Sujet : Les mauvaises langues de Bruxelles
Date : 25/09/2004
De :   Henri Masson (espero.hm@club-internet.fr)

 

Source : Courrier international - n° 723 - 9 sept. 2004 Europe

 

UNION EUROPÉENNE - Les mauvaises langues de Bruxelles En dépit de leurs promesses, les institutions communautaires ne maîtrisent pas encore les langues des nouveaux pays membres, car elles n'ont pas réussi à recruter des traducteurs et interprètes qualifiés en nombre suffisant.

Jaromir Kohlicek, l'un des députés tchèques au Parlement européen, n'aime pas faire de vacheries. Il y en a quand même une qui le démange. Il songe à s'adresser à la Commission des transports et du tourisme, dont il est membre, en... tchèque ! Il ne sera compris que par ses compatriotes. Les autres n'entendront que le silence dans leurs casques ; il n'y aura personne pour traduire ses propos. Avant l'élargissement, Bruxelles avait promis que les langues des nouveaux pays deviendraient, dès le 1er mai, langues officielles des institutions européennes. Force est de constater que cette décision est restée lettre morte. La plupart des réunions doivent toujours se passer d'interprètes tchèques, lituaniens ou slovènes, et la majorité des documents de travail ne sont disponibles que dans les langues des anciens membres. "Les documents que l'on nous remet avant la réunion de la Commission ne contiennent le plus souvent qu'une seule page en tchèque : l'ordre du jour", explique Kohlicek. Les sujets à traiter, quant à eux, sont développés en anglais ou en allemand.

On n'élit pas un député sur ses compétences linguistiques


Les interprètes sont indispensables au Parlement européen. "Personne ne peut demander aux députés de maîtriser des langues étrangères ; ils n'ont pas été élus pour leurs compétences linguistiques !" précise Patrick Twidle, responsable du recrutement des interprètes à Strasbourg. Quatre cents interprètes des nouveaux pays devaient rejoindre le Parlement. À l'heure actuelle, moins de la moitié des postes sont pourvus. La Commission et le Conseil européens ne s'en sortent pas mieux. Les besoins en traducteurs de ces deux institutions s'élèvent - rien que pour le tchèque - à 135 personnes, mais celles-ci sont difficiles à trouver. Si les candidats ont été 410 à se présenter au concours, seuls 80 ont réussi à franchir le barrage de l'écrit et à se présenter aux oraux. Le taux de réussite a été encore plus faible chez les interprètes : des 1 147 candidats, 45 seulement ont été admis à l'oral. Quant aux autres langues de l'Europe centrale et orientale, les résultats ont été sensiblement similaires, et Bruxelles prend de plus en plus de retard dans la traduction des directives. Bien que près d'un million et demi de pages aient pu être traduites rien que pour la Commission, on est loin du compte. "Actuellement, nous avons un retard de 60 000 pages", reconnaît Erik Mamer, porte-parole de la Commission européenne. "Si rien n'est fait, le retard atteindra 300 000 pages dans trois ans, et cela risquera de devenir ingérable. "La pénurie de traducteurs est aussi à l'origine du retard de l'administration tchèque et de celle des nouveaux pays d'Europe dans l'adoption des nouvelles directives. "Lorsque l'UE prépare une nouvelle législation, nous recevons le plus souvent tous les documents en anglais", explique Dusan Uher, directeur de la Commission gouvernementale pour l'harmonisation de la législation. "Nous devons les faire traduire par les traducteurs assermentés nationaux, et cela prend du temps. "Si la plupart des novices européens sont plutôt indulgents envers l'administration de Bruxelles, l'Europe elle-même considère la situation comme grave. C'est pour cela que, au mois de mai dernier, Romano Prodi, président sortant de la Commission, a sommé les députés d'être brefs dans leurs communications écrites. Leurs rapports ne devraient pas dépasser quinze pages, alors qu'aujourd'hui ils en comportent en moyenne cinquante. Espérons que les bonnes intentions du président ont déjà pu être traduites.

 

Simona Holecová et Zuzana Kleknerová