononciation d’un mot de son orthographe et, réciproquement, il est impossible de deviner l’orthographe d’un mot anglais à partir de sa prononciation ce qui fait que la dyslexie est un véritable fléau dans le monde anglo-saxon. Les promoteurs de l’anglais déclarent que sa grammaire est simple, mais cette simplicité est trompeuse dans la mesure où l’absence de signaux grammaticaux a obligé les anglophones à inventer tout un tas d’idiotismes dont l’apprentissage doit se faire par cœur en milieu natif, car aucune règle particulière ne les gouverne. Cela est facilement vérifiable. C’est justement l’origine du globish, une langue mal maîtrisée de quelques centaines de mots dont on imagine à tort qu’elle permet une communication efficace, alors qu’elle ne peut que soutenir des échanges élémentaires et certainement pas des échanges de nature intellectuelle.

Des études détaillées sont arrivées aux conclusions suivantes. Le globish s’acquiert en 2000 heures d’études, mais 2000 heures représentent déjà 5 heures et demie d’étude par semaine durant 7 années de 52 semaines, c’est-à-dire sans interruption. On estime que le niveau courant avec un niveau d’expression similaire à celui d’un natif requerrait 8 à 9 000 heures, soit 5 heures et demie par semaine durant 28 ans au moins, ce qui est bien sûr prohibitif, à moins d’envisager l’immersion en milieu natif, ce qui est injustement dispendieux.

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L’anglais est au monde moderne ce que le latin était au Moyen-âge ? FAUX !

 

La diffusion actuelle de l’anglais en science et en technologie n’a aucune relation avec celle de la lingua franca dans la Méditerranée orientale au XIe siècle et encore moins à celle du latin au Moyen-âge. La lingua franca est un sabir basé sur la langue des Francs, et teinté d’arabe et de turc pour des besoins de communication orale élémentaires, à aucune prétention scientifique.

En ce qui concerne le latin, les universitaires justifient le recours massif à l'anglais par la comparaison avec le latin des clercs du Moyen-âge que désigne, croient-ils, l'expression « lingua franca »… Une expression qui sert aujourd'hui aux universitaires à signifier de manière générale une langue de communication des savoirs entre représentants de différentes cultures, désigne à l'origine une langue essentiellement utilitaire, non écrite, au vocabulaire très limité et à la grammaire quasi inexistante. Cette confusion apparaît significative quand l'on songe que la plupart des scientifiques et des universitaires parlent, écrivent et publient aujourd'hui leurs travaux dans un anglais très pauvre, réduit à quelques centaines de mots et à une grammaire rudimentaire. La majorité des scientifiques qui écrivent et publient en anglais n'ont d'ailleurs jamais lu de grands classiques de la littérature anglaise et en seraient incapables ; ils ne voient même pas la nécessité de lire des classiques, non seulement en anglais, mais dans leur propre langue. Leur désintérêt pour la langue, pour la littérature et pour la philosophie, voire pour tout ce qui ne se rapporte pas directement à leur domaine de spécialisation, signifie que ces universitaires ne sont plus des clercs. D'autant plus fausse apparaît alors la comparaison avec le latin du Moyen-âge. Comme cela fut par exemple admirablement montré et commenté par Dom Jean Leclerc dans son livre « L'amour des lettres et le désir de Dieu », les moines du Moyen Âge accordaient une extrême importance à la beauté et à la richesse de la langue, et ils estimaient nécessaire de lire et d'étudier les meilleurs auteurs de l'Antiquité classique afin de s'approprier toutes ses ressources. Ce souci de la langue et cet impératif culturel et moral de lire les grands auteurs ont perduré bien au-delà du Moyen-âge, aussi longtemps que les élites européennes ont gardé la conviction que, pour mériter le nom d'honnête homme, il était indispensable d'avoir été instruit dans les humanités.

Il existe deux autres différences peut-être encore plus profondes qui interdisent de voir une vraie similitude entre le partage du latin par les clercs de la chrétienté occidentale et celui de l'anglais dit « international » par les universitaires. La première tient à ce que le partage d'une langue commune traduit ou non une communion réelle des personnes : Dans le contexte de la chrétienté médiévale, le partage du latin par les clercs était lié à la définition de l'Église comme communauté de foi, comme peuple appelé à former non pas un agrégat d'individus mais un corps dont le principe organique est le désir de l'absolu et dont les différentes personnes sont les membres. Dans le contexte de notre monde globalisé, le recours général à l'anglais ne traduit aucune adhésion commune à quelque valeur que ce soit. Plus encore, le principe d'universalité abstraite qui semble présider à la formation de ce que l’on pourrait appeler une nouvelle collectivité mondiale, tend à interdire que ce cadre contienne autre chose que du vide.

La deuxième différence tient au fait qu’au Moyen-âge, les langues européennes ne sont pas normées et que les usages que l’on en fait ne permettent pas la communication scientifique de manière aussi efficace que le latin. C’est la raison pour laquelle les intellectuels du Moyen-âge répugnent à employer leur propre langue. Cependant, la normalisation systématique des langues vernaculaires va petit à petit permettre leur usage croissant dans tous les domaines dont une demi-douzaine au moins allait s'illustrer par des productions littéraires et scientifiques comptant parmi les plus riches de l'histoire du monde.

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Le monde a besoin d’une seule langue internationale ? FAUX !

 

Les besoins en communication sont multiples et variables et diverses solutions peuvent être proposées, solutions qui peuvent se révéler beaucoup plus économiques et efficaces tout en mettant tous les interlocuteurs en présence sur un pied d’égalité. Sans avoir l’ambition de couvrir entièrement ce vaste sujet, nous devons envisager plusieurs cas.

Si les impératifs sont d’ordre commercial, la langue est clairement celle du client. Le succès mondial de la firme Microsoft, souvent citée, a reposé essentiellement sur l’adaptation très rapide de ses logiciels aux diverses langues de ses clients potentiels.

Pour ce qui est des organismes internationaux, des études ont prouvé que la communication basée sur le développement de l’intercompréhension entre langues voisines est tout-à-fait viable et beaucoup plus économique que le système actuellement en vigueur à la Commission européenne, par exemple. Dans un système de communication basé sur l’intercompréhension, chacun s’exprime dans sa langue et est compris par son interlocuteur, à l’oral comme à l’écrit. Ainsi, avec 11 langues (le nombre de langues officielles jusqu’à l’élargissement du 1er mai 2004), l’intercompréhension entre langues voisines nous permet d’arriver à 9 couples de langues à interpréter soit 18 directions d’interprétation et de traduction au lieu de 110 ! L’économie est énorme !

Lorsque la communication doit se faire entre locuteurs de langues n’appartenant pas à des familles linguistiques proches, la solution d’une langue artificielle synthétique permettant une précision d’expression absolue est à recommander. Les caractéristiques souhaitables d’une telle langue sont connues. Elle doit être basée sur un jeu de construction syntaxique et grammatical faisant très peu appel à la mémoire : Absence d’irrégularités phonétiques et grammaticales, vocabulaire à base d’un nombre minimal de racines à partir desquelles les substantifs, adjectifs, verbes, adverbes peuvent être facilement créés, dérivation immédiate des antonymes, des augmentatifs, du féminin, du superlatif, etc. Une telle langue existe. Son rôle n’est pas d’étendre ou de consolider un empire et tous ses locuteurs sont sur un même pied d’égalité. Elle se maîtrise en moins de 200 heures d’étude et elle permet une communication complète, très proche de celle qu’autorise la langue maternelle. Pourquoi l’enseignement de cette langue synthétique qui s’appelle « espéranto » n’est-il pas généralisé ? Tout simplement parce que, dans le contexte d’une structure hégémonique au profit des Anglo-Saxons et, plus encore, au profit des États-Unis, son emploi permettrait une communication directe, sans l’intermédiaire des médias, et délégitimerait totalement l’usage de l’anglais, qui est l’un des trois principaux piliers sur lequel l’empire étasunien est construit, accompagné par le dollar et la puissance militaire étatsunienne.

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Pourquoi grammaire et syntaxe anglaises sont-elles inadaptées à faire de l’anglais une langue de communication universelle ?

 

Laissons parler Edward Sapir, fameux linguiste étatsunien du début du XXe siècle.

« En ce qui concerne la simplicité, il est exact que la structure formelle de l’anglais n’est pas aussi complexe que celle de l’allemand ou du latin, par exemple, mais cette constatation n’épuise pas le problème. Un débutant en anglais trouve cette langue facile parce qu’il n’a pas beaucoup de paradigmes à apprendre, mais il constate bientôt, à ses dépens, que cette impression de facilité est illusoire et, qu’en fait, l’absence même de signaux grammaticaux explicites est pour lui une source continuelle de difficultés. À titre d’exemple, une des particularités souvent invoquées pour mettre en évidence la « simplicité » de l’anglais est le fait qu’un même mot peut être utilisé à la fois comme nom et comme verbe. Ainsi est le mot "cut" qui est un nom dans "a cut of meat" (une tranche de viande) et un verbe dans "to cut the meat" (couper la viande). Même chose pour les mots "kick" ou "ride". Toutefois, un examen un peu plus approfondi nous révèle que cette facilité est un mirage. Tout d’abord, dans quel sens un verbe peut-il être utilisé comme un nom ? Dans le cas de "take a ride" ou "give a kick", le nom indique l’acte lui-même, mais dans le cas de "to have a cut on the head" (avoir une blessure à la tête), le nom n’indique plus l’acte lui-même mais le résultat de l’acte. Dans ce dernier cas, un couteau ou tout autre objet contondant a coupé la peau du sujet et le nom "cut" se rapporte à la blessure ainsi produite ; dans "a cut of meat", il désigne la portion de viande qui a été détachée par l’acte de découpage. Quiconque prend la peine d’examiner ces exemples avec soin s’apercevra que derrière une simplicité apparente se dissimule une foule de règles d’usage bizarre et arbitraires. Ces difficultés échappent bien évidemment aux anglophones, mais elles déconcertent un étranger dont la langue maternelle possède des structures totalement différentes. Malheureusement, la règle qui nous permet d’utiliser un verbe comme nom et un nom comme verbe ne s’applique pas dans tous les cas, tant s’en faut ! Par exemple, "to give a person a push or a shove" (bousculer quelqu’un) est permise mais il n’est pas permis de dire "to give a person a move" (déplacer quelqu’un) ou de dire "give a person a drop" (faire tomber quelqu’un). On peut dire "give someone help" (aider quelqu’un), mais on ne peut pas dire "give someone obey" (obéir à quelqu’un), la forme correcte étant "give someone obedience". On ne peut donc formuler de règle qui préciserait sous quelle condition on peut utiliser un verbe comme un nom et quelles significations seraient ainsi associées à un tel usage. Très souvent, il est impossible d’utiliser sous forme de nom un verbe donné. Tandis que le nom dérivé de "help" est "help", celui dérivé de "obey" est "obedience" ; celui dérivé de "grow" est "growth" ; celui dérivé de "drown" est "drowning". Il faut encore ajouter - ce qui complique encore la situation - qu’un mot comme "drowning" ne correspond pas seulement à des mots comme "help" et "growth", mais aussi à des mots comme "helping" (aide ou portion) et "growing" (croissance). Réussir à démêler ce tissu de relations afin d’être capable de manier la langue avec une certaine assurance n’est pas une chose facile »;

o difficultés associées à l’usage de certains verbes : le linguiste étatsunien Sapir expliquait qu’apprendre à se servir de verbes tels que "put" et "get" est extrêmement difficile. Par exemple, "to put at rest" exprime une relation de causalité et équivaut à peu près à une expression comme « faire en sorte que quelqu’un (ou quelque chose) se repose ou s’immobilise » alors que "to put it at a great distance" (le mettre au loin) ne présente pas d’analogie conceptuelle, mais seulement formelle. De même, "to put out of danger" (mettre hors de danger) présente une analogie formelle avec "to put out of school" (enlever de l’école), mais cette analogie est fallacieuse à moins qu’on ne définisse l’école comme une forme de danger. On ne peut même pas définir "put" comme une sorte d’opérateur à valeur causative, car il ne remplit pas cette fonction dans toutes les constructions où il figure. Dans "the ship put to sea" (le navire prit le large), aucune relation de causalité ne se trouve impliquée. Pourquoi dit-on "East Africa", mais "Eastern Europe" ? Pourquoi peut-on dire "I ski" ou "I bicycle", mais pas "I car" ?

o même parfaitement formées, certaines constructions demeurent ambiguës. L'usage de noms comme adjectifs (sans prépositions) cause des problèmes énormes de relations entre les mots. Dans "World Trade Center", "world" s'applique-t-il à "trade" ou à "center" ? Quelle relation existe-t-il entre ces mots ? Rien d'autre que le « bon sens » n'indique. Or présumer du « bon sens » est intolérable dans un texte technique, un traité ou un texte de loi, puisqu'il laisse place aux interprétations les plus diverses. Puisque cette langue est incapable de fournir des règles claires relativement à l’emploi des verbes comme nom ou à la façon d’utiliser des verbes apparemment aussi simples que "put", on ne voit pas comment celui qui apprend l’anglais peut tirer avantage de cette caractéristique toute négative. Sapir écrit « qu’il lui semblera payer bien cher en hésitations et en incertitudes une simplicité de surface et, en fin de compte, l’anglais lui paraîtra plus difficile qu’une langue qui demande l’application de règles nombreuses, mais dépourvues d’ambiguïté. Pour en être parfaitement convaincu, prenons encore l’exemple de la phrase simple : "Time flies like an arrow" pour laquelle existent pas moins de 5 interprétations différentes. En effet, cette phrase parfaitement formée en ce qui concerne la grammaire et la syntaxe peut s’interpréter comme suit :

"Time passes as quickly as an arrow flies", soit « Le temps passe comme une flèche », c’est-à-dire « Le temps passe très vite » ;

"You should time the flies as quickly as an arrow times the flies", soit « Vous devriez minuter les mouches aussi rapidement qu’une flèche le fait » ;

"You should time the flies like an arrow", soit « Vous devriez minuter les mouches comme une flèche » ;

"You should time the flies which are similar to an arrow", soit « Vous devriez minuter les mouches qui sont similaires à une flèche » ;

"There exists a species of flies called "time flies" which are fond of an arrow", soit « Il existe une espèce de mouches que l’on appelle "time flies" qui aiment une flèche ».

o d’autre part, l’anglais, sur le plan lexical, élargit le champ sémantique, alors qu’un texte scientifique ou technique tend naturellement à le réduire. Par exemple, le mot "design", qui est très à la mode en France pour les imbéciles, a un champ sémantique beaucoup plus large - et par conséquent beaucoup plus imprécis - que ses homologues français qui sont, suivant les cas : « dessein », « intention », « projet », « visée », « esthétique », « conception », « élaboration », « création », « construction », « étude », « plan », « projection », « préparation », etc... Même chose pour le mot "kit", qui correspond suivant les cas à « un jeu » (de pièces), « une trousse » (de secours), un « nécessaire à... » ou un « ensemble de... ». On ne se rend pas compte que le mot "manager", qui fait partie du vocabulaire indispensable des ignares professant dans les écoles de commerce, signifie, suivant le contexte, « gérant », « directeur », « surveillant » ou même « propriétaire », et que le verbe "to manage", à un champ sémantique encore plus vaste qui, là encore suivant le contexte, peut signifier non seulement « gérer » et « diriger », mais encore « faire », « se débrouiller » ou « savoir s’y prendre »… La prolifération de ce type de termes dans les écrits techniques affranchit le rédacteur d’une obligation de précision, ce qui présente un net inconvénient dans la communication scientifique et technique.

- Néologie maladroite L’anglais n’a aucune vertu particulière pour la néologie… Considérons à ce titre quelques exemples :

o "middleware" est incompréhensible, même par des informaticiens, sauf ceux qui sont spécialisés dans les systèmes d’exploitation ;

o la désignation "data mining" souffre du même problème. En effet, que veut dire "mining", alors que l’équivalent « fouille de données » est beaucoup plus évocateur ?

o "scuba diving" qui désigne en anglais la plongée sous-marine (en bombonnes) est en fait un acronyme puisque "scuba" signifie "self-contained underwater breathing apparatus". Or, nul n’a besoin d’anglais pour faire des acronymes. Il s’agit probablement de l’approche la plus maladroite et la plus lourde pour construire des néologismes.

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Le monde aime spontanément

la culture étasunienne ? FAUX !

 

 

Cette assertion est mensongère. À de rares exceptions près, il n’y a pas eu, à l’origine, de demande spontanée pour les produits culturels étatsuniens, tout au moins pas plus qu’il n’y en a eu pour ceux d’autres pays. La vérité est qu’ils ont été imposés, au départ, par des arrangements similaires aux accords Blum-Byrnes, qui ont ainsi défini, en France, des quotas d’importation MINIMAUX pour les films et les chansons étatsuniennes. Ces accords n’ont pu être conclus que dans une Europe ruinée par la guerre et en échange d’une annulation partielle des dettes contractées par les pays ennemis de l’Allemagne pour l’achat d’armes et de matières premières. Grâce à cette porte d’entrée et grâce aussi à une volonté toujours plus grande d’imposer leur présence, cinéma étatsunien et chansons plus généralement anglo-saxonnes sont arrivés au point de littéralement saturer le marché. Il s’agit donc d’un conditionnement puissant de toutes les générations nées après 1945. Biberonnées de Coca-cola, de chansons et de cinéma étatsuniens dès leur naissance, les nouvelles générations en redemandent. D’ailleurs, la saturation de ces produits est désormais telle dans les pays de l’empire qu’ils sont difficiles à éviter lorsqu’on allume son téléviseur ou sa radio.

Les deux grands vaincus de la guerre, l’Allemagne et le Japon, qui restèrent plusieurs années sous la juridiction de l’armée étatsunienne, virent leurs systèmes de communication et d’éducation entièrement refaçonnés par l’occupant et cela jusqu’en 1949 pour la RFA, jusqu’en 1950 pour l’Autriche et jusqu’en 1952 pour le Japon. La transformation de ces nations ennemies en suiveurs dociles de la politique étrangère étatsunienne, leur alignement systématique sur les intérêts étatsuniens même encore aujourd’hui, non seulement dans le domaine militaire mais aussi dans le domaine monétaire : taux d’intérêt, modifications des masses monétaires, rachat massif de dollars ou de bons du trésor, financement direct de guerres extérieures, comme la première guerre du Golfe, par exemple, mise à l’écart ou marginalisation des pays concurrents des États-Unis, prouvent bien que les effets des actions entreprises ont été durables (1). Le Japon garde toujours une attitude incroyablement servile vis-à-vis des desiderata étatsuniens (2). Ces pays se font les relais fidèles de la politique impériale étatsunienne, et encore plus en ce qui concerne la promotion de l’anglais. Japonais et Allemand sont mités de mots anglais non traduits et cette situation fait l’objet de peu de critiques, alors que son corollaire a été la mise au rencart de l’allemand, à travers toute l’Europe occidentale et aussi dans le reste du monde. La culture, la philosophie et la science allemandes ne sont plus des objets de curiosité pour personne et l’Allemagne, devenue un nain culturel, ne garde une certaine prééminence que du seul point de vue économique.

(1) Le refaçonnage prévu à l’origine pour le Japon était de bien plus grande ampleur dans ses objectifs. Il y eut par exemple une tentative de réforme du système d’écriture, sous égide étasunienne, qui échoua. L’envoi de milliers de missionnaires chrétiens pour convertir massivement la population échoua également. Aujourd’hui, la proportion de chrétiens au Japon, contrairement à celle de la Corée du sud, demeure toujours négligeable.

(2) Cette volonté de suivisme a semblé enfin se fissurer avec Yukio Hatoyama à propos des troupes étasuniennes stationnées à Okinawa, mais il s’agit là d’un phénomène très récent. Très vite, des incidents ont été provoqués avec la Corée du nord pour recréer une menace favorisant le maintien des bases militaires.

L’expansion de la culture étatsunienne est le stigmate le plus évident d’un ordre impérial obsolète qui perdure encore près de 70 ans après sa mise en place.

 

 

Le 29 novembre dernier, j’ai prononcé une conférence à Paris sur le thème : « Le rôle de la langue dans la guerre de représentation ». Dans mon exposé, je suis allé de considérations générales au rôle que joue actuellement l’anglais dans la société française pour altérer nos perceptions en faveur de l’empire américain et aux dépens de nos intérêts.

Ma volonté était à l’origine de faire une démonstration complète du caractère délétère de ce phénomène et de faire également comprendre à mon auditoire son origine, mais je me suis rendu compte que, en dépit d’une argumentation rationnelle et dépassionnée, en dépit des faits et des références que je citais, je me suis malgré tout heurté à une barrière d’incrédulité. Comme dans de nombreux autres pays, la grille de lecture du public a été profondément altérée par le conditionnement intensif que la population française et celles d’Europe continentale en général subissent depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Lorsqu’on démontre, preuves à l’appui, que nos « amis américains » ne sont, en définitive, nullement nos amis et que les États-Unis constituent une nation globalement prédatrice, on est confronté à une incompréhension fondée sur le mythe du sauvetage de l’Europe des griffes du nazisme par les États-Unis il y a plus de 60 ans. On se heurte également à la croyance populaire que les industries dites « culturelles » américaines sont les bienvenues en Europe, alors que, à quelques exceptions près, les chansons américaines et les films ne se sont imposés en Europe qu’au terme d’un intense conditionnement des foules qui dure jusqu’à aujourd’hui. Les Français ne se rendent pas compte que la dévastation guerrière dont les États-Unis se sont rendus coupables au Vietnam, au Laos, en Irak ou en Afghanistan, où les morts se sont comptés globalement par millions, a été doublée d’une action moins spectaculaire, mais tout aussi prédatrice en Europe continentale qui voit aujourd’hui sa culture chanceler, sa créativité s’étioler, son prestige international s’effacer tandis que son économie est au bord de l’effondrement et que tout cela est directement imputable aux États-Unis, qui veulent à tout prix nous maintenir en tutelle au sein de leur empire.

S’attaquer à la colonisation linguistique et culturelle que nous font subir les États-Unis est aller au-devant d’une formidable barrière de scepticisme, barrière qui a été construite patiemment durant 60 ans par des faisceaux d’actions ciblées, précises et continues déclenchées par des organismes affiliés de près ou de loin au gouvernement des États-Unis d’Amérique, actions relayées et amplifiées par un réseau dense de collaborateurs zélés et stipendiés qui ont opéré directement dans tous les pays de l’empire. Au cours des 60 dernières années, les conquêtes de l’empire américain se sont appuyées soit sur l’action militaire directe ou indirecte, soit sur des pressions économiques ou financières, soit encore sur une colonisation linguistique et culturelle, soit enfin sur une combinaison de ces actions prédatrices sur la base de formules variables qui les faisaient intervenir dans des proportions diverses suivant les pays visés.

Pour beaucoup de lecteurs, nous sommes à ce stade dans le domaine du tabou, de l’irréel, de l’affabulation pure et simple, car le conflit avec les valeurs que nous avons acquises depuis la plus tendre enfance est, sur ce sujet en particulier, trop important. Le décalage avec la presse, avec la version officielle de l’Histoire, avec les croyances, avec la psyché collective de ceux qui nous entourent est tout simplement trop grand. Le gouffre est béant entre la réalité et l’image que la plupart des gens en ont. Avant de lire le texte qui suit, il faut donc se débarrasser autant que faire se peut de ses préjugés et du prêt-à-penser que nous fournissent les prescripteurs d’opinion.

Dans les pays de l’hémisphère nord, nous croyons que les sociétés sont individualistes et que notre système de gouvernement dit « démocratique » repose sur la somme de nos convictions communes, ce qui est vrai. On oublie seulement que des forces mises en place par notre système politico-médiatique obligent insidieusement les individus à adopter les mêmes opinions et comportements vis-à-vis de certaines questions. Même les plus individualistes de notre société n’ont aucune idée de la facilité avec laquelle il est possible d’influencer un électorat donné, mais aussi les comportements et les attitudes individuelles grâce à la concentration quasi-totale des médias actuels. Les médias étant sous la coupe du pouvoir économique qui a, à son tour, totalement investi le pouvoir politique, imposent, sous les apparences trompeuses d’une diversité factice, les idéologies, les croyances, les comportements et les attitudes désirées par les décideurs pour soutenir leurs initiatives et légitimer leur position. Nous en arrivons ainsi à croire que des guerres sont conduites pour soutenir des causes humanitaires ou encore pour neutraliser des armes de destruction massives, armes dont l’absence est d’autant plus évidente qu’elles ne sont pas utilisées en priorité à l’encontre des agresseurs ! À l’ère d’Internet, nous sommes assaillis par une propagande tonitruante qui déforme ou caricature grossièrement la réalité et les moyens techniques de communication instantanée ne font plus guère de différence au sein d’une population de plus en plus préoccupée par ses problèmes de prospérité déclinante tandis qu’elle tente désespérément de s’adapter à toujours plus de contraintes imposées par l’évolution de son mode de vie (éloignement forcé du lieu de travail, normes de rentabilité du travail individuel toujours plus exigeantes, schizophrénie toujours plus grande entre l’écologie et les impératifs commerciaux, aliénation croissante du citoyen par rapport à son environnement, etc.)

Cet article n’est pas un réquisitoire contre les États-Unis mais, plutôt, contre une clique influente basée à l’origine dans ce pays et qui a décidé depuis longtemps de transformer la république en empire. Dans ce processus, il n’existe qu’un seul facteur véritablement moteur, qui est une volonté de puissance totalement indépendante de toute solidarité ethnique avec les autres occidentaux. Cette clique a parasité et détourné le pouvoir des buts fixés par les fondateurs de ce pays au détriment de ses citoyens. Le fait que la naissance des États-Unis soit basée sur le génocide des peuples précolombiens n’est toutefois pas étranger à ce que nous voyons aujourd’hui pour faire avancer les causes de l’empire qui a rejeté à l’âge de pierre des pays tels que l’Irak et la Libye après un effroyable massacre de civils.

Face à une telle situation, un sursaut est nécessaire, mais ce dernier est impossible si l’on perd de vue les enjeux essentiels de la décolonisation mentale des populations d’Europe continentale. Notre colonisation spirituelle de fait, notre statut de vassaux des États-Unis sont d’énormes handicaps entravant notre évolution et notre épanouissement. Rarement remarquée en France et dans les autres pays de l’empire américain, la colonisation linguistique et culturelle est le fer de lance essentiel de notre infériorisation et de l’infléchissement de notre production intellectuelle. C’est par elle qu’il faut commencer pour initialiser notre affranchissement.

Avec le développement des moyens de communication, l’information crée aujourd’hui la réalité plus que la réalité ne crée l’information. Dans un tel contexte, la recherche de l’hégémonie passe par une confection de la représentation des peuples et des pays qui soit conforme à l’ordre que l’on cherche à établir et maintenir et qui doit être partagée par le plus grand nombre. Dans cet effort, la langue constitue un levier stratégique de puissance puisque la généralisation de son usage par les peuples que l’on veut dominer tend naturellement à véhiculer et installer durablement les représentations qu’ils doivent avoir d’eux-mêmes pour jouer le rôle qu’on veut leur attribuer.

Après un état des lieux, je me focaliserai sur la politique linguistique et culturelle menée par les États-Unis et, dans une moindre mesure, l’Angleterre depuis la Seconde guerre mondiale, sur les relais et les moyens qui ont été utilisés pour la mener à bien, sur les croyances et idéologies qu’elle répand et sur ses conséquences les plus néfastes sur les peuples qui ont été ainsi asservis.

Face à ce constat, la riposte passe tout d’abord par une prise de conscience des moyens qui ont été utilisés et par le démontage rationnel et systématique de toutes les croyances qui ont été véhiculées par cette offensive linguistique et culturelle. Les fausses affirmations et les vérités révélées doivent être invalidées, et nous ne subirons en rien la malédiction de Babel puisque nos différences peuvent ainsi se combiner au bénéfice de tous.

Le monde ne sait pas que la prétendue prédominance anglo-saxonne ne vient pas d’une supériorité créative, d’une supériorité d’invention, mais du succès de la diffusion de son idéologie et de sa langue qui ont induit un complexe d’infériorité qui, depuis la Seconde guerre mondiale, règne sans partage en Europe continentale, ainsi que dans d’autres parties du monde, dans le monde des affaires, chez les fonctionnaires et dans l’opinion publique.

Nous ne devons pas être étonnés du fait que, parmi nos dirigeants, parmi nos prescripteurs d’opinion, parmi nos spécialistes en « intelligence » économique, parmi ceux qui sont censés veiller à la compétitivité de notre pays et au maintien de son prestige, personne ne tire la sonnette d’alarme, personne ne sensibilise l’opinion au viol des foules perpétré quotidiennement par nos médias, notre système d’enseignement et nos dirigeants politiques. La colonisation mentale des soi-disant élites de notre pays est profonde et les collabos verrouillent toute prise de conscience potentielle de ce phénomène. Or, ce n’est qu’en redevenant pleinement nous-mêmes que nous pourrons à nouveau être pleinement productifs et créatifs. Quand cela se produira, nous nous détacherons automatiquement d’une structure impériale obsolète bâtie sur les décombres d’une Europe exsangue il y a presque 70 ans. Sous beaucoup d’aspects, notre Histoire a été arrêtée depuis des décennies par une puissance qui aujourd’hui est rongée de l’intérieur par la corruption totale de son oligarchie, par le mépris que ses dirigeants affichent pour le peuple qu’ils sont censés représenter, par ses rêves mégalomanes de domination globale aux dépens de son niveau de vie et de sa crédibilité.

Il est grand temps de tourner la page et de s’en donner une fois pour toutes les moyens !

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VERSION ENTIERE DE LA CONFERENCE

DE MONSIEUR CHARLES DURAND :

LE ROLE DE LA LANGUE

 DANS LA GUERRE DE REPRESENTATION

 

Il convient d’abord de définir les termes utilisés. Le concept de « représentation » fut réexaminé par Arnaud-Aaron Upinsky dans « Le syndrome de l’ortolan », de même que celui de « guerre de représentation » (3). Représenter, c’est rendre présent. Le manque de représentation rend absent à son propre environnement, à soi-même. La guerre de représentation est une guerre où la maîtrise et le trucage de l’information jouent le premier rôle. Lors d’un discours en Pologne, en 1993, François Mitterrand déclarait : « Une société qui abandonne à d’autres ses moyens de représentation, c’est-à-dire de se rendre présente à elle-même, est une société asservie ».

(3) Publié chez François-Xavier de Guibert en 1998.

Prenons comme exemple le décollage de la navette spatiale qui n’a jamais manqué d’être mentionnée au télé-journal de 20 h, tandis que ce n’est pas le cas pour les décollages des Soyouz ou même des Ariane, qui reçoivent beaucoup moins de couverture médiatique. La conséquence en est que, auprès du grand public, l’astronautique américaine est automatiquement plus visible que l’astronautique russe, française ou européenne. Upinsky écrit :

« L’information est l’arme absolue des temps modernes. Désormais, ce n’est plus le réel qui produit l’information, c’est l’information qui produit le réel. La véritable réalité des choses, c'est l'idée qu'on s'en fait. Dans l'Histoire, l'apparence a toujours joué un rôle beaucoup plus important que la réalité. L'irréel y prédomine sur le réel. »

Les exemples existent à foison, mais on peut en donner deux qui sont d’une brûlante actualité : les informations financières et le rôle disproportionné de la rumeur et les circonstances fabriquées entourant la guerre de Libye. Partie des États-Unis, la responsabilité de la crise de la dette est maintenant imputée à l’Europe et il suffit de lire la presse anglo-saxonne pour comprendre que le but est bien de faire éclater la zone euro pour préserver le statut du dollar comme monnaie de réserve internationale et pour continuer à drainer vers les États-Unis l’essentiel de l’épargne mondiale. En ce qui concerne la Libye, afin d’atteindre des buts géopolitiques qui ont été mis à nu par certains journalistes d’investigation courageux, les médias ont fabriqué à l’intention des pays de l’OTAN une propagande de distorsion de la réalité qui n’aurait sans doute pas pu être égalée par le docteur Goebbels lui-même, justifiant ainsi une guerre qui a abouti à la destruction totale d’un pays prospère. La guerre de représentation pourrait difficilement être mieux illustrée par ces deux exemples.

Il faut cependant distinguer deux cas. D’un côté, nous avons la distorsion de la représentation d’un tiers destinée à d’autres et celle qui se substitue à la représentation que nous voulons donner de nous-mêmes pour nous-mêmes et le monde extérieur… Ce dernier cas est particulièrement pernicieux, un peuple ne pouvant être vraiment libre que s’il a totale autorité sur ses systèmes d’information. En effet, s’il n’est plus capable de faire la différence entre les informations qu’il produit et celle des autres, il se retrouve manipulé par les leurres de son prédateur et se retrouve à sa merci d’autant plus que les moyens modernes multiplient, divisent ou annulent la représentation des faits à volonté, ce qui fait dire à Upinsky : « Si l’ennemi pénètre notre système d’information, il prend les commandes de notre système nerveux. Il pilote notre cerveau. »

Ce qui nous intéresse ici, c’est le rôle de la langue dans la guerre de représentation. Bien sûr, un mensonge peut être livré dans n’importe quelle langue, mais ce que l’on va voir ici, c’est qu’une langue étrangère, que l’on essaye de nous imposer par tous les moyens, l’anglais pour ne pas le nommer, joue un rôle considérable dans la guerre de représentation, à notre détriment.

Pourquoi mon intérêt sur ce sujet ?

J’ai vécu très longtemps à l’étranger pour y travailler et je venais en France au minimum une fois par an. Au début des années 90, j’ai perçu vraiment un changement. On pouvait ainsi noter :

- Des affiches en anglais à l’entrée des grands cinémas parisiens

- Une profusion d’anglicismes et de mots anglais non traduits à la télévision, au cinéma et dans la presse écrite

- De plus en plus de programmes d’enseignement en anglais dans les universités et les écoles d’ingénieurs

- De moins en moins ou plus du tout de publication française en français dans le domaine des sciences et des techniques

- Une absence du français dans les congrès scientifiques internationaux se tenant à Paris

État des lieux

Actuellement, il faut comprendre que, en France même, la tolérance ne consiste plus à accepter que, lors d’un congrès scientifique se déroulant à Paris, certaines interventions se fassent en anglais, mais de trouver normal que le français soit totalement banni de toutes les présentations et débats.

- Il faut se rendre compte que, en France, les revendications syndicales incluent désormais le droit à travailler en français, que des réunions de conseils d’administration se font en anglais, que des instructions de travail sont données en anglais et que de nombreux techniciens sont contraints et forcés par leur patron à utiliser des manuels techniques en anglais. On a vu ce que cela a donné avec le cas des irradiés d’Épinal où près de 5000 personnes ont subi des surdosages de radiothérapie, où 5 personnes en sont mortes peu après et où de nombreuses autres en mourront au cours des prochaines années.

- Il faut savoir que la formule des produits cosmétiques que nous utilisons est désormais rédigée exclusivement en anglais.

- En dépit du fait qu’elles sont également méprisées par les scientifiques et les ingénieurs de la planète entière, nous assistons à une forte résurgence des unités anglaises (4) puisque, dans certains secteurs, on nous parle de pouces et de pieds (écrans de télévision, écrans d’ordinateur, vélos, pneumatiques). On se demande si on ne va pas introduire dans les bulletins météo les degrés fahrenheit et les milles par heure pour la vitesse du vent (les « statute miles » bien entendu, car il ne s’agit en aucun cas des milles marins, comme par hasard).

(4) Les unités SI qui dérivent du système métrique, qui sont le plus aisément manipulables grâce au système décimal, devaient, à l’orée du 21e siècle, envoyer aux poubelles de l’Histoire les unités anglaises et leurs dérivées étatsuniennes. Elles demeurent aujourd’hui une aberration pour tout scientifique, chercheur et ingénieur. Leur maintien aux États-Unis, ainsi que dans quelques autres pays crée de très sérieux problèmes, car les mécaniciens doivent, par exemple, posséder tout l’outillage en double (clés métriques et clés anglaises par exemple). Cette ineptie est cependant encouragée par les dirigeants et les prescripteurs d’opinion qui voient là un aspect culturel qu’ils veulent absolument exporter pour le considérer ensuite comme une conquête confirmant la vassalisation des populations étrangères ! Jamais avons-nous été témoins d’une aussi colossale stupidité !

- En France, un professeur d’université dans une discipline scientifique ne peut plus faire de demande de fonds de recherche en français auprès de l’ANR (Agence nationale de la recherche), créée il y a quelques années. Il faut obligatoirement rédiger les dossiers en anglais, car l’agence insiste pour que l’évaluation des demandes ne soit pas restreinte aux seuls francophones. De toute évidence, 200 millions de francophones de par le monde ne sont plus suffisants pour évaluer un projet scientifique élaboré par un chercheur français.

- À Bruxelles, alors que le poids de la GB est de 13% dans l’UE, on assiste à un déséquilibre total de l’usage des langues en faveur de l’anglais. Là encore, si on demande des fonds de recherche à Bruxelles, il faut le faire en anglais, alors qu’il y a de fortes chances que l’interlocuteur soit un parfait francophone. On marche complètement sur la tête.

- Il existe dans nos universités et nos écoles d’ingénieurs des professeurs qui font désormais leur cours en anglais devant un auditoire d’étudiants exclusivement français.

- À l’intérieur du cercle des pays membres de la Francophonie institutionnelle, des ambassadeurs de France prennent la parole dans des circonstances officielles en anglais. Il en est de même au conseil de sécurité de l’ONU où nos représentants, souvent, font leurs déclarations en anglais alors que le français est pourtant langue officielle de cette organisation.

Imaginez-vous un instant dans la peau d’un étudiant étranger, ayant appris le français, vous rendant en France, en Belgique ou en Suisse romande pour y étudier dans votre spécialité et que l’on vous demande de prendre des cours d’anglais pour vous perfectionner préalablement dans cette langue ou encore de faire un stage dans un pays anglophone dans le même but ? Vous penseriez vous être trompé d’adresse.

Imaginez, en tant qu’étranger, je dis bien en tant qu’étranger, non francophone à l’origine, que vous arriviez à intégrer une grande école française et que l’on vous demande de suivre des cours en anglais dans votre spécialité. Si le professeur est un anglophone natif, vous penseriez que la France ne maîtrise pas les techniques enseignées par ce professeur. S’il s’agit d’un professeur français qui s’exprime en anglais, vous vous imagineriez que le français est dépourvu du vocabulaire nécessaire à la transmission des connaissances dont le cours fait l’objet. Dans tous les cas, on marche sur la tête.

Parallèlement à cela, on assiste à un affaiblissement de la maîtrise de la langue à travers toutes les couches sociales.

- L’école ne remplit plus son rôle. Une forte proportion d’élèves maîtrisent insuffisamment lecture et écriture à l’entrée de la 6e. Un détenteur d’un simple certificat d’études faisait moins de fautes autrefois qu’un bachelier aujourd’hui.

- On peut noter des fautes grossières d’orthographe et de grammaire chez des journalistes. Les éditeurs ne font souvent plus leur travail de correction avant la parution des livres qu’ils publient.

- La qualité des discours des hommes politiques n’a plus rien à voir avec ce qu’on pouvait entendre il y a 30 ou 40 ans. À ce titre, le visionnage du film « Le président » d’Henri Verneuil, tourné en 61, qui met en scène Jean Gabin dans le rôle de président du conseil français, donne une bonne idée de cette évolution.

Il faut également remarquer que le laxisme qui s’applique à la maîtrise de l’orthographe, de la syntaxe et de la grammaire est officiel. On a même entendu des inspecteurs de l’Éducation nationale dire que l’orthographe était réservée aux imbéciles. De plus :

- On constate une substitution massive du vocabulaire français par du franglais ou des mots anglais non traduits et introduits de manière totalement artificielle par les médias et la presse écrite. La syntaxe est également touchée et les calques abondent. Par exemple, on parlera de « coupes » budgétaires au lieu de « réductions » ou de « compressions » budgétaires; on dira que « ça fait sens » aux dépens du simple « bon sens ». C’est « basique » ne fait plus référence à une propriété chimique, mais à la simplicité. « Compressé » prend la place de « comprimé ». Les mots anglais non traduits abondent ou encore les mots qui paraissent anglais, mais qui ont été inventés par les Français et qui n’existent bien sûr pas en anglais comme « relooker », « surbooké », etc. On tolère un homonyme du « chat » pour signifier « bavardage ». Le quotidien « Le Figaro » nous propose dans sa version en ligne son émission baptisée « Le talk » qui n’a plus rien à voir avec le talc utilisé pour poudrer les fesses de bébé… Il suffit d’écouter durant quelques minutes la radio BFM pour avoir un bon échantillonnage de ces inepties. Ce phénomène accélère et encourage les constructions fautives où chacun met un peu ce qu’il veut quitte à ne pas être compris parfaitement ou pas du tout.

- L’écrasement des nuances accompagne cette confusion mentale et est rarement mieux illustré que par l’emploi de « portable » à la place de « portatif », de « futur » à la place d’« avenir », d'« apporter » au lieu d'« amener », de « chance » au lieu de « risque (5) ». Sous l’influence de l’anglais, qui a subi avant le français une désagrégation marquée, on confond désormais « technique » avec « technologie ». Sous l’influence des doublages de qualité douteuse des séries télévisées américaines, on commence très sérieusement à parler d'« expertise » pour « compétence », à confondre « crime », « délit » et « infraction », puisque l’anglais « crime » englobe déjà la signification de ces trois termes.

 (5) Comme dans : « vous avez 50% de chance d’avoir un cancer ».

- Des expressions telles que « ce n’est pas ma tasse de thé » ("not my cup of tea"), « croisons nos doigts ! » (pour dire « touchons du bois ! »), « agenda » pour dire « ordre du jour », abondent.

- Sommes-nous en train d’être conditionnés à tolérer bientôt pour nos fromages et pour nos vins des noms à consonance anglaise – à défaut d’être anglais - tandis que le vin rosé, d’après la Commission européenne, ne serait plus qu’un « mélange de vin rouge et de vin blanc » ? Après tout, nous avons déjà dans nos supermarchés la gamme complète des "WeightWatchers", les bières "light" accompagnées des "crumbles" et des "brownies" à la section pâtisserie.

- Nous tolérons déjà depuis longtemps, dans l’Hexagone, que 60% des chansons diffusées par nos radios soient des chansons américano-britanniques, à la quasi-exclusion de toutes autres productions étrangères. Nous tolérons que l’Eurovision soit devenue une « anglovision » de fait, et que nos propres chanteurs français chantent en anglais dans un nombre croissant de cas.

- Nous tolérons des titres de films en anglais en dépit du fait que, la plupart du temps, nous ne les comprenons même pas.

- Nous tolérons que des banques françaises diffusent auprès de leur clientèle francophone des prospectus et des brochures d’information qui sont tellement truffées de mots anglais, de franglais ou de pseudo-anglais qu’on ne peut plus vraiment les considérer comme étant rédigées en français.

- En sport, nous nous habituons à ce que les médias remplacent de plus en plus de notre vocabulaire par des équivalents anglais. Un entraîneur est désormais un "coach", un barreur ou un capitaine de voilier est devenu un "skipper", une équipe un "team". Le Club alpin est atteint de la même maladie, ainsi que les fournisseurs de matériel de montagne, qu’il s’agisse de ski, de randonnée ou d’escalade.

- Les domaines de la haute couture, des cosmétiques, des parfums, pourtant si français autrefois, sont mités de mots anglais ou à consonance anglo-américaine. Ce phénomène atteint même les accessoires utilisés dans les films pornographiques.

- Nos dictionnaires, qu’il s’agisse du Larousse ou du Robert, s’empressent de rajouter chaque année des néologismes d’origine anglaise sans même insister sur le fait que leurs équivalents existent dans notre langue… "Low-cost" pour « bon marché », "e-learning" pour « formation en ligne », "peer-to-peer" pour « poste à poste ».

- Le manque de précision dans la langue fait qu’elle n’assume plus totalement son rôle de véhicule de communication. Cela atteint encore plus les rapports techniques d’étudiants en science et en ingénierie, tout au moins ceux qui sont encore écrits en français. Il n’est pas exagéré de dire que nous assistons à un véritable détricotage de toutes les règles régissant l’usage de la langue à l’oral comme à l’écrit.

Or, la langue structure la pensée. Une langue dont on n’applique plus les règles aboutit à une pensée déstructurée. Cela n’est pas une affirmation gratuite, car seule l’application rigoureuse des règles de grammaire et de syntaxe permet de retrouver les relations complexes qui existent entre les mots, tout au moins dans le cadre d’un message qui se veut précis (6). La conséquence immédiate de cet état de fait est que, souvent, ce qui est écrit n’a plus de signification précise. Cette créolisation du français signifie que, comme dans tout créole, le locuteur n’applique aucune règle et que celui qui le lit ou l’écoute a une grande latitude d’interprétation. C’est pour cette raison que toutes les langues ayant servi de support au développement de sciences et de techniques de pointe ont toutes été normées, sans aucune exception. Sans s’intéresser au domaine littéraire, la créolisation du français entraîne deux conséquences de taille :

(6) On peut également penser au rôle de l’exercice de dictée qui vérifie que l’élève comprend parfaitement les relations qui s’appliquent aux divers mots qui rentrent dans la composition d’une phrase. Bien orthographier est synonyme ici de bonne compréhension. Une dictée mal rédigée implique obligatoirement que le texte n’a été compris que partiellement et que l’interprétation de la communication orale a été insuffisante.

- Ce qui est écrit en français ne mérite pas d’être lu aux yeux d’un lectorat étranger. Cela est facilement vérifiable en constatant la quasi-absence de traductions des ouvrages français contemporains dans les pays non francophones. Cela contraste violemment avec la très large diffusion des ouvrages français dans la première moitié du 20e siècle lorsque des ouvrages comme par exemple ceux de Gustave Le Bon, auteur aujourd’hui presque complètement oublié en France même, étaient à l’époque traduits immédiatement dans plus de 20 langues dès leur parution !

- Le français perd une grande partie de son prestige auprès des populations immigrées en France même, ces dernières manifestant au contraire un repli identitaire vers les sociétés dont elles sont issues.

Vis-à-vis de tels phénomènes, il est intéressant de connaître les perceptions qu’on en a de l’extérieur. Je crois à ce titre que ce n’est pas l’opinion de n’importe qui qui nous intéresse le plus mais, plutôt, les perceptions de ceux qui nous connaissent et qui ont déjà une bonne connaissance du français. En effet, c’est surtout avec ceux qui s’intéressent déjà à nous, à ce que nous sommes, et avec lesquels nous sommes susceptibles d’avoir la plus grande interaction, que nous pourrons avoir les opinions et les avis les plus précieux sur nous-mêmes d’un point de vue extérieur à notre propre société. L’opinion de ceux qui connaissent notre langue, notre histoire et notre culture est donc à privilégier par rapport à celle des autres, si toutefois elle existe.

Il faut aussi examiner les réactions internes aux bouleversements qui font l’objet de cet article. En France, dans les autres pays européens, mais aussi ailleurs, il y a une prise de conscience assez générale de l’état de dégradation de la langue. Les 15 ou 20 dernières années ont vu une forte proportion des États de la planète approuver des lois linguistiques pour enrayer ce phénomène. De plus, de nombreux pays ont déclaré leur langue officielle et ont inscrit dans leurs lois le cadre de son usage, ce qui a pu, auprès de certains observateurs, ébranler quelques certitudes. C’est ainsi que de très nombreux États américains ont déclaré l’usage de l’anglais obligatoire dans des environnements où il est de plus en plus concurrencé par l’espagnol. D’autre part, on a vu également l’émergence d’organismes internationaux dont le rôle était de fédérer les énergies politiques de plusieurs pays partageant la même langue et de définir des pistes pour assurer la préservation et la qualité de cette langue, telles que l’Hispanidad ou la Lusofonia. D’autres, enfin, ont amplifié les efforts d’exportation de leur langue et de leur culture comme levier stratégique de puissance à l’international (Instituto Cervantès, Goethe Institut, British Council, etc.) ou viennent de s’y lancer comme la Chine avec ses instituts Confucius, tout nouvellement constitués… La langue est une préoccupation vraiment universelle. Ceux qui prétendent le contraire sont des menteurs et des imposteurs.

Pour en revenir à la qualité défaillante du français moderne, si l’on cherche un peu sur Internet, on peut trouver des centaines d’associations et des dizaines de publications et de vidéos portant sur la défense de notre langue et dénonçant la situation actuelle de délabrement du français à l’oral comme à l’écrit. Pourtant, dans les grands médias, le sujet n’est presque jamais abordé et, s’il l’est, il sera abordé sous l’angle de la dérision ou du fatalisme (M. Allgood, par exemple, pour désigner l’auteur de la loi Toubon de 1994). Dans l’état actuel des choses, notre société prétendument libre et démocratique désamorce toute tentative de prise de conscience à grande échelle des enjeux liés aux questions linguistiques :

- Les ouvrages clés ne sont jamais cités

- Ceux qui ont quelque chose de vraiment intéressant à dire ne sont jamais invités sur les plateaux de télévision. En fait, presses écrite et presse parlée assurent un verrouillage total du débat public sur ces questions. Des sujets tels que « le plurilinguisme », « la colonisation linguistique et culturelle par l’anglais » ou encore « l’espéranto » ne sont jamais présentés, abordés ni même mentionnés quelle que puisse être la qualité des reportages ou des argumentaires

- Les rapports qui sont commandités par les organismes officiels, mais qui ne vont pas dans le sens souhaité sont très rapidement enterrés

La censure règne en maître. À ce titre, on peut citer un exemple concernant la présidente du MEDEF (Mouvement des Entreprises de France, c'est-à-dire le principal syndicat des chefs d'entreprise), Mme Laurence Parisot, qui participa à un débat télévisé le 2 décembre 2009 dans le cadre du « Grand journal » du soir, sur Canal +. Lorsque fut évoqué le débat sur l'identité nationale lancé par le gouvernement français pour détourner les citoyens des vrais problèmes et culpabiliser les étrangers de tous les maux, elle n'exprima pas une approbation de cette initiative gouvernementale et conclut : « Il y a une chose, je ne sais pas si c'est dit, mais il y a pour moi un point très important, c'est la langue. Je préfèrerais, par exemple, que l'on ait un débat sur la langue, sur l'utilisation de la langue française, y compris dans l'entreprise, où l'abus d’anglais est à mon avis à signaler et à dénoncer. ». Quelques jours après, la phrase concernée fut supprimée de l’enregistrement vidéo de l’émission que l’on pouvait visionner encore sur Internet, et qui n’est plus du tout accessible aujourd’hui.

Pourtant, avant son élection, Nicolas Sarkozy aborda le sujet plusieurs fois, ainsi qu’après son élection, lors des semaines annuelles de la Francophonie. Plus particulièrement, son discours du 7 mars 2007 à Caen spécifiait que la langue française serait mise dans ses premières priorités s’il était élu. Toutefois, le gouvernement qu’il désigna s’empressa de ratifier le protocole de Londres et Sarkozy lui-même désigna des ministres favorables à l’anglicisation accélérée des diverses facettes de la vie publique française tels que Pécresse, Lagarde, Darcos, Chatel, Dati (7), etc.

(7) Valérie Pécresse accéléra l’anglicisation de l’enseignement supérieur et de la recherche. Christine Lagarde voulut fonctionner en anglais au début de son mandat ministériel. Xavier Darcos déclara qu’il fallait faire de la France « un pays bilingue » (sic). Luc Chatel voulut introduire l’anglais dès la maternelle. Quant à Rachida Dati, elle imposa l’étude de l’anglais aux futurs magistrats.

D’emblée, quand on regarde cette politique et qu’on voit les convergences qui existent au niveau des autres pays européens, on commence à se douter qu’il ne s’agit nullement du hasard, mais à la mise en application d’un plan et le système s’assure qu’aucun débat public ne puisse se mettre en place pour en discuter ou en confirmer l’existence.

Aymeric Chauprade, ex-professeur de géopolitique au collège interarmées de défense affirme que « La France vit une épuration sourde de tous ceux qui ne vont pas actuellement dans le sens des intérêts américains et, plus accessoirement, israéliens ». Il dénonce le verrouillage médiatique et politique assuré par les relais d’influence américains qui ont neutralisé toute possibilité de débat sur un certain nombre de sujets, dont ceux qui font l’objet des paragraphes précédents. Cependant, tout est lié par le même fil conducteur si l’on admet que la France, comme la plupart des pays de l’OTAN, est clairement placée dans une logique d’empire.

Le tableau que j’ai décrit ici pourrait, avec quelques adaptations mineures, s’appliquer à presque tous les pays d’Europe continentale.

Existe-t-il un plan ?

Avant d’aller dans le détail, on est d’abord surpris de constater que les Européens ont une perception entièrement différente de celle des intellectuels anglo-saxons, plus particulièrement ceux n’ayant quasiment aucun lien avec les médias officiels. Ceux-là parlent ouvertement d’empire américain. Des personnalités américaines telles que Noam Chomsky, Bill Bonner, (l'auteur de « L'empire des dettes ») Webster Tarpley, William Engdahl, James Petras, l’Anglais Robert Phillipson et bien d’autres font régulièrement référence à l’empire américain. Quant à l’ancien conseiller de Carter Zbigniew Brzezinski, qui n’a plus de poste au sein de l’administration étatique, il déclare sans ambages que l’Europe, dans son ensemble, est un « protectorat » américain.

Le fait que les références à l’empire américain soient systématiquement occultées est assez symptomatique de l’Europe occidentale. 20

Pourtant, ce projet d’empire américain est formellement décrit par William Engdahl dans ses livres et dans ses présentations orales. Il s’agit au départ de la coalescence d’idées d’universitaires américains, de banquiers et d’hommes politiques qui prirent forme dès 1939 (8). Pour les politiques et les banquiers, l’idée était d’évincer les Anglais et les Français de leurs empires respectifs et de se substituer à leur influence. Il existait toutefois une différence de taille. Le mot empire fut déclaré tabou et ne fut jamais utilisé. Aujourd’hui, cet empire est essentiellement une structure globale de domination. Il ne s’agit pas d’occupation militaire directe bien que, à partir de 1945, le nombre des bases militaires américaines s’accrut dans des proportions énormes à l’étranger, ainsi que leurs effectifs.

(8) Voir « Gods of Money », de William Engdahl, page 137, mais d’autres auteurs ont aussi formellement dévoilé l’existence de ce plan. Comme c’est le cas aussi pour l’ouvrage de Saunders, le livre d’Engdahl n’aurait pas pu être écrit si son auteur n’avait pas pu avoir accès aux archives de l’époque étudiée et qui sont maintenant tombés dans le domaine public. « L’histoire contemporaine sous influence », d’Annie-Lacroix Riz, confirme également le financement de la publicité sur les intellectuels à la solde de Washington qui se firent les relais de la colonisation linguistique et culturelle.

Pour ceux qui pourraient encore en douter, il suffit de consulter "The Project for a new American Century" qui est le résultat d’un consortium de têtes prétendument pensantes qui fonctionna de 1997 à 2006, et qui formula une liste de recommandations destinées aux principaux responsables du gouvernement des États-Unis pour maintenir l’hégémonie américaine là où elle s’exerçait et, si possible, l’étendre davantage. Le groupe recommanda explicitement que le gouvernement des États-Unis prenne des mesures pour empêcher l’émergence de puissances rivales.

Le livre de la journaliste et historienne anglaise Frances Stonor Saunders intitulé "The CIA and the Cultural Cold War" doit également être mentionné, car il donne les détails des actions entreprises par la CIA et ses ramifications multiples : ONG, fondations, dans le cadre de la guerre culturelle et linguistique. Plus récemment, le livre de Daniel Estulin « La véritable histoire des Bilderbergers » a donné également des détails concernant le programme du « Basic English », ou de l’anglais à 850 mots, pour l’ensemble des pays non anglophones et plus particulièrement des pays d’Europe continentale. Toutefois, ces ouvrages égalent difficilement « La conquête des esprits », publié en 1982 par Yves Eudes, et qui est sans doute le premier livre à décrire en détail les mécanismes qui ont permis à l’empire américain de s’étendre en Europe et aussi ailleurs par des moyens ni militaires ni économiques.

Pourquoi un empire ?

Les raisons sont multiples. Elles furent économiques bien sûr, car il s’agissait de développer des nouveaux marchés pour les industries américaines, mais il serait naïf de penser que la conquête des esprits se limite à cela. Il s’agit surtout d’imposer un nouvel ordre américain basé sur les buts originaux des pères fondateurs. Pour les Américains qui président à ce mouvement, il s’agit là d’accomplir la destinée universelle de leur pays. Qu’il soit Allemand, Français ou Espagnol, l’Européen pense que cela serait contraire au pragmatisme qu’il prête aisément à un peuple qu’il croit préoccupé exclusivement par des questions économiques et commerciales. Il ne peut donc prendre au sérieux une telle prétention et en nie généralement l’existence. Pourtant, depuis le début du soulèvement pour l’indépendance des treize colonies, les États-Unis ont un message à livrer à l’humanité entière. C’est leur volonté, mais c’est surtout leur droit et l’une des missions les plus sacrées que leur a déléguée la Providence. L’exportation de la culture et de l’idéologie du « Nouveau monde » est enracinée au plus profond de ce que l’on pourrait appeler la « religion civile » des Américains qui, depuis deux siècles, assure la cohésion et la confiance en soi de ce peuple. Que ce soit avant la victoire de 1783, comme jusqu’à notre époque, il n’est pas un homme d’État américain, pas un penseur de ce pays qui n’insiste avec une véhémence et une outrance extraordinaires sur la rupture absolue, le recommencement de l’histoire que constitue la sécession avec l’Angleterre. Allant jusqu’à nier l’héritage biologique et culturel légué par l’ancienne métropole, tous proclament que les États-Unis sont une entité unique et incomparable dotée d’institutions parfaites et éternelles. Les exagérations, la démesure, les boursouflures et les outrecuidances que l’on note régulièrement dans les discours des divers présidents sur l’état de l’Union ("State of the Union Address"), ou dans d’autres occasions, ne dénotent pas un phénomène passager, mais un démarquage résolu et perpétuel du pays par rapport à tous les autres. Les Étatsuniens se nomment eux-mêmes « Américains », comme s’ils incarnaient à eux-seuls toutes les réalités des parties Nord et Sud du continent dont ils n’occupent pourtant pas plus qu’un cinquième, en surface inférieure à celle du Canada et à peine plus importante que celle du Brésil. Les Étatsuniens ne sont pas fiers d’eux-mêmes au sens où les Chinois le sont de leur civilisation plurimillénaire. Ils incarnent la Nouvelle Jérusalem et sont le nouveau peuple élu de Dieu avec tout ce que cela peut impliquer en droits auto-proclamés et auto-attribués d’intervention et d’ingérence partout sur la planète. Les composantes messianique et universaliste de l’idéologie étatsunienne sont totalement ignorées en Europe, ce qui a bien évidemment pour résultat des erreurs d’appréciation colossales dans tous les domaines. Les États-Unis aspirent à la direction spirituelle de la Terre, des autres planètes du système solaire ou même de l’univers tout entier, si c’était possible !

Afin d’atteindre les buts qu’ils se sont fixés, les Étatsuniens vont essayer de :

- Empêcher l’émergence de puissances rivales et, pour cela, tenter d’infléchir la production intellectuelle des puissances potentiellement rivales.

- Contrecarrer l’influence des puissances potentiellement rivales auprès des pays de langue ou de culture proches. Ici, l’idée est autant de réduire cette influence que de l’éliminer totalement si cela est possible, comme on a pu le voir dans certaines parties du Maghreb ou en Afrique noire francophone.

- Conserver un ordre favorable aux classes dirigeantes et surtout à l’oligarchie étatsunienne. Par exemple, répandre à l’étranger les théories économiques qui perpétuent les privilèges des banques privées et qui permettent de ponctionner de l’argent à l’étranger, comme ce fut le cas avec les fameux "CDO (9)" qui furent à l’origine de la crise de la dette européenne actuelle.

 (9) Collaterized debt obligation : Ces titres basés sur des créances douteuses furent achetés en grandes quantités par la plupart des banques européennes, surtout les banques allemandes et sont à l’origine de faillites en cascade (IKB, Dexia, etc.). Il s’agit en fait d’une opération totalement frauduleuse qui fut déclenchée par les banques étatsuniennes pour piller leurs homologues européennes.

- Conserver au dollar ses privilèges de monnaie de réserve internationale ce qui permet aux États-Unis de continuer à vivre, en grande partie, aux frais du reste du monde, de faire financer leurs guerres par les autres et, surtout, d’entretenir le vaste réseau de collabos stipendiés dont les États-Unis ont absolument besoin pour maintenir leur empire.

Pourquoi une conquête linguistique et culturelle ?

Officiellement, elle n’existe pas. Officiellement :

- La culture populaire étatsunienne est populaire à l’extérieur des États-Unis parce qu’elle plait spontanément aux populations qu’elle touche.

- L’anglais a acquis son statut par ses seuls mérites et aussi un peu par un hasard de l’Histoire. Il est plus facile à apprendre que toutes les autres langues et c’est la seule langue qui nous permette à tous de nous comprendre. C’est une langue neutre qui n’influence ni la forme ni le contenu des messages qu’elle véhicule.

- Les universités ont tendance à calquer les programmes étatsuniens, car ils sont les meilleurs au monde.

- Les principes socio-économiques qui régissent la société étatsunienne ont tendance à être adoptés ailleurs parce qu’ils émanent du pays qui est le parangon de la démocratie et de la liberté.

- Les États-Unis sont un grand pays ami qui nous veut du bien. Les États-Unis sont venus nous sauver durant la Seconde Guerre mondiale de la dictature des nazis. Ce dernier argument est asséné de manière récurrente par les médias étatsuniens et européens et ne commença à être remis en question par les historiens qu’à l’occasion du 50e anniversaire du débarquement de Normandie, après qu’ils eurent pu avoir accès aux documents officiels archivés après la Seconde Guerre mondiale et dont la communication fut interdite pendant 50 ans (10).

(10) Ce délai varie suivant les pays et la nature des documents. Il varie globalement de 10 ans à 50 ans. Toutefois, il arrive que certaines archives soient détruites ou que certains noms demeurent inaccessibles. Dès que les historiens peuvent consulter les archives des gouvernements, leurs révélations peuvent être époustouflantes. C’est ainsi que l’on a appris de l’historienne Annie Lacroix-Riz, la collaboration de l’oligarchie française à la victoire allemande de 1940 et du journal anglais le « Daily Telegraph » le rôle joué par les États-Unis dans la construction européenne dès la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En 82, le journaliste Yves Eudes remet tout cela en question dans son ouvrage « La conquête des esprits ». Ce n’est certes pas le premier qui dénonce les effets de la conquête des esprits puisque Jacques Thibau a déjà publié « La France colonisée » en 1980, mais Yves Eudes est le premier qui explique comment s’est fait cette colonisation, alors que Jacques Thibau ne fait qu’un état des lieux.

Selon Eudes, « l’Amérique doit être sans cesse présente sur le front international de l’idéologie, de l’information, de la culture. Elle doit y déployer des offensives à la mesure de sa puissance et de ses objectifs ; et surtout, elle doit vaincre ! Jamais les États-Unis ne seront le dirigeant incontesté du monde s’ils ne parviennent pas à conquérir l’esprit des hommes, et à convaincre les nations étrangères du bien-fondé de leur entreprise. ». Le texte précise : « Si nous voulons que nos valeurs et notre style de vie triomphent, nous sommes forcés d’entrer en compétition avec d’autres cultures et d’autres centres de pouvoir et, pour ce faire, l’Amérique devra imposer les méthodes de ses entreprises, ses techniques bancaires et commerciales, et aussi ses systèmes et ses concepts juridiques, sa philosophie politique, sa façon de communiquer, ses idées sur la mobilité et même dans le domaine de l’art... ».

Les moyens qui ont été utilisés

Nous entrons ici dans le domaine du politiquement incorrect et de l’hérésie. En France, il est rigoureusement interdit de dénoncer l’empire et les actions qu’il a entreprises pour s’établir et se maintenir. Aymeric Chauprade l’a appris à ses dépens. Enseignant au collège interarmées de défense, il s’est vu sommairement congédié par Hervé Morin, alors ministre de la défense, sur les injonctions d’un journaliste pour la seule et unique raison que, dans un livre qu’il venait de publier, Chauprade évoquait que les explications officielles sur les événements du 11 septembre 2001 ont été remises en question par de nombreux observateurs, lui-même ne formulant pourtant aucun jugement. De la même manière, François Asselineau, inspecteur des finances, a été mis sur la touche pour ses conférences politiquement engagées dans lesquelles il dénonce la main de Washington dans la nomination de la plupart des commissaires européens. Quant à Meyssan, directeur du réseau Voltaire et auteur de « L’effroyable imposture », il a été mis sur la liste des gens à éliminer physiquement ! Cependant, tant qu’on est considéré comme un doux farfelu ou que les responsables du système ont le sentiment que l’on n’a qu’un auditoire réduit, on ne risque rien.

Les moyens utilisés par les Étatsuniens sont révélés par Yves Eudes qui explique ainsi l’approche culturelle et linguistique :

« Les États-Unis savent pertinemment que toute conquête durable suppose à terme l’obtention de l’allégeance spontanée des populations ciblées ou, au moins, de ses élites locales. Le meilleur moyen d’y parvenir a toujours été l’intégration, l’assimilation, c’est-à-dire le transfert des valeurs, des principes, des modes de vie et des formes d’expression des nouveaux maîtres vers les nouveaux sujets. Même si elle n’est pas acquise dès la naissance, l’appartenance au groupe fondée sur la pratique d’une culture et d’une langue communes fait naître des liens intimes, irrationnels, intériorisés et infiniment plus fiables à long terme que la coopération fondée sur les seuls intérêts économiques ou sur l’acceptation rationnelle de principes explicites de fonctionnement. »

Rémi Kauffer, professeur à Sciences Po, pressent également le rôle capital de la langue quand il écrit :

« En dictant ses concepts, sa terminologie, sa vision du monde, les États-Unis tâchent d’enfermer leurs rivaux dans le cercle de pensée tracé à leur intention de telle sorte qu’une fois prisonniers, ils ne parviennent plus à s’en extraire. Imposer son vocabulaire, c’est remporter la toute première bataille. De "brainstorming" à "wargame", de "teenagers" à "fast-food", de "management" à "benchmarking", les Américains ont pris de l’avance… C’est grâce à cette imprégnation croissante que l’influence américano-britannique a pu s’étendre. Des élites dirigeantes, des secteurs tertiaires aux bataillons « avancés » des couches moyennes, elle s’est diffusée au sein des classes populaires. Guerre des mots, guerre des images. Dans la mesure où l’américanisation du vocabulaire, de l’imaginaire accompagne celle du mode de consommation, ce phénomène offre l’un des supports les plus efficaces de pénétration des entreprises étatsuniennes sur les marchés porteurs. Or, fût-elle commerciale, toute guerre est d’abord une guerre des esprits. Elle n’a toutefois rien du blitzkrieg psychologique pensé et mené sur le court terme. La désinformation implique au contraire une action orchestrée, durable, des moyens techniques, financiers et humains conséquents ».

Cette approche n’a rien de nouveau et a été utilisée à maintes reprises dans l’Histoire. À ce propos, le linguiste Louis-Jean Calvet écrit :

« Une politique pour la promotion du russe fut appliquée jadis dans les anciennes républiques annexées à l’Union soviétique et, dans une moindre mesure, à ses satellites. Une absence de politique linguistique dans les républiques non russophones entraînait des emprunts lexicaux massifs à la langue russe, plus particulièrement dans les domaines scientifiques et techniques. Ainsi, très vite, les langues locales furent confinées dans les fonctions grégaires et le russe fut réservé aux fonctions véhiculaires, officielles, scientifiques. En 1975, on proposa, lors d'une conférence tenue à Tachkent, d'enseigner le russe partout dès le jardin d'enfants puis, en 1979, lors d'une nouvelle conférence à Tachkent, sous le titre "Langue russe, langue d'amitié et de coopération des peuples de l'Union soviétique", on suggéra d'obliger les étudiants à rédiger leurs mémoires en russe. Il s'ensuivit des manifestations à Tbilissi (Géorgie), Tallin (Estonie), et des troubles dans les autres républiques baltes, des pétitions d'intellectuels géorgiens, etc. Certains locuteurs prirent conscience que leur langue se fondait lentement dans le russe. Il y eut donc un phénomène d'assimilation accélérée des langues de l'URSS par le russe qui ne doit rien au matérialisme dialectique, mais tout aux rapports de force et à la politique linguistique de la Russie à l'égard de ses satellites. »

En ce qui concerne l’action étatsunienne, elle a été mise en œuvre par les agences non gouvernementales, l’ "US International Communication Agency", les "Peace Corps", la CIA et, plus tard, par le "National Endowment for Democracy", le "National Endowment for the Arts", etc....

Les actions se portèrent sur plusieurs aspects :

- Les cadres législatifs à mettre en place ;

- Le recrutement des collabos stipendiés, principalement des journalistes ;

- Le recrutement et la mise en place de cadres politiques favorables à la politique culturelle et linguistique étatsunienne ;

- La mise sur la touche ou l’élimination physique des opposants à cette politique de conquête ;

- L’élaboration de consignes à donner aux représentants étatsuniens des grandes organisations internationales ;

- L’élaboration des idéologies et les croyances à mettre en place ;

- La coordination d’un effort pour s’assurer la maîtrise des définitions et des moyens de représentations. À travers la langue anglaise, il faut lancer des mots-concepts, définir les bases des actions, véhiculer et répandre les idéaux et les valeurs souhaitables, etc. ;

- Éblouir la galerie. Constamment vanter les prétendues supériorités des États-Unis dans tous les domaines par le biais des médias étrangers et des produits prétendument « culturels » tels que films, séries télévisées, reportages, émissions éducatives et livres;

- L’analyse des possibilités et des avantages uniques que la fin de la Seconde guerre mondiale offre. L’Europe est détruite et elle est fortement endettée auprès des États-Unis, ce qui constitue le cadre rêvé pour que les États-Unis puissent s’y implanter durablement ;

- Le développement des techniques de communication. Dans cet effort, c’est clairement Internet qui a eu le plus d’impact.

Les cadres législatifs à mettre en place

En ce qui concerne les cadres législatifs dont il faut favoriser l’émergence, les États-Unis feront la « politique de la porte ouverte » et appliqueront à sens unique le « principe de la liberté d’information ». Il s’agit d’éliminer partout les restrictions à la pénétration des systèmes d’information et d’invasion culturelle à l’étranger. Partout, les États-Unis prônent et exigent une liberté totale de circulation de l’information et une politique d’ouverture des industries culturelles, principalement le cinéma et la chanson. Bien entendu, l’Europe exsangue ne permet pas aux Européens d’appliquer ces principes en sens inverse.

Les États-Unis ne disposant ni d’un ministère de la culture, ni d’un ministère de la communication, désamorcent ainsi tout soupçon de propagande. Cependant, ils financeront en sous-main des fondations qui leur donneront plus de flexibilité que des organismes étatiques puisque ces dernières peuvent ainsi s’installer à l’étranger, là où elles le désirent, et qu’elles n’ont pas de compte direct à rendre aux gouvernements qui les financent et qui sont eux-mêmes scrutés par divers organismes de contrôle.

Le recrutement des collabos stipendiés

En ce qui concerne les collabos stipendiés, dès la fin de la Seconde guerre mondiale, des centaines de journalistes sont achetés et les systèmes d’information des pays « libérés » sont noyautés pour offrir des vues favorables aux intérêts étatsuniens. L’argent étatsunien, qui coule à flots, va également promouvoir de nombreux intellectuels médiocres, mais soutenant les intérêts étatsuniens et sur lesquels les médias braqueront le projecteur. Il s’agit des fameux prescripteurs d’opinion qui sévissent encore aujourd’hui et qui jouent le rôle remarquable de chiens de garde, comme ceux qui sont responsables de la mise à pied d’Aymeric Chauprade…

Le recrutement et la mise en place de cadres politiques favorables à la politique culturelle et linguistique étatsunienne

De la même manière, les États-Unis s’efforcent de mettre au pouvoir des sympathisants des intérêts étatsuniens. La crise de 1968 est utilisée pour essayer de déboulonner de Gaulle. Giscard, qui succède à Pompidou, est probablement le premier président français à avoir un a priori très favorable aux Anglo-Saxons même si ce dernier est préoccupé par l’interdiction qui est faite au Concorde d’atterrir à New York. De toute évidence, il s’agit d’une tentative de sabotage commercial du supersonique franco-britannique, la ligne Paris-New York étant potentiellement la plus rentable pour cet avion révolutionnaire, mais dont les lignes sont déficitaires. Giscard exigera donc auprès des autorités étatsuniennes que Concorde puisse atterrir à New York, ce qu’il finira par obtenir. Malgré cette opposition temporaire, pour le reste, Giscard est le premier président français ouvertement américanophile qui s’adresse en anglais à la presse étrangère pour commenter son élection et son frère Olivier, ancien élève d’Harvard, participe à la création de sa copie française, qui prend le nom d’INSEAD (Institut européen d’administration des affaires). Très vite, cet « institut européen d’administration des affaires » deviendra de fait « l’institut de formatage étatsunien pour les administrateurs des affaires en Europe ». L’orientation atlantiste du clan Giscard fut très claire et la réorientation de l’enseignement supérieur français selon des critères étatsuniens a justement pour origine le mandat présidentiel de Valéry.

La mise en place des structures européennes est favorisée par Washington parce que Washington veut corseter les nations européennes dans des structures contraignantes. Comme le révéla le quotidien anglais "Daily Telegraph", dès que l’accès des archives étatsuniennes de cette période fut rendu public, on découvrit que des gens comme Paul Henri Spaak et Robert Schumann, les « pères de l’Europe », avaient reçu de l’argent étatsunien pour promouvoir la construction européenne selon des schémas conformes aux desiderata de Washington.

François Asselineau, président de l’Union Populaire Républicaine, confirme, preuves à l’appui, que Washington a su placer ses pions à la Commission européenne. Au moins 3 sur 4 commissaires européens ont été formés aux États-Unis et sont éminemment favorables aux intérêts de ce pays comme le démontre bien Asselineau, mais cela se vérifie également et fréquemment au niveau national. Les chiens de garde des États-Unis veillent. Hervé Morin s’est rendu tristement célèbre dans l’affaire Chauprade, mentionnée précédemment. Valérie Pécresse a, elle, pesé de tout son poids pour angliciser au maximum l’enseignement supérieur et la recherche française. À l’Éducation nationale, Xavier Darcos a déclaré que la France devait devenir un pays bilingue. Rachida Dati a, pour sa part, imposé l’étude de l’anglais aux futurs magistrats français. Luc Chatel, qui a succédé à Darcos, veut maintenant introduire l’anglais à l’école dès la maternelle, à l’âge de 3 ans ! Sarkozy a chapeauté cette grande offensive anglolâtre depuis son arrivée à l’Élysée (ratification immédiate du protocole de Londres, qui donne force de loi en France à des textes rédigés en langue étrangère, etc.)

La mise sur la touche ou l’élimination physique des opposants à cette politique de conquête

L’élimination de ceux qui ne sont pas d’accord se fait d'abord par le silence médiatique et, si cela n’est pas suffisant, dans un deuxième temps, par l’élimination physique des dissidents, par l’intermédiaire des réseaux "stay behind", les futurs réseaux Gladio de l’OTAN. Il faut lire à ce propos les écrits de l’historien et universitaire suisse Daniele Ganser, basé à Bâle, ainsi que ceux de Webster Tarpley, qui a enquêté spécialement sur le rôle que ces réseaux ont joué plus particulièrement sur la scène italienne.

L’élaboration de consignes aux représentants étatsuniens des grandes organisations internationales

Parallèlement à ce qui précède, des consignes simples et strictes furent données par le département d’État aux représentants étatsuniens des organisations internationales qu’il finançait, ainsi qu’aux fonctionnaires en poste à l’étranger. L’usage exclusif de l’anglais dans les deux sens de la communication orale et écrite fut décrété, forçant ainsi tous leurs interlocuteurs à recourir à l’anglais soit à des traducteurs et des interprètes. D’autre part, la rotation rapide des personnels étatsuniens en poste à l’étranger rendit superfétatoire l’apprentissage des langues locales.

De plus, aux États-Unis, dès le début des années 60, l’enseignement des langues étrangères devint facultatif, que ce soit au lycée ou à l’université. Comme la demande en cours de langues baissait comme conséquence naturelle de telles mesures, de nombreux départements de langues furent purement et simplement supprimés, à l’exception notable de l’espagnol. Nous verrons aussi un peu plus loin les conséquences de l’élimination du "foreign language requirement" pour les doctorants particulièrement dans les domaines scientifiques et techniques.

Les idéologies et les croyances à mettre en place furent les suivantes :

Tout d’abord, l’idéologie de l’ouverture et de l’interdépendance qui servirent de support à l’invasion culturelle et linguistique. Plus tard, la théorie du réchauffement climatique servira les causes de l’ingérence dans les autres pays pour ralentir, voire arrêter, le développement industriel et économique.

Dans la même veine, l’internationalisme, qui permet au départ surtout aux Étatsuniens de s’installer partout sur la planète sans contrepartie et sans avoir à s’adapter (comme par exemple travailler en anglais dans un pays non anglophone). La diffusion de cette idéologie aura pour conséquence l’émergence d’une élite transnationale apatride. Cela a tellement bien réussi que le patriotisme économique étatsunien a lui aussi totalement disparu chez les représentants étatsuniens de ces élites !

Il fallait aussi faire admettre l’usage de l’anglais comme seule langue internationale en prétendant que c’est une langue facile, universelle, que tout le monde l’apprend et la parle et qu'elle sert de support à toute étude, toute recherche sérieuse ou tout projet technique d’envergure. On essaya d’en faire en particulier la langue de la nouvelle construction européenne, ce qui fut un succès qui n’a rien à voir avec les choix librement consentis des peuples, mais à des obligations et des contraintes imposées. Tous les candidats à l’Union européenne durent, dès la fin des années Delors, conduire leurs négociations d’entrée en anglais. L’usage de l’anglais fut également imposé entre la commission et les gouvernements des pays membres. On essaya aussi de faire de l’anglais la langue des jeunes, des sportifs, de l’économie, de la finance, de la musique…, tout en prétendant que la langue est neutre et qu’elle n’influence ni la forme ni le contenu du message. Au niveau de l’enseignement secondaire, l’anglais commença à apparaître sous la rubrique « langues étrangères » et les postes d’enseignants dans d’autres langues furent contingentés voire supprimés et l’anglais devint obligatoire de facto. Ainsi, le plus souvent, on s’est arrangé pour que l’anglais n’ait tout simplement plus de concurrent.

Maîtrise des définitions et des moyens de représentation

Ce qui est l’un des aspects les plus intéressants de la conquête des esprits, c’est que les anglo-saxons, à travers la langue considérée comme levier stratégique de puissance, veulent essayer d’acquérir la maîtrise des définitions et des moyens de représentation.

Dans ce cadre, le mot « définition » doit être pris au sens de norme, de postulat ou de référence que l’on veut d’emblée universelle. Autrefois, une « définition » était souvent assimilée à une vérité, pouvant être révélée et pouvant aussi devenir un dogme, qui ne peut alors plus être discuté car il remettrait en cause tout le système qui en découle.

Il faut considérer que, sans postulat, on ne pourrait pas construire de mathématiques. Sans postulat de Dieu, le monde n’aurait pas pu construire les grandes églises monothéistes et légitimer les pouvoirs qui les ont accompagnés. De la même manière, sans imaginer une ou des inventions particulières (postulats d’existence de nouvelles sciences, techniques et appareils construits sur la base de ces techniques), on ne pourrait pas écrire de la science-fiction, c’est-à-dire construire un monde imaginaire.

La norme ou référence universelle, est nécessaire pour construire un système économico-social. Toute l’astuce de la manipulation consiste à influer sur la perception de telle sorte que les nouvelles normes et les nouveaux postulats soient acceptés (mondialisation par exemple) et avec lesquels on peut construire un type de système dont on peut profiter préférentiellement.

Ces normes ne sont en aucune manière neutres. Dans l’histoire, les normes ont déterminé en grande partie les grandes orientations sociales. Si « la vie après la mort » devient une norme, on aboutit à une société équivalente à celle de l’Égypte antique. Si la norme est « l’argent » qui entraîne que « l’argent mène le monde », on a l’émergence de la financiarisation de l’économie. Si la « mondialisation » devient un postulat, on a comme conséquence mécanique l’ouverture des frontières, la suppression des barrières douanières, l’ingérence économique partout sur la planète, l’imposition d’une langue prétendument universelle et la destruction progressive des avantages sociaux dans les pays développés. Si « la loi du marché » devient un postulat, il ne faut guère s’étonner que les spéculateurs fassent la loi à la place des gouvernements et que des agences de notation pourtant discréditées fassent la pluie et le beau temps sur l’ensemble des bourses de la planète. Si « le réchauffement climatique » devient une norme, il ne faut guère s’étonner ensuite de l’émergence du commerce des crédits carbone, du regain d’intérêt pour le nucléaire, etc., etc.

On voit ainsi facilement que le langage de conception de ces prétendues « nouveautés » est essentiel pour l’expansion de l’influence étatsunienne mais, bien sûr, les relais doivent immédiatement servir leur rôle d’amplification et de diffusion. La fiction mentale de « l’anglais associé à la nouveauté » permet ensuite de traduire ces mots-concepts dans diverses langues en véritables vecteurs de pénétration et de consolidation de l’empire.

À plus petite échelle, on a été témoin du dégonflage de la bulle Internet à partir de 2000 et qui était en grande partie basée sur l’engouement pour des nouveaux mots-concepts qui ne représentaient aucune réalité tangible. Ainsi, des sociétés s’étaient formées pour vendre en grande partie du vent. On voit à quel point la maîtrise des définitions peut être dangereuse si les sociétés humaines, groupés en ethnies définies par une langue spécifique, en confient la responsabilité à d’autres !

La maîtrise des définitions doit être bien sûr couplée avec les moyens de représentation qui donnent corps aux nouvelles définitions et aux valeurs à adopter. Les moyens de représentation sont l’apanage des médias, et des médias stipendiés ou des médias regroupés sous la houlette de syndicats d’intérêts sont en mesure d’opérer des distorsions colossales comme on a pu le voir avec la récente campagne de soutien pour l’intervention en Libye, ainsi que pour celle qui s’esquissait encore récemment pour la Syrie. Cependant, le recours aux trucages n’est souvent pas nécessaire dans la mesure où il suffit de braquer le projecteur, ou la caméra, sur ce que l’on veut et ignorer le reste.

Éblouir la galerie

Il faut faire croire que l’épicentre de tout progrès, de tout développement, de toute innovation, de toute créativité véritable dans tous les domaines provient en quasi-exclusivité du centre de l’empire, c’est-à-dire des États-Unis d’Amérique. C’est le rôle des médias achetés. Plus spécifiquement :

- Il faut faire croire que toute technique, toute méthode d’usage courant aux États-Unis est obligatoirement bonne pour le reste du monde et qu’elle sera nécessairement adoptée par tout le monde avec le temps.

- Il faut faire croire que les États-Unis incarnent le bien et le droit et qu’ils sont des amis indéfectibles des peuples. Le rôle des médias sera de répéter encore et toujours que les Américains sont venus au secours des peuples d’Europe durant la Seconde Guerre mondiale. Or, les archives de la Seconde guerre mondiale, et auxquelles les historiens ont pu avoir accès depuis le début des années 90, ne confirment en aucune manière l’altruisme des pays anglo-saxons à l'égard des pays envahis par les nazis. Dans son livre « Le mythe de la bonne guerre », Jacques Pauwels nous brosse un tableau totalement différent de celui dont les médias et les livres scolaires nous ont rebattu les oreilles depuis plus de 50 ans (11) ! Dans les faits, le monde anglo-saxon, pronazi à l’origine, s’est lancé dans une guerre pour de sordides calculs de puissance et de volonté de mise en tutelle d’une bonne partie du reste de l’humanité. Nous vivons encore à l’heure actuelle dans une époque dominée par ce projet de conquête et de vassalisation des peuples.

(11) Il faut sans doute mentionner également que l’effort de « libération » a fait en France plus de morts que le bombardement atomique d’Hiroshima, morts qui ont été surtout causés par les bombardements aériens américains de villes qui avaient été désertées par les Allemands depuis belle lurette ! Il s’agissait en fait de destructions délibérées destinées à détruire les infrastructures et à mettre à genoux économiquement le peuple ainsi « libéré », car il est impossible que les services de renseignement alliés ne fussent pas au courant de ce qui se passait dans les villes qui furent ainsi visées. Là encore, l’Histoire « officielle » a gommé complètement la mémoire de ces évènements et de leur coût humain !

Profiter d’une Europe détruite et endettée

La destruction de l’Europe et de puissances comme le Japon représenta le moment optimal pour les États-Unis d’investir les pays ruinés pour y installer leur appareil de propagande et de conquête des esprits, en se servant aussi de la dette comme d’un levier pour l’imposer :

- En contrepartie d’une annulation de la dette, les accords Blum-Byrnes sont conclus en 1946. Leur but est d’imposer un quota minimal de films étatsuniens au public français, afin d’installer durablement l’influence du cinéma étatsunien en France par le biais d’un conditionnement constant. À l’inverse, les films européens ont un taux de pénétration quasi nul aux États-Unis, car leur doublage en anglais est interdit et ils sont uniquement sous-titrés. Leur circulation demeure largement en dessous des 4 % autorisé par la règlementation.

- Parallèlement, les circuits de diffusion des produits culturels existants sont investis massivement par les États-Unis qui en développent aussi de nouveaux. Surtout, il importe de donner une visibilité maximale à toute œuvre étatsunienne indépendamment de sa qualité. Aujourd’hui, on regarde un film étatsunien à la télévision tout simplement parce que la programmation des films étatsuniens sature les heures d’audience. Depuis la fin de l’Union soviétique, un effort colossal a été entrepris en Russie pour faire la même chose que dans l’Europe continentale de l’après-guerre avec la pénétration des circuits de diffusion de l’information. Les récentes manifestations en Russie suite aux élections législatives de 2011 en sont le résultat direct.

- Par le biais du cinéma, des séries télévisées, des reportages, des émissions éducatives, il est particulièrement important pour le monde extérieur d’identifier les États-Unis comme une nation forte, démocratique, dynamique, loin devant les autres par ses prouesses techniques, scientifiques et aussi militaires. Il faut convaincre le monde extérieur que seuls les États-Unis sont qualifiés pour prendre la direction de la plupart des organisations internationales et mondiales. C’est ainsi que, dans le cinéma, mais aussi ailleurs, le substrat réel de l’information est souvent complété par le rêve éveillé qui s’y mêle dans un enchevêtrement tel que la fiction est souvent prise pour la réalité (12). Même des scientifiques sont souvent bluffés. C’est ainsi que des savants européens de renom en arrivent à craindre les recherches étatsuniennes sur les « trous noirs » qui, selon eux, en pouvant aboutir à la création artificielle de trous noirs, pourraient accidentellement aboutir à la destruction de l’univers connu. Des membres du parlement européen ont publiquement mis en garde les instances de l’UE au sujet des conséquences imaginées du projet de recherche HAARP allant jusqu’à prétendre que les États-Unis étaient capables de façonner le climat, de déclencher des tremblements de terre et qu’ils étaient sur le point de créer l’arme absolue (13). Beaucoup plus près des sources d’information du citoyen moyen, les prétentions de la recherche génomique et des nanotechnologies sont plus proches de la science-fiction que d’une réalité scientifique palpable (14). Pourtant, ce sont ces images qui représentent des distorsions considérables par rapport à la réalité qui sont prises en compte et, au premier chef, par la fraction de la société que l’on pourrait qualifier « d’élite ». De telles prétentions, qui défient pourtant le bon sens, commun et scientifique, montrent à quel point ces élites ont été conditionnées pour accepter les élucubrations étatsuniennes les plus farfelues. À la réalité s’est substituée une « réalité virtuelle » médiatisée par les Étatsuniens et dont l’effet est d’inférioriser et d’infantiliser les autres peuples en rehaussant les sciences et techniques étatsuniennes à un niveau magique, qu’il est à jamais impossible d’égaler… Pourtant, en y regardant de plus près, beaucoup de prétentions scientifiques étasuniennes sont au mieux farfelues et, au pire, relèvent de la fraude. Le livre de Philippe L'heureux intitulé « Lumières sur la lune » démontre, par exemple, que les photos des diverses missions lunaires de 1969 à 1972 ont été en fait prises en studio, et cela n’a été en rien démenti par la NASA. En 1989, la découverte par deux professeurs étatsuniens de la « fusion froide » de l’hydrogène absorbé par du palladium a mobilisé pendant plusieurs mois les physiciens du monde entier jusqu’à ce que l’on s’aperçoive qu’il s’agissait d’une fraude. « L’imposture scientifique en dix leçons » de Michel de Pracontal publié aux Éditions « La découverte » donne une assez bonne description de ce type de tendance. Les photos truquées des diverses missions Apollo posent cependant un gros problème à savoir où le mensonge s’arrête et où la vérité reprend le dessus…

- Accroitre la pénétration des agences de presse étatsuniennes. Multiplier les clients de ces agences de presse à l’étranger et évincer les concurrents. C’est par exemple ce qui s’est passé en Amérique latine juste après la guerre avec l’éviction d’AFP au profit d’AP et d’UPI.

- Faire croire au caractère indispensable des États-Unis dans tous les domaines, qu’on ne peut se passer d’eux pour préserver les intérêts des peuples et plus particulièrement de ceux des occidentaux.

- L’important, pour les États-Unis, est que l’on parle des États-Unis. C’est un des premiers principes de la propagande. Il faut occuper les esprits encore et encore et occulter la présence des concurrents potentiels. C’est toujours et plus que jamais le cas aujourd’hui au cinéma, à la télévision et dans la presse écrite et parlée.

(12) Le film « Il faut sauver le soldat Ryan », par exemple, constitue une excellente illustration de ce principe.

(13) voir : http://conspiration.ca/haarp/arme_ultime.html

(14) voir : http://jeanzin.free.fr/index.php?2005/11/28/14-le-bluff-des-nanobabioles 31

Le développement des techniques de communication

En ce qui concerne la communication, les États-Unis ont toujours fait la promotion des nouvelles techniques de communication qui leur permettaient d’acquérir une visibilité privilégiée. En ce qui concerne Internet, il était considéré à l’origine comme un vecteur de pénétration d’influence anglo-saxonne mais, très vite, tout le monde se l’est approprié. Vers 2000 ou 2002 déjà, on passa en dessous de la barre des 50 % de contenus en langue anglaise et, aujourd’hui, c’est le seul véhicule vraiment multilingue qui soit à la portée de tous. Cependant, cette liberté d’information trouve assez rapidement ses limites. En situation d’exception, les communications sont tout simplement coupées. Lors de la récente guerre de Libye, le pays fut, peu après les attaques de l’OTAN, coupé de l’extérieur. En ce qui concerne la Syrie, c’est la direction du réseau social Facebook qui interrompit toute nouvelle en provenance de Syrie puisque ces nouvelles étaient en contradiction flagrante avec celles diffusées par les médias occidentaux.

De plus, les nouvelles techniques de communication sont un vecteur privilégié de la désinformation. On sait aujourd’hui que les populations des « printemps arabes » ont été manipulées par diverses techniques utilisant les réseaux téléphoniques mobiles. Les gens recevaient des textos mensongers sur l’actualité et sur ce qui se passait au cœur des manifestations. Ce fut la même chose en Iran lors des dernières élections.

Les modifications au cœur de l’empire

Parallèlement à la pénétration qu’ils opéraient à l’extérieur en Europe et ailleurs, des modifications importantes étaient imposées à l’intérieur des États-Unis :

- Suppression des "foreign language requirements" pour tous les candidats au doctorat dans toutes les disciplines scientifiques, dès le début des années 60.

- Interdiction imposée par les revues scientifiques de publier des articles rédigés dans des langues autres que l’anglais.

- Mise en place d’index de citations internationaux, mais pour la seule langue anglaise, le reste étant généralement ignoré.

- Diffusion de l’opinion que « ce qui n’est pas rédigé en anglais ne vaut pas la peine d’être lu ! »

- Minimisation par la presse des contributions extérieures dans tous les domaines

- Fermeture presque totale du pays aux œuvres culturelles étrangères à l’exception de l’Angleterre. Cinéma étranger presque inexistant et toujours en VO sous-titrée, musique et chansons étrangères non diffusées à l’exception de la musique classique. Absence quasi-totale de livres étrangers traduits et encore moins en VO. Indisponibilité de lecteurs de cassettes adaptées aux normes vidéos étrangères jusqu’à l’avènement du numérique. Accès difficile aux télévisions étrangères jusqu’à l’avènement d’Internet.

- Au FMI et à la Banque mondiale, les États-Unis sont les seuls à disposer du droit de veto et, par conséquent, peuvent ainsi imposer des conditions accompagnant l’octroi des prêts. C’est ainsi qu’un pays comme le Vietnam a dû, dès le début des années 90, prendre l’engagement de basculer massivement son système d’enseignement des langues étrangères, autrefois axé principalement sur le russe et le chinois, vers l’anglais comme condition préalable pour le déblocage des prêts qui, vers 1995, ont permis au pays de décoller économiquement puisque l’investissement privé a suivi les prêts du FMI en dollars.

- La volonté de déboulonner l’influence française dans l’ancienne Indochine a débouché sur le massacre des intellectuels, tous presque parfaitement francophones, par Pol Pot au Cambodge d’après l’historien Daniele Ganser de l’université de Bâle qui prétend dans ses écrits que les massacres ont été suggérés et encadrés par des groupe financés par les Anglo-Saxons. Au Vietnam du Sud, les patrons des bibliothèques, y compris les universitaires, furent payés par les États-Unis dès le début des années 60 pour envoyer par camions entiers leurs livres français à la décharge tandis qu’ils les remplaçaient par des livres étatsuniens. Au Ruanda, on sait que les Anglo-américains ont incité Paul Kagamé à révoquer le statut officiel que conservait la langue française. En Algérie, les islamistes, principaux responsables de tueries à l’orée des années 90 qui firent plusieurs centaines de milliers de morts, furent financés de longues années par les États-Unis et, comme par hasard, ces derniers contestaient le très large rôle que joue la langue française dans la société algérienne.

et à sa périphérie…

Si l’on se focalise uniquement sur la promotion de l’anglais à l’extérieur des pays anglophones, on constate un certain nombre d’actions clairement coercitives :

- L’anglais est devenu dans de nombreux domaines la seule langue pour traiter avec Bruxelles et, comme nous l’avons vu, cela ne relève en rien du hasard.

- Émergence de l’ANR (Agence nationale de la recherche) en France qui oblige les universitaires à déposer leurs demandes de financement en anglais, alors qu’il s’agit de l’argent des contribuables.

- À l’université, quasi-impossibilité de publier un quelconque article académique autre qu’en anglais et, si vous le faites quand même dans votre langue, tout article rédigé en français est dévalorisé par rapport à son équivalent en anglais. Tout cela bien entendu avec la bienveillance des ministères correspondants.

- Impossibilité pour les pays candidats à devenir membres de l’UE en traitant dans d’autres langues qu’en anglais.

- Fortes incitations faites aux professeurs dans les universités et les écoles d’ingénieurs à donner leurs cours d’enseignement supérieur en anglais.

- Impossibilité d’obtenir un diplôme d’ingénieur sans une note minimale au TOEFL, TOEIC, First certificate of Cambridge, etc.

- Imposition de l’enseignement de l’anglais dès le cours préparatoire en France à des enfants ne possédant pas encore pleinement leur langue maternelle.

- Injection artificielle de centaines de mots anglais non traduits par les médias.

- Complicité des dictionnaires qui s’empressent de rajouter chaque année des dizaines de nouveaux mots anglais, alors qu’existent leurs équivalents français.

- Anglicisation à Bruxelles. Fortes incitations à rédiger tout document en anglais. Anglais pour la rédaction de textes originaux par des non anglophones. Traductions tardives. Neil Kinnock et Chris Patten ont été les principaux artisans de ce processus.

Les conséquences : coûts directs et indirects

Petit à petit, nous assistons ainsi à la substitution massive de l’influence des intellectuels locaux par des doctrines et idéologies américaines destinées à la périphérie de l’empire, plus particulièrement dans le domaine économique avec les résultats que l’on sait. C’est là l’effet le plus visible, mais il y en a d’autres, plus pernicieux : apologie des éléments sociaux qui sont assimilables à des parasites, prosélytisme des comportements déviants, écologisme débridé rétrograde et malthusien, discrimination positive des minorités, effacement de la majorité devant des revendications minoritaires qui sont en contradiction absolue avec les principes républicains, tout cela soutenu activement par des ONG stipendiées et agissantes. De plus, la déformation de la réalité est de plus en plus flagrante car il faut que les foules :

- gardent toute confiance dans l’économie américaine pour y investir ou acheter des bons du trésor ;

- gardent toute confiance dans les agences de notation américaines, alors qu’elles devraient avoir depuis longtemps perdu toute crédibilité et qu’elles ne sont là que pour manipuler les perceptions au profit des États-Unis. Le monde n’a toujours pas pris conscience de la fausseté des informations distillées par ces agences de cotation boursière américaines qui certifiaient en 2007 la solidité de certains établissements bancaires qui faisaient faillite 3 jours après et qui certifiaient tous les CDO commercialisés par les grandes banques étatsuniennes « AAA » qui furent un peu plus tard la cause première des faillites de certaines banques européennes. Ces mêmes banques et agences de notation qui ont maquillé les comptes de la Grèce pour la faire frauduleusement entrer dans la zone euro et ainsi planter l’amorce d’une crise majeure que ces mêmes banques et agences de notation allaient déclencher quelques années plus tard.

- Ignorance de la réalité :

o Le monde non américain ne semble pas être conscient qu’il paye pour presque toutes les guerres étatsuniennes depuis la fin de la Seconde guerre mondiale grâce au statut du dollar qui ne vaut plus rien car il n’est plus gagé sur rien de tangible, mais qui est accepté par tous.

o Le monde ne semble pas se rendre compte que la crise financière actuelle est dû au fait que le monde dit développé a copié les méthodes étatsuniennes de gestion financière et adopté un modèle qui est erroné au départ.

o Le monde ne se rend pas compte que l’économie des États-Unis repose désormais sur du sable. Le poste n°1 d’exportation de ce pays est le cinéma tandis que 40 % des profits sont réalisés par l’industrie bancaire.

o Les États-Unis fabriquent aussi à volonté des ennemis ou des amis qui sont pris comme tels par la plupart des pays européens.

o Le monde ne se rend pas compte que les États-Unis ont fréquemment fraudé en matière de développements scientifiques et d’exploits techniques.

- Le monde ignore les coûts associés à l’usage et à l’acquisition de la langue anglaise :

o François Grin, spécialiste en économie des langues à l’université de Genève, estime à 15 milliards d’euros le revenu global que la Grande-Bretagne tire de l’enseignement de sa langue sur le continent européen.

o Si l’on tient compte d’un coût de travail horaire moyen de 21,2 euros pour l’Europe occidentale, l’enseignement des langues en Europe continentale, quand il se substitue au travail, est équivalent à une perte sèche de 210 milliards d’euros, soit plus de 3 fois le coût de l’enseignement lui-même et nous savons que l’essentiel de cet enseignement est celui de l’anglais.

o À la CE, si l’on considère que, globalement, la communication se fait à 50 % en anglais, alors que le poids de la GB n’est que de 13 %, et que le coût global de traduction et d’interprétation est de 2,76 milliards d’euros, l’usage déséquilibré de l’anglais coûte ainsi 2 milliards de trop à l’ensemble des pays membres.

o « On voit mal, François Grin l'affirme dans son rapport, au nom de quelle logique 23 des 25 États membres de l’UE devraient continuer à accorder aux deux autres (15) un cadeau qui leur coûte, rien qu’au niveau du système éducatif, la bagatelle de plus de 26 milliards d’euros chaque année, d’autant plus que cet effort massif laisse la majorité des citoyens européens en situation d’infériorité ».

- François Grin ne mentionne pas les coûts indirects dont je veux donner ici quelques exemples :

o On ne sait pas que l’ambiguïté de la langue anglaise a été la cause de nombreux accidents d’avion. Par exemple, l’ordre donné par la tour de contrôle : "Turn left right now !" a eu pour résultat un accident décrit dans le livre de Steven Cushing "Fatal words : Communication clashes and aircraft crashes". Autre exemple, le message : "We are now at take-off" qui peut être interprété par celui qui le reçoit comme émanant d’un avion qui est en train de décoller ou qui peut aussi être en attente en début de piste, prêt à mettre les gaz, accélérer et ensuite décoller (16), et ce n’est pas du tout la même chose.

(15) Sous-entendues l’Angleterre et l’Irlande.

(16) Il s’agit ici de l’accident du 27 mars 1977 dans lequel 583 passagers périrent quand deux Boeing 747 de Pan Am et de KLM entrèrent en collision au milieu de la brume sur une piste encombrée de l’aéroport de Ténériffe, aux îles Canaries.

o Les Français ne savent pas que le drame des irradiés d’Épinal a eu pour cause l’absence de traduction des manuels utilisés par les techniciens.

o Depuis six ans, les écoles publiques de Malaisie enseignaient les maths et les sciences en anglais. En 2012, elles reviendront au malais. En effet, cela empêchait la modernisation du lexique malais et le fait que la Malaisie est passée de la 10e à la 20e place en maths et de la 20e à la 21e en sciences a également pesé dans la décision.

- Nous assistons à une réécriture de l’histoire et de l’histoire des sciences et des techniques en particulier. Un cerveau occupé par quelqu’un d’autre se détourne automatiquement de ses propres productions culturelles et intellectuelles, ainsi que de celles des autres pays, non anglophones en l’occurrence.

o Les Français ont oublié que le premier vol motorisé était français, celui de Clément Ader en 1890.

o Les Allemands ont oublié que l’invention de l’ordinateur était un de leurs compatriotes, Conrad Zuse.

o Le monde a oublié que Charles Darwin s’est largement inspiré de Lamarck, Vanini, Maillet et Diderot.

o Le monde a oublié que le premier micro-ordinateur était français : le Micral.

o Le monde informatique ne sait pas que les algorithmes de reconnaissance de l’écriture manuscrite utilisés par la firme Apple sont d’origine russe.

o Le monde ne sait pas que c’est grâce au travail des Français Morlet et Grossmann qu’on a pu mettre dans les mains du grand public la vidéo numérique (compression par ondelettes).

o Le monde ne sait pas qu’Internet est un projet américain qui a consisté à améliorer un projet français, le projet Cyclades de Louis Pouzin, qui remonte à 1972.

o Le monde attribue de manière erronée la découverte de la pénicilline à Fleming, alors que la paternité de cette découverte qui date de 1897 revient à Ernest Duchesne.

o Le monde ne sait pas que la découverte de l’Helicobacter Pylori, une bactérie qui est à l’origine de nombreux ulcères d’estomac, est d’origine cubaine et que c’est un chercheur australien qui a reçu le prix Nobel pour cela.

Tout cela a une autre conséquence qui est l’infléchissement de la perception extérieure du système universitaire et de formation professionnelle français. La même remarque peut d’ailleurs s’appliquer aux autres principaux pays européens.

- Les enseignements dispensés en anglais ont pour résultat :

o Une uniformisation considérable des programmes, plus particulièrement quand ils sont accrédités. Ces cours utilisent naturellement des références anglo-saxonnes. Les livres préconisés et les supports d’études sont les mêmes que ceux qui sont utilisés par les universités anglo-saxonnes qui se trouvent en tête du classement de Shanghaï, naturellement.

o Un alignement complet sur les formations anglo-américaines identiques.

o Cette convergence avec des programmes délivrés par les institutions anglo-saxonne entraînent naturellement un rapprochement avec l’original et un rejet de la copie de la part des étudiants étrangers dont les meilleurs se détournent bien évidemment de la France lorsqu’ils envisagent une formation à l’extérieur de leur pays.

o Cela entraîne naturellement une perception particulière de l’usage de la langue anglaise dans un tel cadre.

  Enseignant anglophone natif absence de professeurs locaux spécialisés sur le sujet enseigné ;

  Enseignant français vocabulaire non adapté à la discipline enseignée ou manquant ;

  Cela entre en conflit avec les objectifs personnels de l’étudiant étranger pour celui qui choisit la France, car il n’a la plupart du temps aucun désir d’y étudier en anglais ;

  Anéantit la perception du caractère international de la langue française auprès des étudiants étrangers.

o Monopole des pays authentiquement anglophones sur le marché international de la formation.

o Dans les conditions actuelles, nous ne pouvons plus attirer les meilleurs étudiants étrangers et, par conséquent, les bénéfices d’accueillir ceux que nous avons se sont réduits considérablement. On vient encore étudier en France parce que les études universitaires demeurent pratiquement gratuites et que les étudiants étrangers peuvent toucher l’aide au logement de la Caisse d’allocations familiales. Il demeure donc improbable que ces étudiants étrangers, qui ne constituent en rien l’élite des pays qu’ils représentent, puissent jamais se hisser aux postes de commande, une fois revenus dans leur pays d’origine, aux niveaux desquels notre pays pourrait en retirer des dividendes ultérieurement en termes d’influence, de possibilités de coopération et d’éventuels traitements de faveur.

Il s’agit là d’effets purement mécaniques qui ne sont pas la volonté de quiconque, mais qui invalident la croyance que l’usage de l’anglais (ou de toute autre langue étrangère) n’influence ni la forme ni le contenu de l’enseignement. Ce français qui demeure la langue de la quasi-totalité de ceux qui se disent Français, mais qui est déchu du rôle qu’il devrait avoir au sein de celui qui l’a engendré, entraîne un dégoût marqué chez certains étrangers pourtant parfaitement francophones. Il n’y a qu’à considérer le dernier exemple en date de Moncef Marzouki, qui est récemment devenu président de la république tunisienne et qui, bien que parfaitement francophone, veut éradiquer l’usage du français en Tunisie. Il faut comprendre que ce qui arrive à notre langue avec notre pleine et entière complicité est beaucoup plus qu’une question anecdotique. Elle change profondément l’attitude de ceux qui auraient été nos alliés naturels dans d’autres circonstances. Quand des étrangers se rendent comptent qu’ils ont investi dans notre langue en pure perte, leurs réactions ne sont pas tendres.

Infléchissement de la production intellectuelle et de la créativité

Entre 1970 et 2000 s'est mis en place en France un nouveau système de production scientifique, mais aussi dans la plupart des autres pays d’Europe occidentale. Avant cela, la production scientifique, en France, était l’apanage de laboratoires spécialisés en recherche appliquée et de professeurs d’université et de grandes écoles. Bien entendu, ceux qui sont censés faire de la recherche sont loin d’être tous productifs, ce qui fit d’ailleurs dire à de Gaulle : « Des chercheurs qui cherchent, on en trouve mais, des chercheurs qui trouvent, on en cherche ! ». Toutefois, dans le système français, seules les trouvailles significatives faisaient l’objet de publications détaillées. Jusqu’à la fin des années 70, les universitaires français n’essayèrent pas de déguiser en nouveautés leurs toutes dernières cogitations. En Russie, dont la production scientifique fut considérable à cette époque, il n’était pas rare qu’un grand enseignant-chercheur universitaire ne publie qu’un article de valeur tous les quinze à vingt ans ! D’ailleurs, jusqu’au milieu des années 70, quiconque entreprenait une bibliographie sérieuse sur un sujet donné ne pouvait alors négliger les publications rédigées en allemand et en russe.

En l’espace d’une trentaine d’années, ce système fut totalement remplacé par un autre dont la logique était sous-tendue par la diffusion et l’adoption de l’idéologie étatsunienne en matière de recherche, telle que destinée aux pays de la périphérie de l’empire. Si la recherche industrielle et appliquée ne fut pas trop affectée par ce changement, la recherche fondamentale du secteur public en fut profondément modifiée. À l’université, la recherche a été réorientée pour devenir une activité essentiellement collective et le choix des sujets de recherche n’est plus libre. Les chercheurs sont corsetés à l’intérieur d’entités que l’on appelle « laboratoires » et qui doivent travailler sur un thème prédéfini agréé par les experts du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. La recherche de nature théorique n’est plus encouragée et la communication des « résultats » doit se faire tout de suite, et en anglais. Le volume de publications que ce système engendre est tel que les éléments de qualité deviennent rapidement invisibles, car ils sont totalement submergés par une médiocrité généralisée. Les publications ne sont plus lues et l’évaluation se fait désormais sur la base de leur nombre et de la prétendue réputation des congrès et des revues dans lesquels les communications sont faites. Ce système fait la promotion des plus conformistes. Quant aux chercheurs qui présentaient le meilleur potentiel, ils ont soit changé d’activité (les « matheux » sont allés vers les banques, par exemple), soit ils ont émigré à l’étranger sous des cieux plus cléments. Le développement des projets dits « européens », loin de constituer une ouverture et de rassembler une synergie de compétences, entraînent des contraintes supplémentaires de coordination et de communication et se focalisent sur des sujets qui, là encore, ne sont jamais choisis par des chercheurs individuels, mais par des commissions sur des thèmes déjà largement défrichés et à la mode du moment. Si cela peut favoriser la recherche appliquée, il n’en est rien pour la recherche fondamentale. Les laboratoires tels que celui du rayonnement synchrotron de Grenoble et le CERN de Genève, par exemple, et qui sont ce que l’on a fait de meilleur en matière de coopération scientifique européenne, ne servent réellement que les objectifs de la recherche appliquée. À ce jour, aucune coopération scientifique européenne n’a permis de faire une seule découverte fondamentale comparable à celles des scientifiques, mathématiciens et chercheurs du début du XXe siècle, obtenues avec des moyens incomparablement plus restreints que ceux que l’Europe d’aujourd’hui met à la disposition d’équipes universitaires plurinationales. Comme François Asselineau arrive si bien à le démontrer d’un point de vue politique dans sa conférence intitulée : « Qui gouverne la France ? », l’Europe, dans le domaine scientifique et celui de la recherche, forme bien « le système autobloquant » qui interdit à cette même Europe d’émerger en rivale scientifique sérieuse des pays qui font de la vraie science. On comprend ainsi pourquoi la construction européenne, sous cette forme comme sous toutes les autres, est puissamment encouragée par les États-Unis. De plus :

- la pollution de critères endogènes par des croyances implantées artificiellement telles que la prétendue nécessité de communication immédiate de résultats préliminaires ou fragmentaires, l’usage généralisé de l’anglais pour être « compris » par tous, l’usage de l’anglais pour être dans les index de citations (puisque les articles publiés dans d’autres langues ne sont pas référencés), a conduit aux résultats suivants :

o L’alignement des thèmes de recherche sur ceux des pays anglo-saxons pour se conformer aux critères qui maximiseront les chances d’être publié ;

o Le pillage des idées originales avant leur développement au détriment de leurs auteurs, phénomène dont j’ai cité plusieurs exemples dans mes livres (17). La marginalisation de la recherche non anglo-saxonne puisque celle-ci devient à la fois invisible et insignifiante ;

(17) Voir « La mise en place des monopoles du savoir » et « La nouvelle guerre contre l’intelligence »

o La réécriture de la Science par les Anglo-Saxons puisque les ouvrages de référence sont désormais en langue anglaise. Le révisionnisme scientifique n’a jamais été aussi important et les contributions des chercheurs non Anglo-Saxons n’ont jamais été aussi marginalisées. Le népotisme ethnique anglo-saxon s’étale au vu et au su de tous, mais il ne faut pas compter sur des colonisés mentaux pour remettre les choses au point ;

o La mainmise sur l’édition scientifique par les Anglo-Saxons puisque, in fine, eux seuls peuvent être les garants de la qualité de langue attendue dans une publication scientifique ;

o Le blocage de tout potentiel de spéciation de la pensée désormais impossible, sauf dans la recherche appliquée du domaine militaire puisque, par définition, les chercheurs sont totalement cloisonnés ;

o L’assèchement de la publication scientifique en français. Le frein au développement de terminologies nouvelles et l’appauvrissement automatique de la littérature de vulgarisation dont le rôle est informatif, mais qui détermine aussi les vocations futures. Le fait que les scientifiques français n’écrivent quasiment plus dans leur langue n’est pas propice à l’émergence de la relève puisqu’il faut désormais compter sur les seuls journalistes « scientifiques » pour captiver l’imagination des jeunes que les chercheurs devraient normalement attirer vers eux directement. De fait, nous assistons en France à un déclin accéléré du nombre de candidats aux sections scientifiques des universités et des écoles d’ingénieurs, déclin qui, très vite, va devenir critique à cause de notre compétitivité avec les pays d’Asie qui vivent, eux, une situation totalement opposée ;

o L’appauvrissement de l’expérimentation symbolique par la pensée soutenue par un langage insuffisamment riche et structuré, puisque le français utilisé est appauvri et que la langue étrangère est un anglais imparfaitement maîtrisé. Il s’agit là d’une notion assez difficile à comprendre dans la mesure où l’on croit que le langage est nécessaire uniquement pour la communication, alors qu’il est également indispensable pour la pensée exploratrice et déductive. À travers le langage, nous nous faisons une image d’un phénomène et la pensée discursive a besoin de posséder parfaitement au moins une langue pour élaborer un modèle mental avec lequel le chercheur joue au même titre qu’il peut conduire dans son laboratoire des expériences pour tester le comportement du système physique étudié. Dans un tel cadre, la langue permet aussi de faire des associations inusitées, par évolution des motifs sonores (18), qui peuvent quelquefois mener ainsi à des découvertes. Là encore, cela ne peut se produire que si les chercheurs peuvent exploiter toutes les ressources de leur langue, c’est-à-dire, celle avec laquelle ils pensent, ce qu’il est impossible de faire avec une langue appauvrie. La normalisation de toutes les langues européennes à la renaissance a eu ce but ainsi que de fixer des règles pour qu’un type quelconque de phrase puisse n'avoir qu’une seule et même acception. En effet, il est intolérable qu’un texte technique ou scientifique puisse avoir plus qu’une seule interprétation ;

o L’absurdité des choix faits par les commissions scientifiques internationales fonctionnant en anglais, qui ne font souvent que favoriser les locuteurs natifs, alors que leurs décisions sont souvent loin d’être les meilleures ;

o Avec l’anglais, les nations d’Europe continentale entérinent leur statut de suiveuses et ne pourront jamais se hisser au premier rang puisqu’elles donnent de la valeur aux classements (citations, classement de Shanghaï, etc.) dont elles n’ont nullement participé à l’élaboration ;

o Les privilèges insensés accordés aux Anglo-Américains et aux organisations qui les représentent. Le scandale des prix Nobel, qu’il s’agisse du Nobel de la paix, des prix Nobel d’économie ou même des prix scientifiques (19). La consanguinité intellectuelle encouragée implicitement par le système actuel et dans lequel les chercheurs ayant déjà reçu le prix renvoient l’ascenseur à ceux qui ont proposé leur nomination, etc. ;

 (18) Voir mon ouvrage « La nouvelle guerre contre l’intelligence », tome 3.

 (19) Voir à ce titre mon livre intitulé : « Une colonie ordinaire du XXIe siècle » dans lequel ce thème est complètement développé.

o Les pratiques discriminatoires dans le recrutement qui font que l’anglophone natif a souvent priorité sur le Français au sein de compagnies ou d’organisations prétendument « internationales » en dépit de qualifications inférieures.

- Les potentiels individuels sont réduits de diverses manières. Il est bien évident que l’affaiblissement des formations scolaires ne relève pas du hasard, mais d’une volonté délibérée. De la même manière, la publicité d’intellectuels moyens ou médiocres par les médias dégoute les jeunes de suivre des formations poussées.

- La France n’est actuellement pas consciente de l’infléchissement considérable de sa production intellectuelle, monopolisée par les agents de l’empire prescripteurs d’opinions, de sa production scientifique qui reste actuellement sagement dans le sillon de la science anglo-saxonne, de sa production culturelle qui n’a plus grand intérêt dans la mesure où elle suit d’autres modèles.

Quant au projet du "Basic English" à 850 mots, d’après Daniel Estulin, journaliste d’investigation, spécialiste du groupe du Bilderberg, (sur lequel il a rédigé un livre), il s’agirait d’un projet émanant de ce groupe. Il ne faut pas croire ici que l’idée est de mettre à la disposition du monde une sorte d’espéranto. Bien au contraire, le but est d’introduire une infériorité structurelle entre l’anglophone natif et le simple locuteur anglophone dans le cadre de la consolidation de l’empire. Le sujet doit recevoir le message. En retour, il est automatiquement désavantagé dans le sens inverse de la communication.

La conquête linguistique et culturelle avait été parfaitement identifiée par Milosevic dont le plus grave tort était de s’être opposé à l’empire. Voici la traduction de ce qu’il en disait :

« La diminution du sens critique anesthésie la société au point qu’elle ne peut plus se rendre compte de l’attaque identitaire dont elle est victime par le biais de la langue, ainsi que par d’autres moyens. En fait, le manque de réaction actuel est simplement caractéristique d’une société qui ne sait plus envisager son propre avenir, autrement que sur le très court terme. Il est impossible de dissocier le phénomène linguistique de ses contextes économique et politique. L’affaiblissement ou la perte des identités nationales qui en résulte est l’une des pires choses qui puissent arriver à un peuple. Quand cela se produit, très vite, les citoyens se séparent de leur histoire, de leur passé, tandis qu’ils glorifient celui d’autres pays. Ils abandonnent leurs traditions, leur manière de vivre. Ils oublient rapidement leur langue littéraire et minimisent l’importance de leurs propres réalisations, de leur littérature nationale quand ils ne l’ironisent pas comme « nostalgie du passé ». L’identité nationale se réduit ainsi rapidement à quelques plats locaux, quelques chansons et danses folkloriques et les noms de quelques héros nationaux sont alors utilisés comme marques de cosmétiques ou de produits alimentaires tandis que l’on décore les acteurs, les écrivains ou même les historiens de la puissance dominante. Il s’agit d’une forme moderne de colonisation qui efface la mémoire collective des peuples et, bien entendu, favorise la progression de la langue de la puissance occupante - par procuration le plus souvent - ainsi que la place occupée par ses « œuvres culturelles », qui occultent rapidement les productions locales. Parler la langue maternelle dans les occasions officielles devient un signe d’infériorité, de faiblesse et même de mesquinerie et d’ignorance ; alors qu’utiliser la langue dominante souligne l’opulence, la modernité du discours, la supériorité intellectuelle de celui qui prend la parole. Quant aux leviers de commande du pays, ils passent rapidement dans des mains étrangères par le biais de collaborateurs convaincus et zélés qui prêchent la tolérance, la coopération avec les autres peuples, « l’ouverture » au monde extérieur et qui vantent les mérites de la mondialisation. La possibilité de libre parole est restreinte ou, tout au moins, occultée par le terrorisme intellectuel, c’est-à-dire le « politiquement correct », et la censure par omission médiatique. La créativité s’amenuise…Ce qu’il en reste, généralement, ne s’applique plus qu’au secteur technique selon des lignes d’évolution imitées ou définies ailleurs. Cette fuite dans la médiocrité s’accompagne de grands discours creux sur le « progrès », défini d’après le modèle mis en place par la puissance néo colonisatrice et l’idéologie qu’elle diffuse, et qui font un usage immodéré des termes et des stéréotypies qui l’accompagnent. »

L’anglais est l’une des pires solutions pour la communication internationale

Il faut maintenant briser quelques mythes et invalider quelques croyances et, plus particulièrement, celle qui consiste à croire que la langue anglaise serait particulièrement adaptée à la communication internationale du fait de :

- Ses caractéristiques phonétiques :

o l’anglais écrit n’est absolument pas phonétique et cela à tel point que George Bernard Shaw a mené campagne pour réformer l’alphabet anglais. « Un système si illogique et inadapté » disait-il, que l’on pourrait aisément épeler le mot "fish", "ghoti". En effet, "f" est équivalent à "gh" dans "tough", "i" est équivalent à "o" dans "women" et « sh » est phonétiquement la même chose que « ti » dans "nation". Shaw fournit également d’autres exemples : "mnomnoupte" pourrait remplacer "minute" et "mnopspteiche" le mot "mistake" ;

o la dyslexie handicape très peu les Italiens, beaucoup plus les Français, et elle est un vrai fléau pour les Anglo-Saxons. La langue italienne est transparente et s'écrit comme elle s'entend. Son orthographe est phonétique. Le français est opaque : il est difficile de déduire de sa prononciation la graphie d'un mot. L'anglais est opaque dans les deux sens : il est difficile de déduire de sa graphie la prononciation d'un mot et la graphie de sa prononciation, et c'est cette double opacité qui fait de la dyslexie un handicap particulièrement lourd pour les anglophones. On peut donner comme exemple les mots "through", "rough", "bough", "four" et "tour" pour le graphème "ou". Pour représenter les 62 phonèmes de l'anglais, il n’existe pas moins de 1120 graphèmes, alors que les 36 phonèmes du français nécessitent quelques 190 graphèmes seulement. Quant à l'italien, il ne possède que 28 phonèmes pour 33 graphèmes, ce qui laisse bien peu de place aux fautes d'orthographe.

- L’absence de signes grammaticaux clairs sur le rôle des mots :

o en ce qui concerne la simplicité, il est exact que la structure formelle de l’anglais n’est pas aussi complexe que celle de l’allemand ou du latin, par exemple, mais cette constatation n’épuise pas le problème. Un débutant en anglais trouve cette langue facile parce qu’il n’a pas beaucoup de paradigmes à apprendre, mais il constate bientôt, à ses dépens, que cette impression de facilité est illusoire et, qu’en fait, l’absence même de signaux grammaticaux explicites est pour lui une source continuelle de difficultés. À titre d’exemple, une des particularités souvent invoquées pour mettre en évidence la « simplicité » de l’anglais est le fait qu’un même mot peut être utilisé à la fois comme nom et comme verbe. Ainsi est le mot "cut" qui est un nom dans "a cut of meat" (une tranche de viande) et un verbe dans "to cut the meat" (couper la viande). Même chose pour les mots "kick" ou "ride". Toutefois, un examen un peu plus approfondi nous révèle que cette facilité est un mirage. Tout d’abord, dans quel sens un verbe peut-il être utilisé comme un nom ? Dans le cas de "take a ride" ou "give a kick", le nom indique l’acte lui-même, mais dans le cas de "to have a cut on the head" (avoir une blessure à la tête), le nom n’indique plus l’acte lui-même mais le résultat de l’acte. Dans ce dernier cas, un couteau ou tout autre objet contondant a coupé la peau du sujet et le nom "cut" se rapporte à la blessure ainsi produite ; dans "a cut of meat", il désigne la portion de viande qui a été détachée par l’acte de découpage. Quiconque prend la peine d’examiner ces exemples avec soin s’apercevra que derrière une simplicité apparente se dissimule une foule de règles d’usage bizarre et arbitraires. Ces difficultés échappent bien évidemment aux anglophones, mais elles déconcertent un étranger dont la langue maternelle possède des structures totalement différentes. Malheureusement, la règle qui nous permet d’utiliser un verbe comme nom et un nom comme verbe ne s’applique pas dans tous les cas, tant s’en faut ! Par exemple, "to give a person a push or a shove" (bousculer quelqu’un) est permise mais il n’est pas permis de dire "to give a person a move" (déplacer quelqu’un) ou de dire "give a person a drop" (faire tomber quelqu’un). On peut dire "give someone help" (aider quelqu’un), mais on ne peut pas dire "give someone obey" (obéir à quelqu’un), la forme correcte étant "give someone obedience". On ne peut donc formuler de règle qui préciserait sous quelle condition on peut utiliser un verbe comme un nom et quelles significations seraient ainsi associées à un tel usage. Très souvent, il est impossible d’utiliser sous forme de nom un verbe donné. Tandis que le nom dérivé de "help" est "help", celui dérivé de "obey" est "obedience" ; celui dérivé de "grow" est "growth" ; celui dérivé de "drown" est "drowning". Il faut encore ajouter - ce qui complique encore la situation - qu’un mot comme "drowning" ne correspond pas seulement à des mots comme "help" et "growth", mais aussi à des mots comme "helping" (aide ou portion) et "growing" (croissance). Réussir à démêler ce tissu de relations afin d’être capable de manier la langue avec une certaine assurance n’est pas une chose facile »;

o difficultés associées à l’usage de certains verbes : le linguiste étatsunien Sapir expliquait qu’apprendre à se servir de verbes tels que "put" et "get" est extrêmement difficile. Par exemple, "to put at rest" exprime une relation de causalité et équivaut à peu près à une expression comme « faire en sorte que quelqu’un (ou quelque chose) se repose ou s’immobilise » alors que "to put it at a great distance" (le mettre au loin) ne présente pas d’analogie conceptuelle, mais seulement formelle. De même, "to put out of danger" (mettre hors de danger) présente une analogie formelle avec "to put out of school" (enlever de l’école), mais cette analogie est fallacieuse à moins qu’on ne définisse l’école comme une forme de danger. On ne peut même pas définir "put" comme une sorte d’opérateur à valeur causative, car il ne remplit pas cette fonction dans toutes les constructions où il figure. Dans "the ship put to sea" (le navire prit le large), aucune relation de causalité ne se trouve impliquée. Pourquoi dit-on "East Africa", mais "Eastern Europe" ? Pourquoi peut-on dire "I ski" ou "I bicycle", mais pas "I car" ?

o même parfaitement formées, certaines constructions demeurent ambiguës. L'usage de noms comme adjectifs (sans prépositions) cause des problèmes énormes de relations entre les mots. Dans "World Trade Center", "world" s'applique-t-il à "trade" ou à "center" ? Quelle relation existe-t-il entre ces mots ? Rien d'autre que le « bon sens » n'indique. Or présumer du « bon sens » est intolérable dans un texte technique, un traité ou un texte de loi, puisqu'il laisse place aux interprétations les plus diverses. Puisque cette langue est incapable de fournir des règles claires relativement à l’emploi des verbes comme nom ou à la façon d’utiliser des verbes apparemment aussi simples que "put", on ne voit pas comment celui qui apprend l’anglais peut tirer avantage de cette caractéristique toute négative. Sapir écrit « qu’il lui semblera payer bien cher en hésitations et en incertitudes une simplicité de surface et, en fin de compte, l’anglais lui paraîtra plus difficile qu’une langue qui demande l’application de règles nombreuses, mais dépourvues d’ambiguïté. Pour en être parfaitement convaincu, prenons encore l’exemple de la phrase simple : "Time flies like an arrow" pour laquelle existent pas moins de 5 interprétations différentes. En effet, cette phrase parfaitement formée en ce qui concerne la grammaire et la syntaxe peut s’interpréter comme suit :

"Time passes as quickly as an arrow flies", soit « Le temps passe comme une flèche », c’est-à-dire « Le temps passe très vite » ;

"You should time the flies as quickly as an arrow times the flies", soit « Vous devriez minuter les mouches aussi rapidement qu’une flèche le fait » ;

"You should time the flies like an arrow", soit « Vous devriez minuter les mouches comme une flèche » ;

"You should time the flies which are similar to an arrow", soit « Vous devriez minuter les mouches qui sont similaires à une flèche » ;

"There exists a species of flies called "time flies" which are fond of an arrow", soit « Il existe une espèce de mouches que l’on appelle "time flies" qui aiment une flèche ».

o d’autre part, l’anglais, sur le plan lexical, élargit le champ sémantique, alors qu’un texte scientifique ou technique tend naturellement à le réduire. Par exemple, le mot "design", qui est très à la mode en France pour les imbéciles, a un champ sémantique beaucoup plus large - et par conséquent beaucoup plus imprécis - que ses homologues français qui sont, suivant les cas : « dessein », « intention », « projet », « visée », « esthétique », « conception », « élaboration », « création », « construction », « étude », « plan », « projection », « préparation », etc... Même chose pour le mot "kit", qui correspond suivant les cas à « un jeu » (de pièces), « une trousse » (de secours), un « nécessaire à... » ou un « ensemble de... ». On ne se rend pas compte que le mot "manager", qui fait partie du vocabulaire indispensable des ignares professant dans les écoles de commerce, signifie, suivant le contexte, « gérant », « directeur », « surveillant » ou même « propriétaire », et que le verbe "to manage", à un champ sémantique encore plus vaste qui, là encore suivant le contexte, peut signifier non seulement « gérer » et « diriger », mais encore « faire », « se débrouiller » ou « savoir s’y prendre »… La prolifération de ce type de termes dans les écrits techniques affranchit le rédacteur d’une obligation de précision, ce qui présente un net inconvénient dans la communication scientifique et technique.

- Néologie maladroite L’anglais n’a aucune vertu particulière pour la néologie… Considérons à ce titre quelques exemples :

o "middleware" est incompréhensible, même par des informaticiens, sauf ceux qui sont spécialisés dans les systèmes d’exploitation ;

o la désignation "data mining" souffre du même problème. En effet, que veut dire "mining", alors que l’équivalent « fouille de données » est beaucoup plus évocateur ?

o "scuba diving" qui désigne en anglais la plongée sous-marine (en bombonnes) est en fait un acronyme puisque "scuba" signifie "self-contained underwater breathing apparatus". Or, nul n’a besoin d’anglais pour faire des acronymes. Il s’agit probablement de l’approche la plus maladroite et la plus lourde pour construire des néologismes.

- Ambiguïtés impropres à la communication aérienne, comme nous l’avons déjà vu.

L’usage de l’anglais n’améliore en rien le rayonnement de la science française

Laurent Lafforgue brise le mythe que l’usage de l’anglais améliore le rayonnement de la science française. Plus près de la créativité scientifique, ce mathématicien français qui reçut la médaille Fields en 2002, explique que les scientifiques pensent que les mathématiques françaises continuent à être publiées en français à cause de l’exceptionnelle vigueur et de la qualité de l’école française de mathématiques. Il pense que la relation de cause à effet est en fait exactement inverse (20). Pour lui, c’est parce que l’école française de mathématiques continue à publier en français qu’elle conserve son originalité et sa force.

(20) « Pour la Science », mars 2005. Curieusement, cet article a été publié dans la version française du « Scientific American ».

De toutes façons, comment favoriser la créativité véritable quand les chercheurs sont invités à utiliser :

- des modes de représentation anglo-saxons ;

- des points de référence anglo-saxons ;

- des schèmes de pensée calqués sur ceux des écoles anglo-saxonnes ?

Il faut également briser le mythe de l’interdépendance dans le domaine scientifique et des besoins en communications immédiats. Il faut briser le mythe des contraintes que l’on a imposé au monde de la recherche actuelle. En recherche fondamentale, celle qui mène à la découverte des principes physiques universels, l’importance des découvertes n’a jamais été liée à la taille des équipes de recherche, ni aux budgets, ni à la communication instantanée entre des scientifiques de divers pays, ni à la taille de ces pays ou à leur importance géopolitique. L’Athènes de Périclès, avec ses 40 000 citoyens, a contribué davantage au progrès scientifique que d’immenses pays. Aux 16e, 17e et 18e siècles, une poignée de Toscans, de Français, d’Allemands et d’Anglais ont fait des découvertes d’une portée considérable. Au 19e et au début du 20e siècle, les connaissances scientifiques ont progressé avec des budgets ridiculement bas et des communications souvent difficiles.

Il faut briser le mythe de l’autarcie comme une voie de régression en recherche. En 1933, l’Allemagne nazi se retira du reste du monde. Les scientifiques allemands ne se rendirent plus aux congrès scientifiques internationaux et la liberté de déplacement à l’étranger fut restreinte sévèrement pour tous les citoyens allemands. Pourtant, au cours des petites douze années qui suivirent, les progrès scientifiques et techniques de l’Allemagne furent fantastiques. Le programme des V2 sous la direction de Werner Von Braun est bien connu, mais les Allemands inventèrent aussi le radioguidage, des dispositifs de détection infrarouge, ainsi que d’autres basés sur le radar, la chimie des anneaux à 8 atomes de carbone, etc.

Le même phénomène survint dans la France occupée entre 1940 et 1944 en dépit du fait qu’il ne fut bien évidemment pas suivi d’applications militaires. Les revues scientifiques allemandes, si importantes en physique et en chimie à l’époque, n’arrivaient plus qu’au compte-gouttes. Les revues de langue anglaise avaient disparu. La communication interne entre scientifiques et chercheurs français, dans un pays coupé en deux, était devenue difficile. Pourtant, durant cette période, Jacques Monod soutient une thèse qui sera couronnée du Nobel en 1965. Celle de Laurent Schwartz, qui parut à la même époque, allait, sept ans plus tard, valoir la médaille Fields à son auteur. Le biologiste Bernard Halpern synthétisa le premier antihistaminique, l’Antergan. Louis Néel, qui obtint le prix Nobel en 1970, avec son groupe de recherche, obtint 40 brevets essentiels et publia plusieurs articles incontournables en physique fondamentale. Antoine Lacassagne, de l’Institut du radium, publia 31 articles décrivant des thérapies anti-cancéreuses, tandis que, durant la même période, ses collègues en produisirent une centaine tout aussi essentiels. Terriblement handicapée dans ses moyens, incapable de communiquer avec quiconque, la recherche scientifique française de cette période sombre de l’histoire nationale n’en obtint pas moins de brillants résultats. Aujourd’hui, cette recherche suit les tendances et, en dépit de budgets adéquats (21), elle a fait fuir les esprits les plus brillants. Les jeunes chercheurs sont tenus de travailler dans une unité de recherche travaillant sur un sujet « accrédité ». Ceux qui veulent créer leur propre programme de recherche sont considérés comme des électrons libres et encourent des difficultés professionnelles. S’ils ne sont pas protégés par la titularisation, ils courent même le risque de perdre leur poste pour « incompétence professionnelle ».

(21) Les budgets de recherche sont toujours considérés insuffisants, plus particulièrement par ceux qui ne produisent rien.

(22) Pour ceux qui en douteraient, ils peuvent consulter « Les cahiers de Science & Vie », n°118, août-septembre 2010, page 29. Cet article prouve que les langues, c’est-à-dire les solutions que les peuples ont apporté au problème universel de communication, sont d’une structure et d’un contenu qui sont intimement et indissolublement liés aux groupes ethniques qui leur ont donné naissance.

Langue et créativité

Il faut aussi briser le mythe que la langue n’a aucune influence sur le développement des connaissances et de la recherche. C’est Wilhelm von Humbolt et, plus tard, Benjamin Lee Whorf, qui ont posé les jalons dans ce domaine. L’idée est simple. Syntaxes et grammaires sont différentes d’une langue à l’autre, ainsi que les champs sémantiques des mots, ce qui permet de dire que la réalité, qui est la même pour tous, se transforme en perception qui est bien entendu modulée par la langue qui en fait la description. La langue agissant comme un référentiel spécifique permet aux locuteurs de langues différentes d’appréhender la réalité de manière variable. Il n’est donc pas étonnant que chaque peuple ait une créativité spécifique qui varie selon la langue qu’il parle. La variété des langues favorise la spéciation intellectuelle et, par conséquent, est l’une des origines d’une créativité spécifique. D’ailleurs, on peut arriver à la même conclusion de manière très simple en constatant que si les problèmes de communication ont été résolus par tous les membres de l’espèce humaine, ils l’ont été de manière totalement différente d’un groupe ethnique à l’autre et il est prouvé aujourd’hui qu’il existe une forte corrélation entre gènes et familles linguistiques (22). Le fait qu’un problème universel soit ainsi appréhendé de manière différente selon le groupe ethnique prouve bien qu’il existe une différentiation au niveau de la créativité qui doit absolument être conservée puisqu’elle a le potentiel de bénéficier à tous. De plus, le peuple a créé la langue mais, par une boucle rétroactive, la langue façonne également le peuple et l’oriente à appréhender la réalité de manière variable, d’où une créativité scientifique et technique variable et, surtout, diverse. Antoine Danchin, qui a créé le centre de recherche Pasteur à Hong-Kong, l’a remarqué immédiatement lorsqu’il a été confronté aux locuteurs chinois. Il a noté que la communication est fortement tributaire des langues qui sont utilisées et que, de plus, selon notre origine, la façon de poser des questions est considérablement différente. En français, on va du général au particulier, alors qu’en anglais, c’est l’inverse, et notre manière d’appréhender le monde est bien sûr différente. Tout cela est presque une évidence si l’on se donne le temps d’y penser.

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Bibliographie

 

   

 

« Quelle francophonie pour le XXIe siècle ? ». Collectif d’auteurs, Karthala, 1997, ISBN 2-86537-742-3.

 « La langue française : atout ou obstacle ? », Presses universitaires du Mirail, 1997, ISBN 2-85816-457-6. 447 pages.

 « Le français comme langue scientifique et technique ? ». Collectif d’auteurs. Académie de Marseille, n° international de publication : 2-7449-0037-0.

 « La nouvelle guerre contre l’intelligence », tome I : « Les mythologies artificielles », Éditions François-Xavier de Guibert, décembre 2001. ISBN : 2-86839-734-4. 320 pages.

 « La nouvelle guerre contre l’intelligence », tome II : « La manipulation mentale par la destruction des langues », Éditions François-Xavier de Guibert, juin 2002. ISBN : 2-86839-771-9. 329 pages.

 « La nouvelle guerre contre l’intelligence », tome III : « Un nouveau programme pour la conscience », Éditions François-Xavier de Guibert, janvier 2003. ISBN : 2-86839-800-60. 204 pages.

 « La mise en place des monopoles du savoir », l’Harmattan. 2002, ISBN : 2-7475-1771-3. 120 pages.

« Une colonie ordinaire du XXIe siècle », E.M.E. & Intercommunications, Bruxelles. 2010, ISBN : 978-2-87525-048-03. 274 pages.

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Conférence de monsieur Charles Durand, décembre 2011

(Note: les illustrations ont été mises par l'Afrav)

 

 


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