L'urgence est plus grande encore que nous ne le pensions. Un ami me
communique un article de "L'Express" daté du 31 juillet 2003,
et signé Alice Tillier, selon lequel les multinationales reprennent
leur "lobbying" forcené, relayé, en France, par les services
du Secrétariat d'État à l'Industrie (!), pour faire passer en force
le "brevet communautaire" qui établirait le "tout
anglais" en Europe.
Les arguments fournis ne tiennent pas. Les langues nationales ne sont évidemment
pas une "Babel" superflue. Le coût des traductions (supporté
par les déposants qui, après tout, y trouvent leur compte) est très,
très inférieur à ce qui est avancé, et en tous cas très inférieur
à celui des redevances annuelles nécessaires pour maintenir la valeur
du brevet.
En outre, il est faux de dire que la perspective des traductions fait
reculer les petits inventeurs. D'abord parce qu'ils sont aidés (par des
organismes comme l'ANVAR en France), et ensuite parce que la traduction
n'est nécessaire qu'au bout du "délai de priorité", au bout
duquel on voit bien si l'invention a ou non un intérêt économique.
Il faut ajouter que, "grâce" aux efforts de l'Office Européen
des Brevets, les critères de brevétabilité ont été fortement revus
à la baisse, ce qui n'est pas innocent. Il s'agit bien de mettre
l'Europe et le monde en
coupe réglée, corsetés par des textes qui, il faut le comprendre, ont
force de loi, s'opposent aux tiers, et sont des monopoles octroyés par
des États, seules entités ayant une légitimité démocratique (alors
que la "gouvernance" des multinationales cache mal
d'invraisemblables tyrannies...)
Le budget traduction n'est important (et encore) que pour les
multinationales qui font du brevet un élément de stratégie invasive,
et qui, par l'imposition du "tout anglais", veulent introduire
un flou dans lequel elles seront seules à pouvoir naviguer (elles
seules pouvant se payer les armadas d'avocats nécessaires)...
Un exemple d'imprécision de l'anglais (construction par simple
juxtaposition - moyen "tactique" seul employé) :
- "amine oxidation inhibitor" = inhibiteur d'oxydation (qui
est une) amine ;
- "acid binding agent" = agent fixateur d'acide (qui est une
base).
Il s'agit en réalité d'une manoeuvre pour établir un monopole des
grandes multinationales et pour écraser les PME sur leur propre marché.
Les multinationales déposent un grand nombre de brevets
"bidon" ou "duplicata", d'une part pour noyer le
poisson et pour cacher l'information importante sous une avalanche de
données, et d'autre part pour racketter les petits entrepreneurs. Ceci
fait apparaître artificiellement un fort déficit de la balance des
brevets et la "fine équipe" du Secrétariat d'État français
à l'Industrie en déduit (naïvement ?) que la cause de ce déficit est
l'abominable coût des traductions !!! Médias et gouvernements,
aveugles ou stipendiés, croient sans réserve à ce conte de fées !!!
Et, naturellement, derrière la langue, il y a le droit. Le projet de
"brevet communautaire" actuellement mis en avant est pire
encore que le Protocole de Londres sur le brevet européen (qui n'a pas,
heureusement, été ratifié par la France !) : il organise une
capitulation non seulement linguistique, mais juridictionnelle, entre
les mains d'une Cour unique, sise à Luxembourg, qui statuerait dans une
"langue facilement compréhensible" (laquelle, à votre avis
?)
En France, la "fine équipe" de l'Industrie poursuit son
travail de sape, en-dehors de tout débat démocratique, les questions
linguistiques étant considérées, par cette clique de technocrates
irresponsables, comme secondaires, "archaïques", etc. L'idée
d'une solidarité avec les autres langues latines, par exemple, ne les
effleure même pas.
Selon l'article de "L'Express" cité : "Le projet de
brevet unique, approuvé par les chefs d'État en mars, est actuellement
discuté dans des groupes techniques à Bruxelles. Puis il repassera
devant le Conseil des ministres, où il devra être adopté à
l'unanimité. Là réside le dernier espoir de Dupont-Aignan [député
français qui nous soutient, fondateur de "Debout la République"].
S'il réussit à faire valoir ses arguments auprès de Jean-Pierre
Raffarin, qui l'a gentiment rabroué à l'Assemblée nationale, il y a
quelques semaines, le traitant d' "archaïque"...
Il s'agirait évidemment, sous couvert de "réforme", d'un
abandon de la langue française, inouï depuis l'ordonnance de
Villers-Cotterêts de 1539.
CE SERAIT, LÀ, CRÉER UN PRÉCÉDENT EXTRÊMEMENT
DANGEREUX POUR
LA SURVIE DE TOUTE AUTRE LANGUE QUE L'ANGLAIS.
Et la France est le pays clé dans cette affaire cruciale. Les autres
pays latins ont du mal à comprendre cet abandon soudain (je me souviens
d'un négociateur espagnol, M. Duran, qui n'en revenait pas !). Peut-être
certains Allemands pensent-ils tirer leur épingle du jeu grâce à la
présence à Munich de l'Office Européen des Brevets. C'est là un fort
mauvais calcul.
Ci-joint quelques documents exposant notre argumentaire dans différentes
langues.
Il s'agit, au fond, d'instaurer une "Europe" qui ne serait
qu'un débouché docile pour la production des multinationales. De faire
passer l'administration des choses avant le gouvernement des hommes. Ce
qui est un bonne définition de la barbarie.
Nous devons les arrêter MAINTENANT.
Denis Griesmar