Olivier Oger, directeur de l'Edhec, a converti tous les enseignements de son établissement à l'anglais en 2005. Il estime avoir ainsi réussi à doper l'attractivité de l'école en internationalisant le recrutement des enseignants et des étudiants, sans avoir eu à sacrifier la culture française. Il juge que la loi Fioraso, sur la question des cours en anglais, va dans le bon sens, mais pèche par ses conditions restrictives.
Vous avez décidé, en 2005, de faire passer votre école, l'Edhec, au « tout-anglais ». Avec quelles conséquences ?
Olivier Oger Ce fut probablement l'une des décisions les plus importantes que j'aie prises pour l'internationalisation de l'école. L'impact en interne a été énorme. Ce fut un grand choc, mais également un projet mobilisateur. Il n'y a eu que deux ou trois personnes qui sont allées voir ailleurs. Mais nous avons annoncé la mesure deux ans avant sa mise en œuvre et mis en place un accompagnement. Evidemment, cela représentait un effort énorme pour nos professeurs parmi les plus âgés, ou pour ceux qui parlaient mal l'anglais.
La qualité de l'enseignement n'a-t-elle pas diminué ?
C'est difficile à mesurer. Lorsqu'on dispense un cours en anglais pour la première fois, on ne dispose probablement pas d'autant de moyens de transmettre les connaissances. Mais cela s'estompe avec le temps. D'autant plus, d'ailleurs, que nous n'avons pas lésiné sur l'accompagnement. Des professeurs de langues donnent des cours ; des séjours de six mois à l'étranger ont été organisés ; des binômes de professeurs français et anglais ont été constitués pour une coproduction des cours, ce qui permet notamment de trouver le bon exemple, la note d'humour, etc.
Cela a-t-il entraîné une coloration plus anglo-saxonne du contenu des cours ?
Non. Ce n'est pas parce que vous enseignez en anglais que vous véhiculez la culture anglo-saxonne ! À ceux qui pensent que nous devenons les suppôts du Royaume-Uni et des États-Unis, je réponds que nous sommes plus qu'avant les ambassadeurs de ce que nous sommes, car nous sommes audibles par un plus grand nombre. Un professeur français demeure français même s'il parle anglais. J'ajoute que les disciplines que nous enseignons, comme la gestion par exemple, comprennent une part importante de technique, laquelle est tout de même plus neutre culturellement que la littérature ou la philosophie. Il faut donc faire la part des choses. Mais je veille à ce que l'enseignement demeure européen et que les cas d'entreprise traités relèvent de problématiques européennes.
Qu'est-ce que cela a changé en termes d'attractivité ?
À la fin des années 1990 et au début des années 2000, avec le développement des accréditations (par des agences internationales indépendantes, NDLR), l'Edhec a voulu s'internationaliser. À nos yeux, cela devait d'abord concerner la recherche : il fallait recruter des professeurs internationalement connus pour leurs recherches et qui, donc, publiaient en anglais. Mais l'idée était bien entendu également d'attirer des étudiants étrangers dans le « programme grande école ». En 2000, l'école n'en accueillait que 20... Cette année, ils sont 330 par promo !
Est-ce uniquement dû au passage à l'anglais ?
Oui, très largement. Sur les 330 étudiants étrangers présents sur nos campus, très peu parlaient français en arrivant. Le pays le plus attractif demeure les États-Unis. Lorsque les étudiants chinois viennent chez nous, cela relève donc d'un choix précis. Mais, avant, ils ne venaient pas du fait de l'absence de cours en anglais.
Cela a-t-il également permis d'élargir le vivier de recrutement des étudiants étrangers ?
Oui, notamment en provenance de l'Asie. Nous avions très peu d'étudiants asiatiques auparavant. C'est cela qui nous a permis d'élargir notre vivier traditionnel de recrutement, l'Europe et l'Afrique du Nord. Ces deux zones géographiques ne sont plus représentées qu'à hauteur d'un tiers dans l'origine des 330 étudiants étrangers de l'Edhec.
L'Edhec est-elle toujours une école française ? Avez-vous le sentiment d'affaiblir le français ?
Cette mesure nous a permis d'exister sur la scène internationale. Et je précise que tout étudiant étranger est obligé de suivre des cours en français. Ils n'en deviennent certes pas des experts, mais ils peuvent tenir une conversation. Et cela s'accompagne d'une ouverture culturelle : visites de musée, tourisme, découverte de la gastronomie... Je ne suis donc pas sûr que cela affaiblisse le français car ces jeunes deviennent de sacrés bons ambassadeurs de la France, et ils travaillent souvent dans nos entreprises à l'étranger. En tant que citoyen, je regrette que le français ne soit plus la langue d'enseignement de mon école, mais en tant que directeur, je ne peux pas passer à côté.
Avez-vous été surpris par l'ampleur du débat suscité par le projet de loi Fioraso ?
C'est classique ! La France a les moyens d'avoir une ambition internationale en matière d'enseignement supérieur. Que la ministre Geneviève Fioraso veuille favoriser les cours en anglais va dans le bon sens.
En l'état actuel, le projet de loi prévoit aussi des conditions très strictes : utilisation partielle de l'anglais, apprentissage du français et prise en compte du niveau dans le diplôme, existence de « nécessités pédagogiques » pour justifier l'emploi de l'anglais. Allez-vous appliquer la loi et revenir sur le tout-anglais ?
Je ne vois pas comment je pourrais appliquer cette loi. Et je ne peux d'ailleurs pas croire que cela se mette vraiment en place, alors qu'on nous incite depuis des années à nous internationaliser. Respecter ces restrictions, ce serait remettre en cause quinze ans d'efforts pour installer notre école sur la scène mondiale. Or, nous sommes aujourd'hui présents à Singapour. Nous avons signé des accords avec les universités américaines Princeton et Yale, avec laquelle nous délivrerons un programme en commun. Sans l'anglais, nous n'aurions pas pu le faire. Si les étudiants étrangers estiment qu'ils ne pourront pas suivre l'intégralité du cursus parce qu'une partie est enseignée en français, ils ne viendront plus. En Espagne, une loi oblige les étudiants étrangers à suivre des cours de catalan. Les établissements les organisent donc, mais aucun étudiant ne les suit...
Source : lemonde.fr. le vendredi 14 juin 2013
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Réaction de M. Daniel de Poli :
Monsieur,
Je me permets de vous écrire,
car j'ai été scandalisé par votre entretien au Monde
:
Je souhaitais donc réagir à
certaines affirmations :
Cette décision a été un véritable scandale. Car l'enseignement en anglais aboutit à des dérives scandaleuses, à savoir qu'un professeur français ne peut même plus enseigner dans sa langue dans son propre pays ! On le rejette en lui disant « Speak English ! ». C'est honteux, scandaleux. Et c'est la même chose pour les étudiants : ils sont exclus de l'enseignement dans leur propre pays parce qu'ils ne peuvent suivre les cours dans la langue des Anglo-Saxons. Ainsi, loin d'affaiblir la loi Toubon, il faut au contraire la renforcer. Le français doit devenir la langue d'enseignement de tous les établissements d'enseignement supérieur français, même ceux qui délivrent un enseignement « à caractère international ». Il est d'ailleurs incompréhensible que ces derniers soient exemptés de la loi. Il est donc urgent de renforcer cette dernière pour contrer une bonne fois pour toutes cette dérive déplorable de l'enseignement en anglais. Car pourquoi s'arrêter en si bon chemin et ne pas angliciser TOUT l'enseignement supérieur français ? Ainsi, tous les étudiants, français comme étrangers, pourraient bénéficier de ces cours en anglais. Sciences Po Reims est déjà anglicisée. TOUS les cours n'y sont donnés qu'en anglais. Pourquoi ne pas angliciser aussi Sciences Po Paris ou Sciences Po Strasbourg ? Et pourquoi pas tout l'enseignement supérieur français ? Qu'est-ce qui, juridiquement parlant, s'y opposerait ? Mme Fioraso n'a aucunement mesuré les conséquences catastrophiques de son projet.
Écoutons par exemple un haut fonctionnaire du gouvernement malgache :
Source : « Le français, une langue pour la science » : http://www.imperatif-francais.org/bienvenu/articles/2001/le-francais-une-langue-pour-la-science.html
« La qualité de l'enseignement n'a-t-elle pas diminué ? C'est difficile à mesurer. »
C'est une évidence ! Et cela a été brillamment démontré dans
le texte suivant intitulé « Universités en anglais : les
déboires européens » :
Pour attirer des étudiants étrangers, il n'y a aucunement besoin de cours en anglais. Il faut travailler en amont à l'international et créer des filières bilingues, qui existent déjà dans de nombreux pays, et qui permettent donc à des jeunes d'arriver à l'âge de dix-huit ans avec une bonne connaissance de la langue française. Mme Fioraso a cité le Brésil. Eh bien, on apprend aujourd'hui que 200 000 élèves brésiliens apprennent le français : Et s'il n'y avait qu'1% de ces élèves qui venaient ensuite étudier en France, on pourrait déjà remplir une université entière !
Il faut donc agir en amont et que nos ambassades fassent
passer le message suivant : « Vous êtes le bienvenu en
France, mais il faut avoir un bagage minimal en français
pour venir y étudier ». Ensuite, les étudiants peuvent
aussi, comme cela se fait actuellement, venir en France et
suivre des cours accélérés pendant quelques mois pour
améliorer leur niveau. Mais là-aussi, inutile de passer par
l'anglais ! Ce n'est ni la langue de la France, ni la langue
maternelle des Brésiliens ou des Sud-Coréens.
L'hégémonie de l'anglais dans les sciences est à combattre avec la dernière énergie, car elle entraîne le pillage généralisé de notre recherche scientifique par les Américains, comme cela a été brillamment démontré par l'universitaire Charles Durand dans son fameux argumentaire intitulé « Le français, une langue pour la science » : http://www.imperatif-francais.org/bienvenu/articles/2001/le-francais-une-langue-pour-la-science.html Pour s'en convaincre, il suffit de lire les propos effarants d'un de ces chercheurs américains pilleurs de la recherche française, extraits de l'argumentaire : « Au moins 90% des articles que nous recevons ne valent rien. 2 % sont originaux et méritent d'être publiés. 5% sont des développements de travaux antérieurs que nous devons publier également. Enfin, moins de 1% de ces articles donnent des idées sur des nouvelles directions de recherche pouvant quelquefois conduire à des applications commerciales. Nous recevons ces articles en première exclusivité, antérieurement à toute publication. Ils nous arrivent sur un plateau d'argent, écrits dans notre langue, sans que nous demandions quoi que ce soit à quiconque. Comment voulez-vous que nous nous empêchions d'en exploiter les meilleures idées ? Même avec les meilleures intentions du monde, nous ne pouvons nous empêcher d'être influencés, de changer nos objectifs de recherche et d'utiliser les idées les plus prometteuses à notre profit. N'oubliez pas qu'une majorité de ces articles nous vient de l'étranger et que ce qu'ils décrivent n'a jamais fait l'objet de publication antérieure, en anglais ou d'autres langues. D'autre part, nous passons facilement un tiers de notre temps, voire la moitié, à chercher de l'argent pour financer notre travail. Beaucoup d'entre nous n'ont aucune sécurité d'emploi. La concurrence pour les octrois de recherche, qui ont fondu comme neige au soleil ces dernières années, est féroce. Tout le monde essaye de briller, même si ce n'est que dans les apparences. Nos collègues européens ou asiatiques n'ont pas cette obligation et peuvent vraiment se consacrer à leur recherche scientifique et produire quelque chose. Dans ce contexte, vous pensez bien que nous allons exploiter toute idée intéressante pour laquelle on sollicite notre avis. Il est arrivé à certains de mes collègues de refuser la publication d'un article, lorsqu'ils voulaient " pirater " son contenu de façon à s'attribuer l'antériorité d'une idée qui les intéressait particulièrement. Toutefois, dans la plupart des cas, ça n'est même pas nécessaire. Nous approuvons la publication de ces articles mais notre réseau de contacts avec l'industrie nous permet d'exploiter les meilleures idées et d'en tirer les bénéfices commerciaux en premier. Nous ne sommes pas des saints. Comment voulez-vous qu'il en soit autrement ? Dans la quasi-totalité des cas, on ne peut même pas nous accuser de plagiat faute de preuves. Gallo a perdu dans ses démêlés avec l'Institut Pasteur, car il avait reçu des échantillons, parce qu'il y avait une trace matérielle. Dans la plupart des cas, seule compte l'information, qui est dématérialisée par essence. Si vous faites la copie d'un logiciel existant, vous violez les droits d'auteur. Si vous volez une idée à quelqu'un alors que celle-ci n'a pas encore fait l'objet d'une publication antérieure et que vous travaillez dans le même domaine de recherche que celui à qui vous l'avez volée, comment voulez-vous que ce dernier soit en mesure de prouver quoi que ce soit ? ». Le système de recherche français est donc aberrant et à changer radicalement. Il faudrait par exemple s'inspirer du système de recherche japonais, bien plus intelligent que celui qui est pratiqué en France, et où les chercheurs publient d'abord les résultats de leurs recherches au Japon en japonais, ce qui permet à leurs industries d'exploiter en premier les bonnes idées et évite ainsi le pillage. Autre extrait :
« Au Japon, on peut constater que les
chercheurs japonais qui reçoivent des deniers publics sont
souvent dans l'obligation contractuelle, lorsqu'ils veulent
et qu'ils peuvent légalement publier leurs travaux, de les
communiquer en priorité à des journaux et revues
scientifiques publiés au Japon, en japonais. Ces derniers
n'acceptent et ne publient que les meilleurs articles
décrivant des travaux qui contribuent réellement au
développement scientifique et technique, dans la discipline
considérée. Les articles qui sont refusés sont généralement
traduits en anglais par leurs auteurs qui cherchent alors à
les publier dans des revues américaines ou européennes.
Cette pratique n'a pas augmenté le nombre d'abonnements aux
revues scientifiques japonaises des bibliothèques étrangères
(à l'exception de la Chine et de la Corée), mais elle a
accompli l'équivalent. Bon nombre de succursales de
compagnies étrangères et de délégations gouvernementales
diverses traduisent sans relâche pratiquement tout ce qui
est publié en japonais dans les domaines scientifique et
technique. Les Japonais sont les premiers bénéficiaires de
cette activité, car c'est souvent eux qui effectuent ce
travail de traduction qui est, comme il se doit, très bien
rémunéré. Il implique d'être bilingue et d'avoir des
connaissances techniques très spécialisées. De plus, la
publication en langue japonaise permet tout simplement de
communiquer les informations les plus intéressantes à la
fraction des chercheurs et ingénieurs japonais initiés au
sujet de la manière la plus efficace possible. Son but n'est
pas d'exclure la traduction et la diffusion de l'information
aux puissances industrielles concurrentes, mais elle
introduit un délai qui est souvent suffisant pour que
l'exploitation des résultats publiés puisse être démarrée,
en priorité, par un homologue japonais quand ce n'est pas
par l'auteur de l'article lui-même. Le problème
d'antériorité vis-à-vis de chercheurs étrangers concurrents
est ainsi évité et les bénéfices éventuels sont
immédiatement réinjectés dans l'économie japonaise. L'argent
du contribuable est ainsi utilisé de manière optimale. Il
n'importe pas à un pays producteur de connaissances de payer
le coût de la diffusion du savoir dans une langue autre que
sa langue nationale, mais bien aux utilisateurs des
nouvelles idées scientifiques... » Bien à vous Daniel De Poli
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