MAROC

La langue de Molière en difficulté

La langue française serait-elle en recul au Maroc ? s'interroge La Gazette du Maroc, qui a réalisé une enquête auprès des écoles et universités du royaume chérifien pour tenter de répondre à cette question.

« Personne ne peut nier le fait que l'ancienne génération maîtrisait mieux la langue française que la nouvelle », constate La Gazette du Maroc http://www.lagazettedumaroc.com/articles.php?r=7&n=354, qui ne cache pas son étonnement car „le français est plus qu'une deuxième langue au Maroc puisqu'il représente avant tout la langue des affaires. En effet, la France est le premier client et fournisseur du royaume. Pourtant, du primaire à la terminale, la plupart des élèves parlent un très mauvais français.

L'apprentissage de la langue française commence à partir de la troisième année du primaire, mais le volume horaire (huit heures par semaine) réservé actuellement à cet enseignement ne permet pas aux élèves d'acquérir une bonne maîtrise de la langue. Qui plus est, déplore l'hebdomadaire, les heures programmées ne sont malheureusement pas accordées uniquement à la langue française, d'autres matières sont enseignées pendant ce temps, comme les mathématiques qui sont enseignées en arabe. « À noter que la langue française est professée elle-même en arabe durant les trois premières années et rares sont les instituteurs qui parlent français pendant l'horaire programmé pour la deuxième langue », précise La Gazette avant de rappeler que « l'arabisation du programme scolaire a été parmi les objectifs de la réforme apportée à l'enseignement durant les années 70 ».

Les nouvelles réformes introduites par la Charte nationale de l'éducation à l'enseignement primaire, et qui prévoient dès la deuxième année du primaire une initiation de 90 minutes à la langue française, ont été appliquées dans 40 % seulement des écoles publiques, signale l'hebdomadaire. Toujours est-il que l'enfant, à sa sortie du primaire, est incapable de communiquer en français. Selon les instituteurs, « la plupart des élèves ne pratiquent jamais, le seul espace où ils ont la chance de parler français est la classe. Ainsi, l'enfant se contente de ce qu'il apprend à l'école, ce qui est loin d'être suffisant si ce n'est pas renforcé par d'autres activités comme la lecture et surtout la pratique. La majorité des parents sont des arabisants et n'assurent pas un suivi pour vérifier si l'enfant a bien assimilé ses cours et fait ses devoirs. Souvent, l'enfant est démotivé.

Et, au fil des années, du collège au lycée, les choses ne s'améliorent pas. Au collège, on assiste même à une baisse des heures dédiées à l'enseignement du français. « Selon le ministère de l'Éducation nationale, cette baisse est provisoire et serait due au manque de professeurs », poursuit La Gazette, avant de préciser qu'au lycée les heures consacrées à la langue de Molière varient selon la branche choisie. Même constat de recul à l'université où les départements de la langue française sont ceux qui connaissent le plus faible effectif d'étudiants.

En outre, relève l'hebdomadaire qui cite une étudiante en troisième année d'économie, ne pas être francophone devient un handicap quand on arrive dans les études supérieures, et ce, quelle que soit la discipline choisie : « En première année, j'ai eu d'énormes difficultés à suivre le cours parce qu'à ma surprise toutes les matières économiques étaient enseignées en français contrairement au primaire, collège et lycée où nous avons tout appris en arabe, y compris les matières scientifiques, et je crois que je n'étais pas la seule à avoir ce problème. Excédée, la jeune étudiante ajoute : « Je veux juste comprendre pourquoi on a arabisé tout le programme de l'enseignement primaire et secondaire et qu'on s'est arrêté à la dernière année de baccalauréat. Est-ce que cela ne serait pas une pure contradiction ? Pour Larbi Kabiri, professeur d'économie à la faculté d'économie de Casablanca, ce n'est pas une question de système d'éducation. Il s'agit d'un problème plus grave. Nos jeunes Marocains ne lisent plus. L'année dernière, je me suis juré d'offrir, gratuitement, un abonnement annuel à un journal à celui que je trouverai en train de lire un journal dans la cour de la fac, et je vous assure que personne ne portait un journal, même en arabe. Un constat confirmé par Mohamed Zakaria, gérant de la librairie Livre et service, à Rabat, qui affirme : « La vente d'ouvrages littéraires représente un faible pourcentage dans le chiffre d'affaires et la vente de romans classiques connaît actuellement une chute vertigineuse. Les jeunes, qui ont un faible pouvoir d'achat, ne représentent d'ailleurs que 15 % des clients.

Mais le témoignage le plus parlant, et qui dévoile la complexité de la question, reste celui de Gérard Mariau, proviseur du lycée Descartes <http://www.lycee-descartes.ac.ma/>, le plus ancien des lycées des missions culturelles au Maroc. « À l'évidence, le programme des missions françaises est plus performant que celui des écoles publiques », relève La Gazette, en soulignant que depuis l'ouverture, en 1963, du lycée Descartes qui accueille les enfants dès la sixième, plusieurs milliers d'élèves ont pu décrocher un baccalauréat français. En effet, dans ce lycée, les programmes d'enseignement sont conformes à la préparation des diplômes et concours français. Ils sont conçus sur la base d'un travail de coopération entre la France et le Maroc. Ainsi, l'arabe est enseigné au lycée Descartes, le biculturalisme et l'international étant un volet important du projet de l'établissement, mais pas au même niveau que le français qui est le vecteur permanent de l'enseignement aussi bien pour l'apprentissage que pour l'accès aux connaissances ; le français est aussi l'instrument qui permet de s'ouvrir sur les aspects culturels au lycée, explique Gérard Mariau. Résultat : les élèves du lycée Descartes maîtrisent le français mieux que l'arabe, leur langue maternelle.

HS

© Courrier international

 

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L’agonie de la langue française au Maroc

YOUSRA AMRANI
09 février 2004

Qu’en est-il de l’utilisation de la langue française au Maroc ? Serait-elle en perte de vitesse même parmi les jeunes Marocains qui suivent leurs études secondaires et supérieures?
Comment les étudiants arrivent à suivre les cours prodigués en français, alors qu’ils ne maîtrisent pas suffisamment la langue ? Autant de questions auxquelles nous allons essayer d’apporter des réponses…

Les établissements de la mission française demeurent le vivier de la langue de Molière.

Gérard Mariau, proviseur du lycée Descartes (DR)

La langue française serait-elle en recul au Maroc ? En tous cas, personne ne peut nier le fait que l’ancienne génération maîtrisait mieux la langue française que la nouvelle. Pourtant, le français est devenu plus qu’une deuxième langue au Maroc puisqu’il représente avant tout la langue des affaires, dans la mesure où la France demeure le premier client et fournisseur du Royaume. Cela suppose donc que nos diplômés marocains maîtrisent la langue de Voltaire pour pouvoir répondre aux exigences du marché.

Or, la plupart de nos étudiants et élèves sont loin d’être capables de parler cette langue, alors que dire de la maîtriser ! La majorité des 40 élèves de 6e année primaire (appartenant à différentes écoles) que nous avons interrogés pour les besoins de cette enquête, ne savaient pas ce que voulait dire « maîtresse » en arabe ! Et lorsque nous leur avons expliqué que cela voulait dire « enseignante », un élève s’exclama « mais moi je croyais que “Oustada” était “madame” en françaisa! » Nous leur avons donc posé la question différemment en leur demandant ce qu’ils savent dire en français et à notre déception, les enfants ne savaient pas formuler une seule phrase correcte en français ! Les plus brillants répétaient des phrases toutes faites comme « Ali mange une banane » ou bien « maman prépare le repas ».
Les autres ne se « rappelaient » que quelques mots comme carotte ou banane !

Ce qui est plus grave, c’est que nous nous sommes trouvés dans la même situation mais cette fois en abordant des élèves de la classe terminale, c’est-à-dire de la dernière année préparant au baccalauréat. La plupart parlait un très «amauvais » français. Mais paradoxalement quelques rares étudiants maîtrisaient très bien la langue et étaient capables de s’exprimer aisément en français. Ibrahim étudiant en 3e année secondaire et brillant élève en français a évoqué plusieurs raisons : « pour moi c’est différent, tout le monde parle français à la maison. En plus, mes parents avaient étudié en France. Et je suivais des cours du soir à l’Institut français, donc j’étais amené à parler tout le temps français. Cela a amélioré mon niveau, c’est sûr…»

Volume horaire insuffisant

Mais si Ibrahim a eu cette chance d’être né dans une famille qui parle la langue de Voltaire avec les moyens d’intégrer un établissement scolaire français, cela n’a pas été malheureusement le cas pour la plupart de nos étudiants. Le volume des horaires réservé à la langue française actuellement ne peut leur permettre une bonne maîtrise de la langue. La tranche horaire programmée normalement pour le cycle du primaire est de 1024 heures, soit 280 heures par niveau, soit huit heures par semaine à partir de la troisième année du primaire. Année qui marque le début de l’apprentissage de la deuxième langue.

Les nouvelles réformes apportées cette année par la Charte nationale de l’éducation à l’enseignement primaire et qui prévoyaient une initiation de 90 minutes à la langue pour les élèves de la deuxième année ont été appliquées dans 40% seulement des écoles publiques.

Ainsi, en attendant l’entrée en vigueur des modifications apportées, les élèves continuent à suivre l’ancien programme. Seulement, les huit heures programmées dans l’ancien système ne sont malheureusement pas accordées uniquement à la langue française, d’autres matières sont enseignées pendant ce temps comme les mathématiques qui sont enseignées en arabe. À noter que la langue française est professée elle-même en arabe durant les trois premières années et rares sont les instituteurs qui parlent français pendant l’horaire programmé pour la deuxième langue. Certains de ceux que nous avons abordés ont expliqué cela par le faible niveau des élèves.

En effet l’apprentissage de la langue française ne commence qu’en troisième année primaire. C’est l’année où l’élève apprend à prononcer les premières lettres d’une nouvelle langue et essaie d’acquérir les notions de base. Selon les instituteurs, l’élève serait incapable de communiquer en français durant les trois années qui suivent, puisqu’il serait encore en train d’apprendre les principes de la langue. « La plupart des élèves ne pratiquent jamais la langue, le seul espace où ils ont la chance de parler français est la classe. L’entourage joue un rôle très important. La majorité des parents sont des « arabisants ». Par conséquent, l’élève ne trouve pas un cadre adéquat pour pratiquer la langue. Ainsi l’enfant se contente de ce qu’il apprend à l’école, ce qui malheureusement est loin d’être suffisant s’il n’est pas appuyé par d’autres activités comme la lecture et surtout la pratique de la langue. Car en réalité, la langue française est très difficile. Ainsi cette difficulté démotive l’enfant et le conduit des fois à tout lâcher. Et c’est là qu’intervient justement le rôle des parents pour garantir un suivi et s’assurer que l’enfant arrive à assimiler convenablement les cours. Or, rares sont les élèves qui bénéficient de l’attention des parents. La plupart de mes élèves passent tout leur temps devant la télévision. Par conséquent, ils ne font pas leurs devoirs. « Alors comment voulez-vous que je leur demande de lire des livres de plus ! », s’exclame Leïla, une jeune institutrice âgée de 23 ans…

Et au collège ?

Au collège la situation est moins satisfaisante. Le programme de la première année de collège prévoit 6 heures de français par semaine c’est-à-dire une réduction de deux heures de français par rapport à ce qui a été programmé pour les années du primaire. L’éventail horaire programmé pour les trois années de collège est de 576 heures soit 198 heures par an. Cela dit, le volume horaire reste le même pour les trois niveaux du secondaire !

Au lycée les choses sont loin de s’arranger, le programme qui était appliqué jusqu’à l’année dernière prévoyait une baisse du volume des horaires selon la branche choisie. Ainsi les élèves de la branche littéraire avaient droit à 5 heures de français pendant les trois ans du lycée soit 480 heures au total. Alors que ceux des branches scientifiques ne bénéficiaient que de quatre heures de français par semaine en première année du lycée puis de trois heures par semaine durant les deux dernières années du terminal ce qui fait au total 320 heures pour trois ans. Pourtant certaines classes bénéficiaient de 7 heures de français par semaine, il s’agissait des classes « option langue » qui ont été créées en 1998 et qui représentaient une première expérience qui visait à donner une formation spécialisée en langue à un nombre restreint d’élèves (une classe par ville) en vue d’une généralisation ultérieure de l’expérience en cas de réussite. En effet, l’expérience a réussi dans la mesure où elle a permis aux élèves de ces classes pilotes une meilleure maîtrise de la langue. Les lauréats de la première promotion de 2000 actuellement dans différents instituts et écoles avouent être chanceux d’avoir bénéficié de cette formation.
« J’étais élève en sciences expérimentales, mais j’ai eu le privilège d’étudier la littérature française et de lire plusieurs romans classiques comme “le Rouge et le noir” de Stendhal et “Candide” de Voltaire. Nous avons eu plus d’heures de français et cela nous a permis de maîtriser dans une certaine limite la langue de Voltaire », explique Samia, étudiante en 4e année d’architecture. La même remarque a été faite par Sarah une ancienne lauréate des classes d’option française. « J’ai eu la chance de faire partie des élèves de cette classe pilote dans ma ville. Il faut dire aussi que tous mes camarades étaient de brillants étudiants au collège et étaient très forts en français. Tous les élèves de ces classes pilotes ont fait l’objet d’une sévère sélection. Par conséquent nous avions le même niveau. En plus nous étions beaucoup moins nombreux que les autres élèves dans les autres classes. Nous étions vingt par classe ce qui a fait que nous étions mieux encadrés. Ceci sans parler du programme spécialisé dont nous avons bénéficié et qui était plus concentré que celui des élèves de la branche littéraire », affirme-t-elle.

En effet, cette première expérience réussie a poussé le ministère de l’Éducation nationale à généraliser le programme qui était destiné exclusivement à ces classes. Il n’empêche que les nouvelles réformes apportées ont réduit curieusement encore les heures programmées pour la langue française !

Alors que les élèves des branches scientifiques ont pu bénéficier d’une augmentation d’une heure, renforçant ainsi le volume des horaires pour le porter à 408 heures au lieu de 320 heures au bout de trois ans. Les étudiants de la branche littéraire qui normalement sont supposés bénéficier d’une augmentation dans le volume des heures de français et d’un programme plus renforcé pour pouvoir maîtriser la deuxième langue ont été privés d’une heure encore ! Ainsi au lieu d’avoir cinq heures de français par semaine, les élèves de la branche littéraire ne font désormais que quatre heures à partir de cette année, soit 72 heures de moins.

Le ministère de l’Éducation nationale a justifié cette baisse par le manque de professeurs de français. La réduction du nombre d’heures a été considérée également comme une décision provisoire qui vise l’application du programme de la charte nationale en septembre 2000 et l’ajustement de l’enveloppe d’heures de la deuxième langue (le français) avec la troisième langue étrangère qui peut être l’anglais, l’espagnol, l’allemand ou l’italien … Ainsi la charte prévoit 433 heures de français pour les trois années de baccalauréat soit une augmentation d’une demi-heure par semaine avec la rentrée de 2004. Même enveloppe prévue pour la troisième langue. Il reste que les 4 heures 15 minutes prévues pour les trois prochaines années pour le cycle secondaire resteront insuffisantes pour la maîtrise de la langue sachant que toutes les autres matières sont enseignées en arabe y compris les matières scientifiques comme les mathématiques, la physique et les sciences naturelles. L’arabisation du programme a été parmi les objectifs de la réforme apportée à l’enseignement durant les années soixante-dix. La réforme visait également la marocanisation des cadres, la généralisation et la gratuité de l’enseignement.

Ainsi l’arabisation du programme était intervenue suite à la constitution d’un comité national en 1979 par Azeddine Laraki le ministre de l’éducation nationale à l’époque. Ce comité qui a été présidé par le Dr Mohamed Akar, directeur de la formation des cadres à l’époque, était chargé de réaliser un rapport sur la situation de l’enseignement, du primaire au secondaire, ainsi que sur les programmes et la pédagogie de l’enseignement des matières scientifiques. Ainsi, après une étude de quatre ans ( de 1976 à 1980), durant lesquels le comité a examiné l’évolution du programme et les matières enseignées, la formation des cadres et les méthodes de l’enseignement, le comité a conclu que les programmes des matières scientifiques du primaire sont loin d’être adaptés à ceux du secondaire. En ce qui concerne les mathématiques, il a été décidé de changer tous les programmes à partir de la troisième année du primaire parce qu’ils ne répondaient pas à l’objectif principal : la formation d’un esprit cartésien. Autre changement crucial : l’arabisation d’abord des matières scientifiques puis des autres matières.

Et à l’université ?

La réforme qui avait commencé en 1981 a touché tous les niveaux jusqu’en terminale. Ainsi, la langue française est devenue au fil des années une langue étrangère comme les autres langues secondaires. Une situation qui s’est répercutée sur l’enseignement du français à l’université. Actuellement, les départements de la langue française sont ceux qui connaissent le plus faible effectif d’étudiants. Selon El Hanni, chef du département de langue et littérature françaises de l’université Mohammed V Agdal, cela revient toujours au faible niveau des étudiants de la branche littéraire qui préfèrent choisir des langues plus « faciles » pour augmenter leur chance de réussite ou « carrément » commencer de nouvelles spécialités qu’ils n’avaient jamais suivies dans le secondaire comme le droit ou encore la psychologie…En effet, le nombre d’étudiants inscrits l’année dernière à la faculté des lettres et de sciences humaines de l’université Med V Agdal n’a pas dépassé 270 étudiants, soit le quart du nombre des étudiants qui sont inscrits au département de la langue anglaise ! La situation est plus grave quand on sait que parmi les 270 étudiants qui se sont inscrits en première année 36 seulement ont réussi soit 5% et que 12 étudiants seulement ont réussi à décrocher leur licence l’année dernière, cela pour les deux classes de littérature et de linguistique. Aux facultés des sciences là encore les choses sont loin de s’arranger. La plupart des étudiants de spécialité scientifique trouvent d’énormes difficultés à suivre le rythme des cours. Asmae, étudiante en troisième année d’économie à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales, raconte son expérience en première année : « j’ai eu d’énormes difficultés à suivre le cours parce qu’à ma surprise toutes les matières d’économie étaient enseignées en français contrairement au primaire, collège et lycée où nous avons tout appris en arabe y compris les matières scientifiques, et je crois que je n’étais pas la seule à avoir ce problème. Presque toute la promotion avait les mêmes difficultés. Le programme que nous avions durant les années de la fac suppose que nous maîtrisions très bien la langue. Or les trois heures par semaine que nous faisions en première année du lycée étaient loin de nous permettre de parler cette langue. Même les cours de traduction que nous avions suivis étaient insuffisants. En général, nous apprenions les termes scientifiques, mais aucune importance n’a été accordée à la communication et à l’expression orale durant le programme du primaire ni même du secondaire, ce qui a fait que la plupart d’entre nous ont du mal à s’exprimer et à communiquer avec les professeurs. Ce qui est plus grave, c’est qu’à la faculté on accorde une grande importance à la maîtrise de la langue puisque ce sont les résultats des examens oraux qui décident de notre réussite ou échec. Sans parler bien entendu de l’importance de l’expression écrite qui décide également de notre sort. » Asmae ajoute : « moi je veux juste comprendre pourquoi on a arabisé tout le programme de l’enseignement primaire et secondaire et qu’on s’est arrêté à la dernière année de baccalauréat. Est-ce que cela ne serait pas une pure contradiction ? ». Hanane, étudiante en première année à la même faculté vit le même problème : « cette année une nouvelle matière intitulée “Langue et communication” a été ajoutée au programme pour nous permettre de pratiquer la langue et de parler le français en classe. Mais je ne crois pas que ce sont ces deux heures de français par semaine qui vont nous permettre de maîtriser la langue… je crois que la réforme doit être radicale ! », s’exclame Hanane. En effet, rares sont les étudiants de facultés scientifiques qui parlent la langue de Voltaire. Selon Larbi Kabiri, professeur d’économie à la faculté d’économie à Casablanca, 4 à 5 % seulement des étudiants en branche économique maîtrisent la langue. « J’ai été obligé de parler arabe dans un cours qui était programmé normalement en français parce que mes étudiants me faisaient sentir que je parlais chinois à chaque fois que je parlais français », s’exclame-t-il. Lorsqu’on lui a demandé les raisons de la baisse du niveau du français, il a répondu : « ce n’est pas une question du système de l’éducation. Il s’agit d’un problème plus grave, nos jeunes Marocains ne lisent plus. Je me suis juré d’offrir l’année dernière un abonnement annuel d’un journal gratuitement à celui que je trouverai en train de lire un journal dans la cour de la fac, et je vous assure que personne ne portait un journal, même en arabe ». Alors les jeunes qui veulent avoir un abonnement au choix pendant un an gratuitement, l’occasion est là. Il faut juste remplir une condition primordiale : commencer à lire le plus tôt possible…

Et si on remettait le livre à sa place !

C’est une réalité, les Marocains lisent de moins en moins. La plupart des livres présentés sur les étalages des librairies sont des livres scolaires et universitaires. La vente des ouvrages littéraires représente un faible pourcentage dans le chiffre d’affaires des libraires. C’est ce que nous a affirmé Mohamed Zakaria, gérant de la librairie « Livre et service » à Rabat. Selon lui, ce phénomène tient à plusieurs raisons, notamment la faiblesse du pouvoir d’achat surtout chez les jeunes qui ne représentent d’ailleurs que 15 % des clients de la librairie. À cela s’ajoute l’influence des médias. Plus encore, Zakaria affirme que la vente des romans classiques connaît actuellement une chute vertigineuse.

Conscient de cette réalité, le secrétariat d’État chargé de la jeunesse a lancé depuis le 15 janvier dernier une campagne intitulée « Le temps du livre ». Cette campagne qui vise à encourager les gens à faire don de livres, s’est fixé un objectif plus important : il s’agit de rendre au livre sa valeur irremplaçable pour ceux qui veulent apprendre…


Quatre questions à Gérard Mariau, proviseur du lycée Descartes

Selon les dernières statistiques réalisées par le ministère de l’Éducation nationale datant de 2003, le nombre d’élèves qui se sont inscrits dans des écoles privées a atteint 216. 519 enfants alors qu’il était de 196 756 en 2002. Le privé serait-il entré en dualité avec le public ? Il est encore tôt pour le savoir. En tous cas le programme des missions françaises serait plus performant que celui des écoles publiques. C’est ce que nous explique Gérard Mariau, le proviseur du lycée Descartes.

À rappeler que ce lycée est parmi les plus anciens des lycées de missions culturelles au Maroc. Il a été mis en place en 1963, permettant depuis sa création à plusieurs milliers d’élèves de décrocher un baccalauréat français.

La Gazette du Maroc : comment se fait l’élaboration des programmes et par quelle partie exactement ?
Gérard Mariau : les programmes d’enseignement dans un lycée français sont tous des programmes de France, c’est-à-dire qu’ils sont conformes à la préparation des diplômes et concours français. Il existe un accord entre le Maroc et la France. Le programme enseigné est le résultat d’un travail concerté et très suivi réalisé par les deux États. Cela par le biais du ministère de l’Éducation nationale marocain et l’ambassade de France représentée par le conseiller en coopération et action culturelle, et régulièrement par les travaux des experts français et marocains. Les élèves sont accueillis à Descartes dès la sixième, puis au terme de la seconde, ils choisissent de préparer en deux années les baccalauréats scientifiques (spécialités: mathématiques, physique-chimie, sciences de la vie et de la terre), littéraire (spécialité : langue vivante étrangère de complément), économique et sociale (spécialités : langue vivante étrangère de complément, mathématiques, sciences économiques et sociales) et sciences et technologies tertiaires (spécialités : comptabilité gestion, action communication et commerce). Le biculturalisme et l’international sont un volet important du projet d’établissement notamment par la présence d'une section internationale en premier cycle, par la préparation de « l’option internationale du baccalauréat » - OIB- (arabe et littérature arabe) et par l’enseignement des langues européennes (anglais, allemand, espagnol).

Vous dites que les jeunes élèves de Descartes s’intéressent de plus en plus à la langue arabe, comment sont élaborés les programmes d’enseignement de cette langue ?

C’est le centre d’études arabes installé à Rabat qui est composé d’ailleurs d’inspecteurs et d’enseignants marocains et français travaillant ensemble qui élabore les programmes et examine leurs applications. En fait, c’est un travail de coopération qui se fait entre les deux pays par l’intermédiaire de ces cadres qui vont d’ailleurs jusqu’à la conception de manuels scolaires.

Malgré ledit intérêt que les élèves manifestent pour l’arabe, il reste qu’ils maîtrisent le français plus que leur langue maternelle, pourquoi à votre avis ?
C’est une réalité, la langue française représente le vecteur permanent de l’enseignement à la fois pour l’apprentissage, l’accès aux connaissances mais elle est aussi l’instrument qui permet de s’ouvrir sur les aspects culturels au lycée. Par conséquent, il est tout à fait légitime que les élèves maîtrisent mieux cette langue que l’arabe. Et ils la maîtrisent très bien puisque le 28 janvier dernier, le conseiller culturel a remis le premier prix et le second prix à des élèves du lycée Descartes malgré la participation d’élèves d’autres académies françaises comme celle de Montpellier. Après le baccalauréat, les trois-quarts des lycéens poursuivent des études supérieures en France, à l’université, dans les classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques, économiques et littéraires, et dans les écoles et institutions spécialisées. Certes, l’arabe est enseigné au lycée mais pas avec le même degré que le français.

Quelles sont les conditions que doit remplir l’élève pour intégrer le lycée ?
La priorité est donnée bien entendu aux élèves venant d’écoles françaises ainsi qu’aux jeunes venus de France. Et enfin sous la base de l’évaluation des places restantes, les élèves qui ne remplissent pas ces critères doivent passer des examens portant d’abord sur le français puis sur les matières fondamentales comme les mathématiques et les matières générales. L’année dernière par exemple, cinquante places ont été disponibles après l’inscription des élèves les plus méritants.

Yousra Amrani

 

 

Source : La Gazette du Maroc, n°354, le 09 février 2004

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