PREMIER TRIMESTRE 2004 « La foi qui n'agit point, est-ce une foi sincère ?»   

 Numéro 35

              

Privilégiés linguistiques  !

 

Voici lettre qu’a envoyée Mme Huberdeau, espérantiste et militante pour le français, à M. Raymond Maudet, rédacteur en chef du journal Maine Libre, en réaction au fait que ce dernier soit tout fier d’avoir réalisé une édition en anglais et cela pourtant au plus grand mépris de toute règle du respect du plurilinguisme.

(Maine Libre : 28/30, place de l’Éperon - BP : 299 - 72013 Le Mans Cedex)

 

Dans l’édition du 14 juin 2003 du Maine Libre, votre article paru dans la rubrique MÉDIAS et intitulé «aL’édition anglaise du Maine Libre sur France Info » m’a laissée perplexe.

En effet, la rédaction de votre journal offre au public deux nouveaux produits : un guide de poche où sont présentées les 49 voitures invitées à la course, et l’édition spéciale des 24 Heures (automobiles) entièrement traduite en anglais. Je lis :

« C’est une première et nous la destinons aux 50 000 Anglais qui viennent chaque année au Mans » a souligné Raymond Maudet, «jusqu’à présent les Anglais avaient leur radio sur le circuit en anglais. Désormais ils ont aussi leur journal ».

Que la rédaction veuille faire plaisir à ses nombreux amis Anglais, pourquoi pas ? Mais a-t-elle pensé un instant à ses autres nombreux amis allemands, italiens, et autres de notre Europe élargie qui n’ont pas bénéficié de ces privilèges linguistiques ? - Peut- être bien que non !

Elle considère vraisemblablement que les non anglophones n’ont pas besoin d’être respectés dans leur langue respective, qu’ils doivent automatiquement connaître l’anglo­américain ou tout simplement faire l’effort, eux, d’apprendre quelques rudiments de notre langue, par courtoisie et par respect pour notre langue et notre culture, comme nous le faisons, nous Français, lorsque nous nous rendons dans leurs pays respectifs.

Existe-t-il des manifestations à l’étranger, d’envergure comparable à celle des 24 Heures automobiles, et pour lesquelles un accueil comparable nous serait réservé ? - Je n’en ai pas connaissance.

Il me semble déjà entendre votre courroux ! Comment donc, cette sotte ne sait pas encore que tout le monde parle anglais maintenant !

Non, je ne le parle pas, tout comme ces millions d’individus de par le monde qui ne le parleront jamais, eux non plus. Ce qui me navre, c’est qu’on veuille faire croire que c’est un fait acquis, incontournable. La manœuvre est subtile: les élites intellectuelles, les médias en particulier, ont intérêt à entretenir la rumeur (pour de multiples raisons qu‘il serait trop long d’exposer ici), et ce, en complète contradiction avec les textes officiels (mais avec la bienveillante complicité des « officiels » !) concernant l’apprentissage des langues qui ne stipule aucunement que l’anglais est obligatoire dans nos écoles.

L’Europe que nous souhaitons ne peut se faire que dans le respect de tous les particularismes qui la composent ou alors elle échouera. La langue unique que certains États cherchent à imposer est un suicide linguistique annoncé ; elle est contraire à toutes les valeurs fondamentales d’humanisme, de démocratie, de solidarité, d’équité économique et sociale, etc. La discrimination linguistique croissante à laquelle nous assistons est insupportable, intolérable surtout lorsqu’un journal comme le vôtre y contribue et la renforce.

Vous avez choisi d’imposer à tous ces nombreux visiteurs étrangers, non pas une radio et un journal d’informations plurilingues, ce qui aurait été particulièrement élégant, significatif de votre engagement européen, à un moment historique de mise en place d’une Constitution européenne (dans laquelle le problème linguistique, à tort, est sans projet équitable), mais vous avez été partial, ce qui me chagrine beaucoup. Imposer la langue d’une puissance rouleau-compresseur, non européenne, et d’un pays dont l’option européenne est encore à confirmer, me semble plus que regrettable.

Que comptez-vous faire pour que l’équité linguistique, dans l’Europe des 25, des 30 bientôt, soit respectée ?

Si à votre niveau de responsabilité vous ne respectez pas les textes fondamentaux concernant cette diversité linguistique qui est un droit pour chacun... qui le fera ?

Vous avez beaucoup de pouvoir, vous le savez bien. Il vous faut l’utiliser pour le plus grand nombre et non pour une «sphère d’amis» si sympathiques soient-ils. Que dirions-nous si nos collègues allemands, espagnols, pourquoi pas turcs demain, voulaient nous imposer leur langue ?

Ne sentons-nous pas que c’est précisément ce que nous sommes en train de faire ! Et cela n’est pas facteur d’équité et d’épanouissement. Mais aujourd’hui le voile de l’hypocrisie se lève. Après avoir répété que notre Europe sera plurilingue, de plus en plus de voix s’élèvent contre ce projet, remarquable au départ. Chacun a compris que ce n’est pas réalisable matériellement, financièrement, écologiquement, etc. De plus en plus de voix expriment le souhait d’une langue, comme l’anglais, langue unique, donc hégémonique.

L’impossibilité de pratiquer le plurilinguisme devrait nous conduire à désirer un outil de communication équitable et neutre, facile d’utilisation, pour vaincre les multiples difficultés de traductions et d’interprétariat de la vie, non seulement de ceux qui ont la charge de gérer la maison Europe, mais aussi de tous ses locataires qui bougent, qui y travaillent, qui doivent y vivre et s’y sentir bien, pas comme des éternels étrangers !

Un outil de communication où chacun ne se sent ni dominant ni dominé, un outil tel, qu’il puisse faciliter, à égalité de droits, les multiples échanges de toutes les valeurs, pas seulement culturelles.

Parce que je suis citoyenne du monde et soucieuse de la réussite de cette Europe en devenir, parce que j’ai fortement conscience que la barrière des langues, ou que l’hégémonie d’une langue sont des causes majeures d’échecs pour cette Europe en gestation, je considère la langue Espéranto comme seule langue-pont capable de faciliter la vie de tous et de permettre en toute équité, par exemple l’élaboration d’une identité européenne qui nous manque totalement. D’ailleurs l’édition du samedi 14 juin 2003, p.5, du quotidien LE MONDE, a publié une pleine page consacrée à l’espéranto.

Si la langue des signes, si le Braille sont des systèmes de communication reconnus et indispensables, pourquoi l’espéranto ne le serait-il pas à son tour ?

 

Pouvoir, c’est avant tout vouloir !

Mme Jackie Huberdeau

(72) Le MANS

 

 
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